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Philippe Cassard: « La première fois, Natalie Dessay m’a dit : Je suis chanteuse d’opéra, le récital m’ennuie à mourir ! »

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Interview
22 mai 2014

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Connu pour ses interprétations de Debussy ou de Schubert*, le pianiste Philippe Cassard est devenu familier des amateurs d’art lyrique grâce au récital Debussy qu’il a enregistré avec Natalie Dessay et qu’ils ont donné un peu partout en concert. Alors que le tandem s’apprête à récidiver, ce mardi 27 mai Salle Gaveau, revenons sur la carrière d’un pianiste qui aime les voix.

 

Quand avez-vous commencé à accompagner des chanteurs ?

Cette activité parallèle et complètement assumée remonte aux années que j’ai passées à Vienne. J’avais 19 ans quand je suis parti pour faire des études de piano à la Hochschule für Musik, j’étais inscrit dans une classe de piano, mais au bout de quelques semaines, mon professeur, le regretté Hans Graf m’a dit : « Toi qui me parles constamment de Lieder, pourquoi n’irais-tu pas accompagner les élèves de la classe d’Erik Werba ? ». Je suis donc allé frapper à la porte de ce grand professeur, homme extrêmement cultivé, dont beaucoup de chanteurs et chanteuses très connus voulaient faire leur partenaire : les Seefried, Ludwig, Schreier, Dermota, Prey, Lucia Popp… ils ont tous travaillé avec lui. C’était un professeur de Lied, mais il avait besoin d’un bataillon de pianistes pour accompagner ses jeunes élèves. Et j’ai adoré ça : ce fut un bain non pas d’acide mais de miel schubertien, wolfien, straussien, tous ces compositeurs qu’il adorait. Très vite j’ai lu, plutôt que travaillé, énormément de Lieder, et au bout de 3 semaines, il m’a dit qu’il avait besoin d’un accompagnateur pour une étudiante japonaise qui présentait Frauenliebe und Leben en audition, voilà comment ça a commencé. Je me suis mis à jouer régulièrement en public et j’ai dû me mettre à niveau pour les transpositions. En deux ans, j’ai accompagné plus de 250 lieder de Schubert, beaucoup de Schumann, surtout tardifs, comme « Dein Angesicht », des Lieder n’appartenant à aucun cycle ; peu de Hugo Wolf, une trentaine, car c’est une musique ardue, sur des textes compliqués que peu de jeunes chanteuses étaient à même de comprendre et d’interpréter.
Werba avait quasiment une relation père-fils avec moi, Il m’appelait « Mein kleiner Franzose », car j’étais le petit Français égaré dans cette vénérable institution où la langue allemande dominait sans partage. Ensuite je lui ai proposé de lui tourner les pages durant ses récitals. On apprend beaucoup en tournant les pages. Werba n’était pas un « grand » pianiste, il était souvent un peu raide, il ne travaillait plus beaucoup, mais c’était un vrai musicien, avec une écoute en osmose totale avec le chanteur. En récital, tout peut arriver, j’ai été témoin d’accidents de mémoire colossaux de la part des chanteurs, qu’il rattrapait avec un métier, une sûreté, un tact ! J’arrivais dix minutes avant dans les loges pour découvrir les partitions, il était au piano et s’imposait des transpositions invraisemblables, à la quinte ou à la tierce, à la quarte augmentée, juste pour garder l’esprit vif. Et pas sur du Mozart, non, sur des Strauss, du Wolf. J’étais très impressionné, surtout quand on sait la complexité des accords de ces compositeurs, même dans le ton original.

Plusieurs fois, Christa Ludwig est venue donner des récitals, et c’est ainsi que je l’ai rencontrée : j’ai eu beaucoup de chance, car entre 1982 et 1985, elle a énormément chanté à l’Opéra de Vienne afin de devenir Kammersängerin. Je l’ai vue dans toute une série de rôles : Waltraute, Clytemnestre, Quickly, la Comtesse de La Dame de pique, Clairon dans Capriccio… J’adorais son timbre et ses récitals me bouleversaient. Auparavant, je ne la connaissais que par le disque. Elle arrivait 5 minutes avant le début du concert, passait sa robe, et hop, en scène ! Elle donnait le programme à Werba en entrant, et là, c’était la joie incarnée, un moment de ferveur partagée avec le public, une grande complicité avec son pianiste, sans oublier quelques sourires au tourneur de pages. Elle parlait couramment le français, nous avons un peu échangé. J’ai tourné les pages pour six ou sept de ses récitals. J’étais fasciné par cette artiste qui avait eu le courage de refuser Böhm, Karajan et Bernstein les rôles les plus meurtriers, qu’elle aurait certes pu chanter deux ou trois fois. Mais elle a eu la sagesse de savoir se limiter, Léonore est le seul rôle très lourd de soprano dramatique qu’elle ait abordé en scène.

Une fois rentré en France, vous vous êtes fait connaître comme soliste et non plus comme accompagnateur.

Oui, mais le chant ne m’a pas lâché pour autant. A mon retour de Vienne, comme je ne gagnais pas encore ma vie grâce aux concerts, je suis devenu accompagnateur de la classe d’art lyrique de Xavier Depraz. Ce fut un moyen pour moi de me colleter au répertoire d’opéra : Les Noces de Figaro, Dialogues des Carmélites… Il avait une chef de chant, moi j’étais le pianiste accompagnateur.
Et en 1985, le Chatelet organisait une série « Grands interprètes et jeunes talents », dans laquelle un artiste connu parrainait un jeune. Quand on m’a proposé d’en faire partie, j’ai appelé Christa Ludwig qui habitait alors Saint-Nom-la-Bretèche, et elle a aussitôt accepté ! Elle a composé un très joli programme, avec un répertoire qu’elle ne chantait pas souvent : des mélodies de Mendelssohn, quelques Schumann, les Mélodies tziganes de Dvorak, 2 Wolf. Quand je suis allé chez elle en novembre 85, sa mère – qui avait été son professeur – était très malade. Une des Mélodies tziganes de Dvorak évoque justement la figure de la mère, l’enfance, et pendant la répétition, Christa Ludwig a fondu en larmes. On avait envie de lui faire un gros bisou, tant elle était maternelle, souriante, bienveillante. Voilà quelqu’un qui répétait très peu, mais elle était extrêmement professionnelle, elle connaissait sur le bout des bois les parties de piano, tout était parfaitement clair dans sa tête. Ce qu’elle ne m’avait pas dit, c’est que par moments, au concert, elle pouvait s’affranchir complètement de ce qui avait été établi à la répétition, elle s’autorisait un rubato inattendu, une envolée, elle restait sur une note et il fallait alors être réactif à la seconde. Cette liberté qu’elle se donnait au concert, je ne l’ai retrouvée pratiquement avec personne par la suite.

Vous avez vite été reconnu comme un grand spécialiste de Debussy, et vous avez enregistré plusieurs disques de mélodies.

J’ai fait la connaissance de Véronique Dietschy en 1989. Cette rencontre avait été provoquée par Jean-Marc Granet-Bouffartigue, alors directeur de l’Association Française d’Action Artistique. Il aimait beaucoup Véronique, et lors d’un dîner où il me l’a présentée, nous avons décidé de travailler Debussy ensemble (mon intégrale au disque était déjà en cours). Tout ce qui peut élargir mon champ de vision et de connaissance m’intéresse : quand on est pianiste, il me semble aberrant – même si c’est hélas une attitude fort courante – de se limiter au répertoire de piano, en jouant quelques concertos et en faisant à la rigueur un peu de musique de chambre. Travailler avec un chanteur, ça ne signifie pas se voir deux jours sans avoir rien préparé. En une heure de répétition, on n’a pas le temps de comprendre la respiration du chanteur, sa façon d’aimer un texte, de placer ses sons. Le travail avec Véronique Dietschy m’a permis d’explorer un répertoire que je connaissais assez peu. Comme j’adorais Debussy, je découvrais beaucoup d’analogies, de correspondances, ça me donnait l’occasion d’approfondir ma connaissance de Pelléas. Tout tourne autour de Pelléas, même dans les mélodies, on le ressent bien : Bilitis, écrit pratiquement en même temps, explore l’idée du chanté-parlé, avec des moments où la voix est seule, et très peu d’ambitus (quand il y a une sixte, c’est un coup de théâtre !). Véronique est une musicienne hyper-sensible, avec un timbre de voix singulier, une belle diction, proche du parlé. Elle était vraiment dans la narration, dans le texte, et sa voix passait d’ailleurs mieux au disque qu’au concert, qui dévoilait ses fragilités. Le problème, c’est que nous avons vite atteint les limites techniques de Véronique. Elle souffrait en outre d’un trac terrible que je devais éponger comme un coussin ; dans ces cas-là, le pianiste doit être solide comme un roc, il n’a pas le droit à la moindre faiblesse. Cela a fini par s’avérer épuisant. Quand elle a voulu enregistrer Duparc, j’ai mis fin à notre collaboration ; même Fauré me semblait trop large pour elle. Je le dis sans la moindre animosité. Pourtant, nous avions fait un peu de Schumann ensemble, et c’est une musique de chair, qui n’a rien de chétif, une musique sanguine, charnelle, sexuelle, cela doit se sentir dans le piano et dans la voix. J’ai aimé travailler Frauenliebe und leben avec des chanteuses comme Donna Brown ou Catherine Dubosc.

A vous entendre, on pourrait croire que vous n’avez travaillé qu’avec des chanteuses…

Erreur ! En 1993, j’ai rencontré Wolfgang Holzmair en Finlande, où le directeur d’un festival nous avait arbitrairement appariés. Il composait ses programmes en véritable architecte. Premier lied du concert : « Erlkönig », on continuait avec « Le Nain », de sorte qu’après ça, j’avais les mains en bouillie. Toute la première partie était composée de superbes ballades de Schubert. Même quand le texte est bavard ou creux, la grâce de la musique habite les mots (je pense par exemple à « Viola », dix-sept minutes de paroles d’une banalité totale sur la violette, poème que la musique rend sublime). C’est Holzmair qui m’a appris à accompagner les grands mélodrames schubertiens. Il était passé par la classe de Werba, mais on ne s’est pas croisés à Vienne. Pour moi, c’est aussi le plus grand interprète des Histoires naturelles de Ravel, je n’ai jamais rencontré aucun chanteur qui dise et chante ainsi la prose de Jules Renard. Nous allons d’ailleurs redonner ce cycle en juin, dans le cadre d’une sorte de tournée d’adieux qu’il effectue avec tous ses pianistes, pour mettre un terme à sa carrière de récitaliste. Après Christa Ludwig, je rencontrais pour la première fois un artiste en quête d’absolu, pour qui le concert est un champ d’expérience illimité, un objectif vers lequel tend la journée entière. J’ai mis des années à comprendre comment faire fonctionner tout le corps et tout le cerveau en vue du concert, afin d’être à 150% ou 200% de ses capacités. Holzmair réfléchit beaucoup, c’est un chanteur intellectuel, mais pas abscons, il se documente, dévore poésie, théâtre et littérature. Mais il a aussi un côté animal qui échappe peut-être au public, mais que je sens, moi qui suis à deux mètres de lui. Il réalise un travail intellectuel sur le son, mais il pousse aussi le don de soi jusqu’à la transe, comme dans les six Heine du Schwanengesang (en terminant par « Der Doppelgänger » plutôt que par « Die Taubenpost », ce dernier faisant figure de simple après l’autre, tellement on est empoigné par la force émotionnelle de « Doppelgänger »). Wolfgang Holzmair est totalement habité par cette poésie pleine de sarcasme, de noirceur, et il est difficile pour moi, sensible comme une midinette, de rester de maître de mes émotions, au service du chanteur, quand l’intensité est si forte qu’elle déteint sur moi. Je dois me ramener constamment à mon statut de pianiste accompagnateur, ne pas écouter le chanteur comme si j’étais dans le public.

Revenons-en aux chanteuses, car il faut bien en arriver à votre collaboration avec Natalie Dessay.

Avec Natalie, c’est comme un conte de fées, qui a profondément changé ma vie ! Tout a commencé lorsqu’une dame assez âgée, Francine Perrot, qui a aujourd’hui 86 ans, m’a fait don de manuscrits de Debussy. Des Mélodies d’un Debussy de 20 ans, datées dans un coin, clairement écrites pour Marie Vasnier. Quand je les ai lues, je me suis dit : en France, qui pourrait les chanter ? Sandrine Piau, mais elle avait déjà gravé un disque Debussy. Véronique Gens, mais elle s’orientait déjà vers un autre répertoire. Et il y a des vocalises, notamment dans « Les Elfes », mélodie très longue et d’une redoutable difficulté. Et là j’ai pensé : Il n’y en a qu’une qui peut avoir ce peps, cette gaieté, cette virtuosité, et c’est Natalie Dessay. Alors je lui ai écrit. Je l’avais vue dans Pelléas au Theater an der Wien, j’avais été stupéfait qu’elle aborde Mélisande et s’en tire bien, elle évitait tout côté geignard et faisait du personnage une femme écrasée par la gent masculine (et Stéphane Degout était formidable). Je lui disais : 2012 arrive, pour le 150e anniversaire de la naissance de Debussy, vous pourriez ne pas être seulement l’interprète, mais la créatrice de ces mélodies. Le problème, c’est qu’en 2010, Natalie Dessay était encore en plein dans sa carrière d’opéra, elle n’avait pas encore conceptualisé l’idée qu’elle allait quitter ce monde. Elle m’a répondu : Je suis chanteuse d’opéra, le récital m’ennuie à mourir, mais venez quand même me montrer vos manuscrits. Après une après-midi chez elle, où on a déchiffré vaguement les pattes de mouche de Debussy, ça lui a donné l’envie de ressortir des fonds de placard, des partitions qu’elle avait travaillées avec son professeur Ruben Lifshitz. Elle a repris « Apparition », sur un poème de Mallarmé, et à ma plus grande surprise, tout est ressorti comme au premier jour : un contre-ut d’une beauté insolente, tout le phrasé, tout le texte. Natalie apprend lentement, mais quand c’est dans la tête, c’est pour la vie. J’étais éberlué. Elle avait la bonne énergie pour cette musique, car je n’aime pas les Debussy nébuleux, faussement impressionnistes ; Debussy était un homme à femmes, et sa musique le montre bien ! Quant à Natalie, ça l’a ébranlée, de sentir que sa mémoire ne l’avait pas trahie, que les notes arrivaient facilement. Elle a décidé en quelques jours : au départ il n’y avait qu’un projet de disque, mais j’ai réussi à la persuader de donner aussi une série de concerts. Ce furent ses premiers récitals vingt ans après ses débuts. Son état de peur panique avant d’entrer sur la scène de l’Opéra de Montpellier, le premier concert de la série, fut très touchant pour moi, cela m’a marqué. On ne connaît pas d’elle cet aspect-là quand on voit la niaque qu’elle a en scène, alors que le simple fait de se projeter sur une scène de récital avec juste un piano derrière elle la plongeait dans les affres. Pourtant, en deux minutes, la messe était dite, elle était dedans, elle avait, de manière totalement intuitive, recréé un espace de jeu avec les mots, une complicité avec moi, elle se promenait tout autour du piano, très à l’aise : cette liberté qu’elle ne soupçonnait pas, elle l’a trouvée d’emblée, cela lui a aussitôt donné la confiance dont elle a besoin pour donner le meilleur d’elle-même et je crois aussi que ç’a été un accélérateur de décision par rapport au monde de l’opéra : elle découvrait qu’il y avait un lendemain possible dans le récital.

Entre elle et vous, c’est donc une longue collaboration qui ne fait commencer ?

Nous avons en effet plusieurs projets. Un nouveau disque est prévu début 2015. Nous poursuivons dans la mélodie française, mais nous abordons aussi le Lied. Et comme Natalie voulait s’assurer de la justesse de ses options dans ce répertoire allemand, nous avons demandé à Wolfgang Holzmair de venir nous faire travailler les Lieder. Pendant deux jours, nous avons vu tout le programme, avec beaucoup de respect l’un pour l’autre, mais aussi beaucoup de confiance et de bienveillance. Wolfgang a été merveilleux, car dans mon salon, Natalie ne peut pas être la bête de scène qu’on connaît. Malgré tout, elle lui a offert une vision assez précise de ce qu’elle avait envie de faire, et il lui a donné d’excellents conseils, sur des détails : les respirations, la tenue d’une note, la façon de faire tomber le son ou d’enchaîner un phrasé. Il nous a même conseillé pour l’agencement du programme, on a interverti des Lieder. Il a une telle expérience du récital ! Pour le français, il y aura des Duparc (« Extase » et « Au pays où se fait la guerre »), cinq Fauré (des Verlaine, à part « Après un rêve », chanté comme la vision nocturne d’un homme qui fantasme sur une femme, vision très libertine, très osée. Ce que Natalie en fait n’a rien d’académique, et c’est ce qui fait l’intérêt d’accompagner des chanteurs qui sont de véritables interprètes. Chez Poulenc, nous nous sommes tous deux découvert une passion pour Louise de Vilmorin, donc il y aura les Fiançailles pour rire, que nous allons enregistrer, avec les Trois Poèmes de 1937. Côté allemand, il y aura du Richard Strauss, du Clara Schumann et du Brahms. L’an prochain, il y aura du Schubert : « La Jeune Nonne », « Marguerite au rouet », « Ganymède » et quelques autres. Quand nous préparons un récital, ce sont les textes qui gouvernent les choix. Natalie n’aime pas les Schubert décoratifs ! Pour le concert, il y aura une première partie allemande et une deuxième partie française, qui se terminera par deux Debussy. Il y a deux ans, on nous a proposé de donner beaucoup de concerts en Chine, mais ils exigeaient des airs d’opéra, ce que Natalie a refusé catégoriquement : « Je n’ai pas quitté l’opéra où j’ai été servie par les plus beaux orchestres et les plus grands chefs pour chanter sur des transcriptions ! ». La seule concession, c’est « Tu m’as donné le plus doux rêve », de Lakmé, qui est tout sauf brillant.

Y a-t-il d’autres artistes que vous aimeriez accompagner ?

Je travaille déjà avec Karine Deshayes, qui était la Récitante de la Damoiselle Elue dans le disque Debussy de Natalie. Elle est venue travailler ces quelques phrases chez moi. Elle était non pas en recherche de pianiste, mais voulait un complément à sa carrière d’opéra qui est en train de prendre une envergure impressionnante. Nous avons maintenant quelques récitals prévus. J’aime beaucoup Karine ; je ne pourrais pas accompagner un chanteur dont je n’aime pas la voix. Karine a une facilité désarmante, et elle est toujours dans la volonté d’apprendre. Elle n’a rien d’une prima donna, elle n’a aucun orgueil mal placé. Je n’ai d’ailleurs jamais travaillé avec des prima donna, ça me gonfle ! Avec Karine Deshayes, j’ai joué Schéhérazade de Ravel dans la version piano : pour moi, c’est un vrai défi, car il faut essayer non de faire oublier l’orchestre, mais de recréer quelque chose, dans les timbres, les vibrations, sans que ça devienne un tsunami pour la voix. Natalie Dessay a une voix pleine d’énergie, mais légère, alors que Karine a une voix ample, d’un tout autre gabarit, dont les harmoniques ne sont pas les mêmes. Toutes proportions gardées, Karine Deshayes me rappelle Christa Ludwig, elle en a les graves et les aigus, et d’ailleurs je lui dis qu’elle doit travailler les grands lieder allemands. Avec tous les chanteurs je joue le piano grand ouvert : c’est un choix qui hérisse les accompagnateurs professionnels, mais je ne transige pas là-dessus. Je pense qu’un pianiste digne de ce nom a beaucoup plus de cordes à son arc avec un piano grand ouvert qu’avec un piano fermé ou à demi fermé. On fait de bien plus beaux pianissimos avec un piano grand ouvert : quand il est fermé, instinctivement on veut soutenir le son, et le piano devient mécanique, réduit au squelette, sans la magie de l’instrument. Le meilleur moyen de servir une voix, de lui préparer un écrin de sonorités subtiles, c’est un piano grand ouvert.

 

Propos recueillis par Laurent Bury le 12 mai 2014

 

>> Natalie Dessay, Philippe Cassard, Lieder et mélodies, Salle Gaveau, mardi 27 mai, 20h30, renseignements

 

* Un disque Schubert, enregistré à quatre mains avec Cédric Pescia, paraîtra le 23 septembre (La Dolce Volta)

 

 

 

 

 

 

 

 

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