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De la musique, malgré tout

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Humeur
16 novembre 2015

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Samedi soir le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles recevait l’orchestre de Paris. La veille, dans cette même ville, le sang avait coulé dans des proportions effrayantes. Le chef d’orchestre, Paavo Järvi, un micro à la main prend la parole alors que ses musiciens s’installent à leur pupitre : « vous le savez tous, une fois encore, la terre vient de connaître une nouvelle atrocité. En hommage aux victimes, nous aimerions jouer la Valse Triste de Sibelius et nous aimerions qu’elle soit suivie d’une minute de silence ». Au terme de la dernière mesure, environ 2000 personnes se sont levées et ont observé religieusement une minute de silence.

Si à Paris, pour des raisons de sécurité, la majorité des concerts a été annulée ; partout ailleurs les musiciens ont fait leur métier. Le monde ne s’arrête pas de tourner quand le sang coule. Ces derniers mois, combien d’explosions, combien d’actes isolés, combien d’attentats coordonnés ont privé hommes et femmes d’un enfant, d’un frère et d’un père ? La veille des attentats parisiens, le sang coulait au Liban – pays martyr s’il en est – où plus de 43 vies furent ravies. Un peu plus tôt au dessus du Sinaï, plus de 200 vacanciers disparaissaient avant même d’avoir pu jeter un œil nostalgique à leurs photos de vacances. Charge aux musiciens, donc, de poursuivre. Charge à eux d’assumer une part incongrue de leur métier, dans ces circonstances : le divertissement.

Comment songer au divertissement quand, dans la salle, deux mille personnes ont dans la tête les images effrayantes de corps entassés, déchirés et mis en pièce au titre de la seule sauvagerie ? Un pianiste proche me disait – un peu perdu – qu’il jouerait, mais presqu’à contre cœur et qu’avant d’entamer son programme, il donnerait un nocturne de Chopin suivi d’une minute de silence. Ajoutant cette phrase à la fois belle et juste : « on ne peut pas donner l’illusion aux gens que la musique panse ce genre de plaies, ce serait faux et ce serait indécent ».

Le 11 septembre 2001, La Monnaie a décidé d’annuler la première du dyptique ravelien, précisément parce que le divertissement semblait, en ce jour, totalement antinomique. Quelques heures plus tard, pourtant, le baryton Dietrich Henschel y donnait un récital. À la fin, s’avançant un peu pâle vers le public, il ne dit que quelques mots, pour la paix, simplement et chanta Ich bin der Welt abhanden gekommen de Mahler. Wolfgang Holzmair, un autre baryton en récital au Concertgebouw, se contenta de chanter « Priez pour paix », de Francis Poulenc, sans rien dire de plus.

On songe enfin à ce moment surréaliste où le chef d’orchestre Erich Leinsdorf, s’apprêtant à diriger l’orchestre symphonique de Boston le 22 novembre 1963, s’adresse au public : « nous recevons à l’instant un communiqué – dont il faut espérer qu’il soit faux – annonçant l’assassinat du président des Etats-Unis, John Fitzgerald Kennedy. Nous allons jouer la marche funèbre de la troisième symphonie de Beethoven ». À ces mots, des hurlements raisonnent dans cette salle du Massachussets, fief de celui qui fut le plus jeune président des Etats-Unis.

Dans ces circonstances, les artistes sont seuls face à l’abîme de situations qui les touchent au même titre que nous tous. Il leur faut cependant amalgamer ces émotions à celles de l’interprétation musicale et, plus étrangement, au geste-même de divertir. Tous, sans exception, nous diraient que l’annulation est préférable, tant la musique – fut-ce la Marche funèbre – avec ses chatoyances, ses forte, sa volubilité – heurte ce besoin viscéral de silence qui suit l’épouvante.

S’arrêter, pourtant, ce serait céder un peu de terrain à ceux qui voudraient que cette musique cesse, ce serait donner raison aux censeurs, ce serait reculer face à la barbarie. Aujourd’hui, j’aimerais simplement qu’on pense, ensemble, à ces hommes et à ces femmes, qui hier et aujourd’hui, ont eu la grandeur d’âme de monter sur scène pour affirmer ce crédo qui fait que l’humanité est humanité : deux mille personnes – de culture, d’origines, de religions différentes – peuvent écouter ensemble – et en silence – cette langue universelle qui nous rend tous un peu plus humains. Ce peu de bruit, masqué par les détonations, est le murmure de peuples dont les voix – unies – finiront par parler plus fort.   

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