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Lucy Arbell, la légataire contrariée

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Actualité
6 août 2012

Infos sur l’œuvre

Détails

Malgré son nom aux sonorités anglo-saxonnes, la contralto qui fut l’égérie de la dernière décennie créatrice de Massenet n’avait pas grand-chose de britannique ou d’américain (contrairement à Sibyl Sanderson). Mais c’est sous ce pseudonyme qu’elle allait être associée aux derniers grands projets du compositeur, au point qu’on la soupçonne d’avoir été tendrement liée à lui, et qu’il devait la désigner comme la « légataire de sa pensée ».

Débuts

Georgette Gall (pour l’état-civil) est née le 8 juin 1878, de père inconnu. En juillet 1884, l’enfant fut reconnue par Edmond-Richard Wallace, rentier, chevalier de la Légion d’Honneur. Elle ne connut pas longtemps ce père, qui mourut en 1887, alors qu’elle n’avait que neuf ans. Et à douze ans, elle perdit son grand-père, Richard Wallace (1818-1890), qui légua à la ville de Londres la superbe collection de tableaux français qui porte son nom et qui offrit à la ville de Paris les fontaines qui portent également son nom.

On ignore quand la jeune femme rencontra Massenet : peut-être l’eut-il comme élève ? Dans Mes Souvenirs, le compositeur précise que Georgette Wallace travaillait au comptoir de la Duchesse d’Alençon au Bazar de la Charité et qu’elle fut l’une des rescapées du terrible incendie qui ravagea ce grande vente caritative le 4 mai 1897, auquel sa fille Juliette Massenet aurait dû participer.
En 1901, Massenet la connaît déjà assez bien pour dédier une mélodie, « On dit », suivie d’une autre en 1903, « Les yeux clos », à celle qui se fait désormais appeler Lucy Arbell. « C’est M. [Pedro] Gailhard, mon directeur de l’Opéra, qui m’a donné le pseudonyme de Lucy Arbell, mon nom de famille lui ayant paru trop long », confia-t-elle en 1912 au journal Excelsior. Le 23 octobre 1903, la contralto débute à l’Opéra de Paris, dans le rôle de Dalila. La même année elle est engagée à l’Opéra de Monte-Carlo dans le rôle de Maddalena de Rigoletto ; en 1904, elle chante Amneris.

Ariane – Thérèse – Bacchus

Le 31 octobre 1906, Abell crée le premier des nombreux rôles que Massenet composera à son intention : Perséphone dans Ariane. Non content d’écrire pour elle tout l’acte IV « presque un an après avoir achevé son ouvrage », et notamment l’air des Roses, il suit ses suggestions pour le reste : « Oct. 1905. Cette page [la douleur d’Ariane] m’a été conseillée par Mlle Georgette Wallace et j’ai écrit cela d’après son impression ». L’artiste déclare à la presse sa fierté de créer ce personnage : « Chanter ce rôle de Perséphone dans le quatrième acte de cette œuvre admirable est une joie émouvante pour moi ; Dire dans ce même actes les vers si beaux, si puissants, de notre grand poète Catulle Mendès est une fierté » (L’Echo de Paris, 28.10.1906). A l’art du chant Arbell combinait celui de la déclamation, or selon Massenet, « La difficulté, c’était de trouver l’artiste lyrique qui sache dire des vers ; je l’ai découvert : c’est Mlle Arbell » (entretien accordé au Figaro le 11 novembre 1906).

Personnage secondaire dans Ariane, Lucy Arbell occupe le centre de Thérèse, opéra en un acte créé le 7 février 1907  à Monte-Carlo (et à Paris le 19 mai 1911).S’il faut en croire les Souvenirs de Massenet, la gestation de Thérèse remonterait à l’année 1905, lorsque le compositeur visita avec Lucy Arbell le couvent des Carmes, rue de Vaugirard, guidé par l’historiographe Georges Cain (frère du librettiste Henri Cain). Au cours de la visite, une forme blanche apparut : ce n’était pas le fantôme de Lucile Desmoulins, « c’était Lucy Arbell qui, envahie par une crise poignante de sensibilité, s’était écartée pour cacher ses larmes. Thérèse se révélait déjà… ».

Les relations entre le compositeur et la chanteuse deviennent peu à peu plus intimes. Massenet lui rend fréquemment visite à Saint-Aubin-sur-mer, dans le Calvados. Dès l’été 1906, tandis que Lucy Arbell se remet d’un accident d’automobile, Massenet séjourne chez elle, à la Villa Favorite. En juillet 1908, c’est dans la propriété de Lucy Arbell que Massenet mena à bien la composition du nouveau tableau de Sapho, destiné à la reprise de cette œuvre à l’Opéra-Comique.

Après le succès d’Ariane, et même dès avant, à en croire Massenet, un diptyque aurait été conçu en collaboration avec Catulle Mendès. Le librettiste souhaitait faire d’Ariane l’héroïne de deux opéras. Et naturellement, un rôle important devait y être réservé à Lucy Arbell.  « La grosse question à l’Opéra, […] c’est l’éléphant de Bacchus. Mlle Lucy Arbell doit faire, dans Bacchus, son entrée sur un éléphant » dit Le Courrier Musical en avril 1907, mais il semble qu’il s’agisse uniquement de battage publicitaire, car aucun pachyderme n’est mentionné dans la documentation conservée. La création de Bacchus eut lieu à l’Opéra de Paris le 5 mai 1909, mais au triomphe espéré se substitua un échec retentissant, qu’on attribue parfois à un déchaînement d’hostilité contre Mendès, mort peu auparavant et donc désormais incapable de jouer de ses relations.  Dans la presse, les remarques malveillantes ne manquent pas au sujet de Lucy Arbell : on rappelle qu’elle ne doit son engagement qu’à la pression de Massenet, et que le rôle d’Ariane a cette fois été délibérément sacrifié par le compositeur pour renforcer celui de la reine Amahelli. Selon le critique du Gil Blas, Arbell « chante mal et sa voix est désagréable », malgré ses qualités dramatiques.
                                                              

Ultimes créations

Don Quichotte (créé à Monte-Carlo le 19 février 1910, à Paris le 12 décembre de la même année) réserve à Lucy Arbell un personnage magnifique : celui de Dulcinée, propulsée du rang de simple paysanne à celui de femme fatale entourée d’une cour d’admirateur, prise de mélancolie face à l’inéluctable passage des ans.

Massenet s’étant fait installer le téléphone en 1906, il appelait souvent Arbell pour lui demander son avis au sujet de ses compositions. C’est elle qui lui aurait suggéré de mêler chant et déclamation, et en 1911, proposa le nom de l’œuvre, Expressions lyriques, cycle « parlé-chanté ». Le texte de la mélodie Mélancolie pourrait être d’elle.

Roma est créé le17 février 1912 à Monte-Carlo (Paris le 24 avril 1912). Pour que Lucy Arbell puisse parfaire son interprétation du rôle de Posthumia, la grand-mère aveugle de l’héroïne, Massenet l’accompagne aux Quinze-Vingt afin d’étudier différents types d’aveugles. Dans ce qui apparaît alors comme l’un des plus beaux rôles de sa carrière, elle fit valoir ses qualités de tragédienne ; la critique salue chez « la sincérité profonde qui émeut et le caractère de grandeur qui s’impose » ; « Ses attitudes et ses gestes en parfaite corrélation avec la musique, en réalisent avec puissance toutes les intimes intentions scéniques ». Rappelée quatre fois à la fin du quatrième acte, on la compare à Sarah Bernhardt, qui avait connu un triomphe dans ce même rôle lors de la création de Rome vaincue en 1876 à la Comédie-Française (en 1896, lors d’une soirée donnée au Théâtre de la Renaissance en l’honneur de la grande Sarah, le quatrième acte de cette pièce de avait été repris avec le premier acte de Phèdre).

Le 25 avril 1913, alors que le compositeur s’est éteint près d’un an auparavant, Arbell crée son dernier rôle massenétien, Colombe dans Panurge, au Théâtre de la Gaîté, à Paris. De 1911 à 1914, dans la troupe de l’Opéra-Comique, elle s’attire des critiques louangeuses dans les rôles de Charlotte de Werther de Massenet, Fricka dans la Walkyrie, Uta dans Sigurd de Reyer. Jugée suffisamment belle pour participer au « concours de Joconde » organisé en 1911 après le vol de l’œuvre de Léonard de Vinci au Louvre, Lucy Arbell était sans doute une authentique tragédienne, admirée pour son tempérament dramatique, mais sa voix de mezzo-soprano ne lui valut pas que des éloges ; Alfred Bruneau la traita même de « contralto blafard ».
                                                                                                                                    

L’affaire Cléopâtre

Le 23 février 1914 voit la création à Monte-Carlo du dernier opéra de Massenet, Cléopâtre. Et alors que le rôle-titre a été écrit pour Arbell, il est confié à Marie Kouznetzoff, qui avait tenu le rôle de Fausta dans Roma. Celle-ci est soprano, mais on réécrit la partition (trois cents passages transposés !) pour qu’elle puisse incarner Cléopâtre. Lucy Arbell devient officiellement persona non grata, probablement parce qu’éclate enfin au grand jour l’animosité de madame Massenet envers cette « créature » chez qui son défunt mari avait passé tant de temps, cette « amie » de son époux qu’elle qualifiait, raconte-t-on, de première vache née à Egreville… Lucy Arbell intenta un procès, et le gagna, mais le jugement fut cassé pour vice de forme. La Première Guerre mondiale éclata et l’affaire fut classée sans suite ; Elle fut de la même façon écartée de la création d’Amadis, ainsi que d’un projet de film d’après La Navarraise, mais put du moins chanter Cléopâtre à Bordeaux et à Nantes.

Vers 1910, Massenet avait repris la partition d’Amadis, œuvre composée une vingtaine d’années auparavant. Le rôle travesti du chevalier avait d’abord été conçu pour la mezzo Jeanne Raunay (à qui Fauré dédicaça sa Chanson d’Eve, et Chausson sa Chanson perpétuelle), mais le compositeur remania sa partition pour en réserver le rôle-titre à Lucy Arbell. Un codicille ajouté à son testament le 18 janvier 1912 le précise : « Je désire d’une façon absolue pour la création du rôle d’Amadis Mlle Lucy Arbell de l’opéra. Cette remarquable artiste créera ce rôle et chantera les représentations qui suivront dans le théâtre où l’on jouera Amadis, opéra légendaire en 4 actes, poème de Jules Claretie, de l’Académie française, musique de J. Massenet. Je signe cette déclaration en cas de ma mort et si l’ouvrage est représenté, soit de mon vivant, soit après ma mort ». Deux autres codicilles, rédigés en mai, réitèrent ce vœu, qui ne sera pourtant pas suivi d’effet. En 1922, quand l’ouvrage sera créé à Monte-Carlo, Arbell s’est déjà quasiment retirée des scènes pour se consacrer à des œuvres charitables, notamment en faveur des orphelins. Tout juste donna-t-elle encore quelques récitals, même si elle fit encore quelques apparitions en Dulcinée, à l’Opéra-Comique à l’automne 1924 et en janvier 1931. Elle mourut à Paris en 1947, à 69 ans.
                                                                                                              

On ne possède apparemment aucun enregistrement de cette voix qui fut pourtant à l’origine des dernières œuvres de Massenet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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