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Laurent Brunner : « De grands interprètes d’aujourd’hui dans un lieu d’exception d’hier, de grands moments pour le public »

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Interview
24 décembre 2012

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Laurent Brunner: « De grands interprètes d’aujourd’hui dans un lieu d’exception d’hier, de grands moments pour le public »
 

 
Une reprise scénique de l’Artaserse de Vinci donné à Nancy, John Eliot Gardiner dirigeant Rameau, Haendel et Bach, une collection de disques en collaboration avec Alpha, Alcyone de Marin Marais enfin mise en scène… Ce sont là seulement quelques-uns des plaisirs que nous réserve pour l’avenir Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles.

Né en Lorraine en 1965, j’ai fait du piano dans mon enfance, mais j’ai véritablement découvert la musique avec le baroque. Mes deux premiers souvenirs de concert remontent à 1983. Dans une petite église à Bar-le-Duc, j’ai entendu Jordi Savall et Montserrat Figueras jouer des pièces espagnoles et anglaises, notamment les Musical Humors de Tobias Hume. La même année, j’ai vu à Metz mon premier opéra, Le Retour d’Ulysse de Monteverdi dirigé par Jean-Claude Malgoire, dont ensuite La Clémence de Titus de Gluck m’a marqué. Puis, alors que j’avais entrepris à Strasbourg des études d’histoire et d’histoire de l’art (sur l’architecture française du XVIIIe siècle, et plus précisément Robert de Cotte, l’architecte de la chapelle royale du château de Versailles), j’ai croisé vers 1988 une de mes idoles, Jacques Merlet. Mon seul « abonnement » à des concerts, celui de l’AMIA (les Amis de la Musique sur Instruments Anciens) m’a permis d’entendre notamment Henri Ledroit dans les œuvres de Michel Lambert, Jos Van Immerseel dans les toccatas pour clavecin de Bach, quelques forts souvenirs, comme mon premier concert Desmarets à Ribeauvillé, encore avec la Grande Ecurie. Autre souvenir fondateur, j’ai entendu un jour, sur France Musique, Jacques Merlet annoncer que Philippe Herreweghe allait donner le soir même à Saint-Pierre-le-Jeune les motets de Bach, j’y suis allé en pensant m’ennuyer… et ce fut tout le contraire ! En 1990, j’ai organisé une programmation musicale pour célébrer les mille ans de la cathédrale de Verdun. Alors que je n’étais qu’un simple amateur, j’ai monté toute une série de concerts à dominante baroque : Les grands motets de Lalande par William Christie, Israël en Egypte par Herreweghe, les Stabat Mater de Pergolèse et Vivaldi par Gérard Lesne. J’étais quasi seul « organisateur à tout faire », dans une structure minimale. Comme il existe à Verdun un très gros fonds de manuscrits médiévaux, j’ai demandé à Marcel Pérès d’y puiser pour proposer un office de consécration de cathédrale de l’An Mil ; il a également interprété une messe en plain-chant de Henry Madin, compositeur natif de Verdun mais d’origine irlandaise, un des quatre sous-maîtres de la chapelle royale dans les années 1740. Ce festival fut un grand succès, à la hauteur du risque financier que j’avais pris, et cela m’a permis de tisser des liens très forts avec beaucoup de musiciens.
 
J’ai alors abandonné mes études pour me consacrer à l’organisation de concerts, avec une programmation sur plusieurs lieux – la cathédrale et le théâtre de Verdun, en l’occurrence – et cette forme de pluridisciplinarité est un peu devenue ma spécialité. Pour moi, jouer de la musique religieuse dans une église a un sens, chaque lieu doit se voir associer un projet spécifique. J’ai ainsi conçu avec Dominique Vellard une « journée » de musique médiévale, avec l’office du matin dans une petite église, ensuite un concert profane dans une salle de palais vers 15h, puis des vêpres dans le chœur de la cathédrale, et enfin un grand concert de soirée dans la nef. Dans un département sans vraie tradition musicale (la Meuse), j’ai mis au point des pratiques qui restent aujourd’hui les miennes, avec des artistes que je connais maintenant depuis vingt-cinq ans. Comme je sentais « l’appel de l’est », j’ai développé un réseau allemand et belge.

A bout de cinq ans, j’ai dû quitter la ville parce que, pour l’anniversaire de la bataille de Verdun (1916-1996), j’avais demandé un projet à Heiner Müller ; je voulais montrer le point de vue allemand sur une question dominée essentiellement par une vision française, remettre en cause la vision habituelle de la Première Guerre mondiale confisquée par une histoire officielle. Müller est venu à Verdun, préparant donc une pièce liée à cet évènement historique (Les Spectres du Mort Homme, créée au Berliner Ensemble en 1996), son grand-père avait fait Verdun, mais Müller a fait scandale auprès des cercles d’anciens combattants très marqués par l’extrême droite, parce qu’il a déclaré à la presse que les monuments aux morts « n’étaient pas de l’art, mais de la merde », considérant que « l’art véritable est fait pour les vivants, pas pour servir d’excuse aux politiques pour avoir envoyé les populations à la boucherie ». Le Maire de la ville, particulièrement extrémiste et expéditif, a donc interdit les œuvres de Müller « passées, présentes et à venir » dans sa cité. Après une telle censure, j’ai dû claquer la porte, tout en finissant comme je le pouvais les spectacles mis en place, Müller étant décédé dans l’intervalle. Mon dernier concert organisé à Verdun en juin 96 au cœur de la commémoration, était d’une grande force symbolique : le Chœur RIAS de Berlin interpréta (en création en France) les Lamentations d’Ernst Krenek à l’Ossuaire de Douaumont, partition extraordinaire dont les beautés cachées derrière une polyphonie complexe prenaient une dimension hallucinatoire entre les marbres des tombeaux mêlant les ossements de plus de 100 000 Français et Allemands anonymes…

J’ai ensuite repris en mains la Scène nationale de l’Est-Mosellan, exemple de décentralisation culturelle créé dans les années 70, qui avait fait faillite. Il s’agissait de gérer trois théâtres pour desservir 26 communes. Entre 1996 et 2002, j’en ai fait un lieu significatif de création et de diffusion, j’y ai fait venir Hervé Niquet, William Christie, Ton Koopman, Accentus, Paul Van Nevel, Dutoit et le National, Prégardien, la Philharmonie de Saint-Pétersbourg, Fazil Say, le Concerto Köln, entre autres. Les concerts se jouaient aussi dans le temple et la synagogue de Forbach, ou chez l’habitant (une semaine incroyable de 12 concerts « intimes » avec Patrizia Bovi et Micrologus, des deux côtés de la frontière !). Nous avions 2500 abonnés, dont beaucoup d’Allemands stupéfaits qu’on puisse faire venir de grands orchestres et de solistes prestigieux dans un tel endroit. J’ai également repris et refondé le festival franco-allemand Perspectives (arts de la scène), à Sarrebruck, ville dotée d’un superbe orchestre, et d’un opéra très actif ; la tradition musicale est tellement plus forte en Allemagne ! Cependant la Radio Sarroise venait enregistrer nos concerts, notamment de musique baroque, rarement présente dans les saisons symphoniques outre-Rhin. Mais la présence de grands noms de la scène européenne (Preljocaj, De Kersmaecker, Jan Fabre, Ostermeyer, Castorf, Castellucci, Robert Lepage) était aussi très importante pour donner du corps au programme. Dans un ancien puits de mine près de Forbach, espace chargé d’histoire, j’ai développé des projets très différents, dans le domaine du spectacle vivant et du patrimoine industriel, en partenariat avec la Mission An 2000 que présidait Jean Jacques Aillagon, qui ont permis la restauration du site et sa première véritable activité.

En 2002, quand il est devenu ministre de la culture, Aillagon, originaire de la région, m’a proposé d’être son responsable du spectacle vivant. J’ai accepté, et pendant deux ans, j’ai été son conseiller pour le spectacle vivant – hors la musique (j’ai ainsi évité les domaines épineux du secteur, avec ses dossiers « impossibles » et récurrents, comme la copie sur Internet, les problématiques pédagogiques avec les conservatoires, Pleyel et la Philharmonie de Paris…). J’avais en charge le théâtre, la danse, les arts de la rue et du cirque, ce qui est un secteur en soi considérable. Le ministère s’est cependant cassé le nez sur la question des intermittents du spectacle, dossier explosif qui n’a toujours pas trouvé de solution. J’ai ensuite pris le poste d’Attaché culturel de l’Ambassade de France à Berlin, où je disposais, pour aider la promotion de la culture française en Allemagne, d’un budget de 300 000 euros (tous domaines confondus), soit le prix d’une toute petite production d’un opéra de chambre… J’ai cependant monté avec l’AFAA deux opérations « complémentaires » à Berlin, autour des arts plastiques et du spectacle vivant. Avec le lancement de la création du Fonds franco-allemand pour la musique contemporaine (dont le partenaire moteur est la SACEM), je me suis efforcé de faire découvrir les compositeurs français vivants aux interlocuteurs allemands, comme Thierry Escaich, que j’ai recommandé au responsable de la Philharmonie d’Essen, un bâtiment récent, qui voulait organiser pas moins de cent concerts de musique française en une saison ! A défaut de pouvoir financer ses projets, je lui ai permis de présenter sa saison à l’Ambassade, et ce parrainage comptait beaucoup à ses yeux. Il a en effet réalisé une centaine de concerts dédiés à la musique française, avec une résidence de Pierre Boulez (parmi de nombreuses pépites), ce qui laisse rêveur…

Quand Jean-Jacques Aillagon a été nommé à Versailles, je me suis rappelé à son bon souvenir, et comme la direction de Château de Versailles – Spectacles était libre, il me l’a proposée. Il s’agit d’une société privée, filiale privée du château qui en est l’actionnaire unique. A l’origine, la mission principale concernait les Grandes eaux musicales et les grandes eaux Nocturnes, dont le nombre a été augmenté (on est passé de 50 à 80 pour les Grandes eaux, et de 4 à 10 pour les Nocturnes). J’ai retravaillé la question des bandes son : jusque-là, les extraits étaient choisis sans logique réelle, et la même musique était diffusée dans l’ensemble du domaine, alors que les jardins de Versailles sont une multiplicité d’espaces extrêmement scénographiés, très dramatiques. J’ai donc demandé à Christophe Rousset de travailler sur ses enregistrements d’opéras français, afin de trouver la musique adéquate pour chacun de ces espaces. Il ne s’agissait plus de musique de plein air, faite pour les parades militaires et non pour être écoutée dans les bosquets, mais plutôt de musiques de danse et d’opéra, donc dramatiques. Nous avons aussi poursuivi dans la voie des grands spectacles d’extérieur, sur le bassin de Neptune : Roberto Alagna y a donné un récital d’airs d’opéra français, qui vient de sortir en DVD, Hervé Niquet y a interprété les Feux d’artifice royaux de Haendel. Malheureusement, ce lieu n’est plus disponible (les riverains ayant eu gain de cause), mais nous organisons des projets sur le Grand Canal, ou dans d’autres espaces du domaine.
 

L’arrivée de Jean-Jacques Aillagon a introduit deux dimensions nouvelles. Il y a d’abord eu la décision de confier à Château de Versailles – Spectacles la production déléguée des expositions d’art contemporain. Par ailleurs, j’ai demandé s’il y avait un budget pour le fonctionnement de l’opéra, et il m’a été répondu que non. Ni le château ni le ministère n’a de budget pour ce qui est un véritable théâtre d’opéra, et pas simplement une salle de concert. Jusqu’à la réouverture en 2009, la dimension lyrique avait toujours été très faible, pour des raisons de coût. J’ai donc dû partir à la recherche de financements, complétés par les bénéfices réalisés avec d’autres manifestations, comme les Grandes Eaux musicales. Jusqu’ici, le mécénat se limite à des sommes relatives, et j’espère en trouver de plus significatifs, qui permettront de financer la construction de décors.

La première année fut une saison test, il fallait voir comment l’opéra de Versailles pouvait fonctionner. Dès la deuxième, nous avons atteint une certaine qualité de travail, de haut niveau à défaut d’être idéale, et nous avons accueilli Atys de Lully dans de bonnes conditions, alors qu’il s’agissait d’un spectacle très lourd. Maintenant nous pouvons quasiment tout faire, dans la limite de nos capacités techniques et budgétaires. En quelques années, nous avons construit un public, en adaptant nos propositions à ce que ce public attend et à ce que le lieu peut accueillir techniquement et historiquement.

En matière de répertoire, les théâtres ont toujours été construits pour qu’on y joue le répertoire à venir, et c’est le XXe siècle qui a inventé l’idée de théâtres voués au répertoire passé ! Dans les années 1770, quand l’opéra de Versailles a été construit, il était destiné aux œuvres modernes ; il existait un culte du passé, mais d’un passé récent, et remis au goût du jour : en un siècle, les traditions d’interprétation avaient changé, et Lully revu par Dauvergne et Francœur devient de la musique tonitruante ! Dans ce théâtre construit pour des fêtes de mariage, on n’a donné en vingt ans qu’une vingtaine de représentations. Son répertoire ne peut donc pas se limiter à ce qu’on y a joué entre 1770 et 1789 (Mozart en serait d’ailleurs exclu !), ni même aux seules œuvres composées durant cette période. C’est un théâtre qui a une très forte charge historique, monumentale. Le lieu n’a rien d’anodin, avec son faste impressionnant, les gens viennent aussi pour cela.

Quant à la programmation, nous devons pour le moment nous contenter de reprendre des productions créées ailleurs. Le tout est de trouver une cohérence : on peut monter ici tout ce qui est « baroque » au sens extrêmement large du terme, de Monteverdi (voire avant) jusqu’à Mozart, et je crois légitime d’y monter le grand répertoire français, avec Carmen cette année, ou La Traviata, opéra qui se passe en France. Pour les œuvres des XIXe et XXe siècles, coûteuses à présenter, il y a d’autres endroits plus adaptés. En programmant chaque saison un opéra de cette période, je contente le public et j’évite de m’enfermer dans le répertoire baroque/classique. Il est hors de question de se limiter à des mises en scène tenant de la reconstitution historique ; un spectacle très contemporain peut parfaitement rendre justice à une œuvre de Marc-Antoine Charpentier. En matière de redécouverte d’œuvres, je suis moins féru de nouveautés totales que mes collègues du CMBV, dont c’est la mission, et avec lesquels nous coréalisons une dizaine de spectacles chaque saison ; dès lors que je montre ici une œuvre des XVIIe et XVIIIe siècles, c’est souvent la première fois que le public la découvre. 80% des spectateurs n’ont jamais entendu les opéras baroques qu’on donne à Versailles. Rejouer Lully ici paraît une évidence, d’autant plus que c’est une musique qu’on n’entend guère ailleurs. Haendel est désormais au répertoire des grandes maisons d’opéra, mais tout le reste est encore rarissime. Il n’est donc pas indispensable d’exhumer une œuvre oubliée pour que ce soit une nouveauté pour le public. Mon ambition est claire : faire venir de grands interprètes d’aujourd’hui, qui posent leur marque dans un lieu d’exception d’hier, afin d’offrir de grands moments au public.

Ce printemps, nous lançons avec le label Alpha / Outhere une collection d’enregistrements réalisés à Versailles. Les premiers à paraîtres seront le magnifique Dardanus de Rameau donné au printemps 2012 par Raphaël Pichon, le Pyrrhus de Pancrace Royer recréé en septembre dernier, et un disque consacré à « Deux siècles d’orgue » à la chapelle royale. Il y a aussi en projet un disque réunissant le Te Deum de Lully et celui de Charpentier, avec Vincent Dumestre. En juin, notre « festival » prendra une forme un peu différente, car après Vivaldi et Haendel, il était difficile de trouver un autre compositeur offrant la même possibilité « monographique » ; on se concentrera désormais plutôt sur un thème, ou sur une époque, comme le fait « La Folle Journée » de Nantes. Cette édition 2013 tournera plutôt autour de Le Nôtre (on fête ses 400 ans !) avec des projets liés aux jardins de Versailles et au temps de Louis XIV (William Christie et Christophe Rousset s’y attellent) et aussi un thème Mozart, avec notamment le Don Giovanni venant de Montpellier, et le Requiem par Laurence Equilbey et son orchestre, mais nous aurons aussi un récital de Cecilia Bartoli, qui chantera les airs de son disque Mission dans plusieurs lieux du château, un récital Bejun Mehta, un autre de Magdalena Kožená. Et John Eliot Gardiner donnera les oratorios de Pâques et de l’Ascension de Bach : il adore diriger dans la chapelle car cela a évidemment plus de sens et une acoustique plus idoine que de jouer Bach dans des salles de concert. Et pour 2014, nous travaillons ensemble sur un concert réunissant trois pièces sacrées de compositeurs majeurs du XVIIIe siècle : In convertendo, de Rameau, le Dixit Dominus de Haendel, et la cantate de Bach Christ Lag in Todesbanden.

En 2014, on fêtera bien sûr le 250e anniversaire de la mort de Rameau. Le Centre de Musique Baroque de Versailles coordonne cette année commémorative, et nous allons avoir à Versailles un projet commun décliné sur plusieurs concerts et spectacles. Par ailleurs, nous poursuivrons notre partenariat avec certaines personnalités que nous suivons depuis quelques années, notamment Max-Emmanuel Cencic, qui développe de plus en plus de projets : nous aurons en mai-juin 2013 Alessandro de Haendel en version scénique, un spectacle créé à Athènes, le splendide Artaserse de Vinci créé en version scénique à Nancy pourrait être repris en 2014. L’ensemble Opera Lafayette de Washington reviendra pour un diptyque associant Cosí fan tutte à un opéra-comique de Philidor, Les Femmes vengées (1775), qui raconte un peu la même histoire en renversant les rôles.

Pour l’avenir, j’ai beaucoup de projets, plus ou moins réalisables. Pour 2015 ou 2016, nous aimerions donner en version scénique Alcyone, l’opéra le plus abouti de Marin Marais, jamais remonté en France depuis deux siècles, auquel Jordi Savall est très attaché. Nous cherchons actuellement avec Jordi des coproducteurs (il est question du Liceu de Barcelone entre autres), car ce sera une production coûteuse si l’on veut respecter l’œuvre, avec tous les ballets que prévoit la partition. Pour toute une génération de baroqueux, il est temps de réaliser les projets qui leur tiennent à cœur depuis longtemps, tant qu’ils en ont l’énergie : et pour Alcyone, Savall s’impose et ce sera un travail somptueux.

A plus long terme, j’aimerais beaucoup monter Tarare, de Salieri. En 1988, l’œuvre a été recréée par Jean-Claude Malgoire à Schwetzingen, Jacques Merlet m’avait emmené voir une représentation. Cette œuvre créée en 1787 est le seul opéra dont Beaumarchais ait directement écrit le livret. Deux ans avant la Révolution, il raconte l’histoire d’un général porté aux nues par le peuple et l’armée, dans un pays dirigé par un méchant souverain qui s’attaque à lui pour lui prendre sa femme. Alors qu’il aurait dû être massacré par l’ennemi, le général revient, le peuple prend fait et cause pour lui, destitue le prince et met le général sur le trône. C’est une œuvre emblématique, qui fut rejouée devant 10 000 personnes sur le Champ de Mars en 1792. Jean-Louis Martinoty, qui avait mis en scène le spectacle de Schwetzingen, prévoyait peut-être de le reprendre ensuite à l’Opéra de Paris dont il était alors directeur… En attendant Tarare, nous donnerons déjà en concert Les Danaïdes de Salieri dirigées par Christophe Rousset, l’an prochain, en coréalisation avec le CMBV.

Une autre piste que j’aimerais explorer est celle des opéras situés à Versailles ou pendant la Révolution. Il y a bien l’opéra de John Corigliano Ghosts of Versailles, mais je ne suis pas certain que l’œuvre mérite, musicalement, l’énorme effort financier qu’elle représenterait. Un opéra beaucoup plus intéressant serait en revanche Marie-Victoire, de Respighi, que j’ai vue au Deutsche Oper à Berlin il y a deux ans (l’enregistrement vient de sortir chez CPO). Respighi a composé en 1913 ce drame situé dans les environs de Versailles : on y suit le parcours chaotique d’une famille noble, des prisons de la Terreur jusqu’au projet d’assassinat de Napoléon en décembre 1800. Cet opéra composé en français était au départ une commande de l’opéra de Rome, mais la création en fut repoussée par la Première Guerre mondiale, après quoi il devint impossible de donner une œuvre qui mettait en cause la République française. La création n’a finalement eu lieu qu’en 2004 à l’opéra de Rome. C’est une œuvre longue, qui nécessite un grand orchestre et de nombreux solistes, je ne pourrais l’envisager qu’en coproduction avec un grand opéra de région. Ce n’est sans doute pas pour tout de suite, mais ce serait une ambition à la hauteur de l’exigence que Catherine Pégard, Présidente de Versailles et fanatique de musique, souhaite développer dans notre programmation. L’œuvre contient des merveilles, elle est d’une grande force dramatique, et aborde un sujet si rarement traité par l’opéra français (les revers politiques de l’histoire) qu’elle a vraiment une place à prendre dans le répertoire. Et plus encore à Versailles….
 
Propos recueillis par Laurent Bury le 29 novembre 2012

Prochains concerts à l’Opéra royal de Versailles :
– le 6 janvier 2013, « Gala Wagner : le concert de Vienne 1863 », avec Evgueni Nikitin, Endrik Wottrich et Les Musiciens du Louvre dirigés par Marc Minkowski
– les 19, 20, 22 et 24 janvier, King Arthur de Purcell, dirigé par Hervé Niquet, mis en scène par Shirley et Dino
Renseignements sur http://www.chateauversailles-spectacles.fr/

 

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