Qu’est-ce qui vous a décidé à devenir chanteuse lyrique ?
Cela remonte à loin… Je devais avoir trois ou quatre ans. Je ne viens pas d’une famille de musiciens, mais d’une famille qui aime beaucoup la musique, même si mes parents ne la pratiquaient pas. À la maison, on avait une chaîne hi-fi avec des CD, et ma mère possédait une compilation des grands classiques. Un jour, je suis tombée sur l’air de la Reine de la nuit. J’ai été complètement fascinée. Je l’écoutais en boucle et j’essayais de reproduire ce que j’entendais. C’est à ce moment-là que ma mère, constatant que j’étais captivée par la musique et la voix, a décidé de m’inscrire au jardin musical. J’ai ensuite étudié la clarinette au Conservatoire des Lilas. Vers 13 ou 14 ans, lors d’une audition de solfège, les professeurs m’ont encouragée à faire du chant — ils ont tout de suite remarqué un potentiel. J’ai suivi quelques cours, puis mon parcours a été un peu flou, car je ne savais pas vraiment quelle voie suivre. Ne venant pas d’un milieu de musiciens, j’ai changé plusieurs fois de conservatoire jusqu’à rencontrer Sophie Fournier, ma professeure actuelle. C’est elle qui m’a poussée à viser plus haut, à intégrer une école supérieure. J’ai passé les concours de Lausanne et du Pôle Supérieur de Paris, et j’ai finalement choisi Paris, où j’ai obtenu mon DNSPM et mon diplôme d’études approfondies dans la classe d’Elsa Maurus et Yann Toussaint. J’ai terminé mes études il y a environ deux ans.
Comment vous avez connu le Concours des Voix d’Opéra d’Afrique?
J’ai découvert le concours sur Facebook, dès la première édition (ndlr : en 2021). J’avais écrit pour savoir si les candidats d’Afrique du Nord pouvaient participer. On m’avait répondu que tous les chanteurs du continent africain étaient les bienvenus. J’avais hésité à m’inscrire car je ne me sentais pas encore prête. L’année suivante, je me suis lancée : j’ai été sélectionnée pour la demi-finale, mais je n’ai pas pu y participer pour des raisons de santé. Cette année, j’ai décidé de retenter l’expérience, pour de bon.
Etre d’origine algérienne dans le monde de l’opéra aujourd’hui, est-ce un avantage ou un inconvénient ?
Dans mon cas, mes origines ne se lisent pas forcément sur mon visage, ni dans mon prénom, Camille. Taos, mon deuxième prénom, est kabyle. Mon père m’a donné ce prénom en hommage à Marguerite Taos Amrouche, une grande chanteuse kabyle qu’il admirait profondément. Avec son frère, Jean Amrouche, elle a remis au goût du jour la poésie et les chants traditionnels kabyles. Pardon, je digresse un peu ! Etre algérienne, kabyle, est ce un avantage ou un inconvénient ? Je ne saurais pas répondre précisément, mais j’ai toujours ressenti ma double culture comme une richesse intérieure. Ce n’est pas toujours simple à vivre, mais c’est clairement un atout personnel. Dans le monde de la musique classique, je pense que les discriminations sont moins fortes qu’avant, même si elles existent encore. C’est la raison pour laquelle que je trouve le Concours des Voix d’Opéra d’Afrique important : il met en lumière toutes les ethnies, toutes les cultures et toute la richesse du continent africain. Et surtout, il pose la question essentielle de l’accès à un enseignement musical de qualité, qui manque encore dans de nombreux pays d’Afrique.
En quoi ce premier prix dans la catégorie semi-professionnelle va vous aider dans votre carrière ?
Tout d’abord, me donner une meilleure visibilité. J’ai suivi un parcours atypique, assez long finalement. Et ma voix n’est pas une voix que je qualifierais de standard. Ce prix m’aide à me mettre en lumière, à gagner en reconnaissance et, je l’espère, à faire plus d’auditions. J’ai déjà été contactée par un agent, présent dans la salle lors de la finale du Concours. Je suis aussi très heureuse de participer à la tournée des Grandes Voix Lyriques d’Afrique, qui correspond pleinement à mes valeurs d’inclusion et de diversité culturelle. C’est une belle façon de me rendre visible tout en partageant ce que j’ai à transmettre, musicalement et émotionnellement.
De gauche à droite, Vanel Djoko (2e prix catégorie semi-professionnelle), Camille Taos Arbouz (1er prix catégorie semi-professionnelle), Patricia Djomseu, organisatrice du Concours International des Voix d’Opéra d’Afrique, et Johnny Mutombo (1er Prix catégorie Amateurs) © DR
Vous parlez d’une voix « non standard ». Qu’a-t-elle de particulier ?
J’ai toujours eu une voix plutôt grave, assez longue – – du Fa grave au Si-bémol aigu –, avec des facilités dans les vocalises — mais davantage dans le registre grave que dans les aigus. Pourtant, je ne suis pas contralto non plus. Je dirais que je suis un mezzo qui flirte un peu avec le contralto. Il m’a fallu beaucoup de temps pour trouver mon répertoire, parce que ce sont des tessitures souvent associées à des rôles de maturité. J’ai longtemps pu chanter des choses très diverses, ce qui rendait le choix difficile. Aujourd’hui, je sais que je suis le plus à l’aise dans un registre de mezzo grave. Je dirais aussi que j’ai enfin l’âge de ma voix (ndlr : une trentaine d’années) — ce qui n’était pas le cas avant — et que ma voix se développe pleinement maintenant. J’écoute beaucoup de mezzos ou de contraltos dans cette couleur-là. Des chanteuses comme Marie-Nicole Lemieux ou Ewa Podleś m’ont aidée à mieux cerner mon identité vocale.
Quel est votre répertoire exactement ?
En ce moment, je m’oriente plutôt vers des rôles graves de Rossini, comme Isabella dans L’Italiana in Algeri, Arsace ou Malcolm. C’est un répertoire vocalisant, grave, qui me correspond bien. J’ai aussi eu l’occasion de suivre une masterclasse avec Gemma Bertagnolli, une professeure italienne, qui m’a permis de découvrir le répertoire de Vivaldi. Elle m’a montré qu’il existait de nombreuses possibilités pour les mezzos à la tessiture grave, même sans être contralto. Donc Vivaldi, Haendel… Tout cela m’ouvre des perspectives intéressantes. J’ai cherché à recueillir plusieurs avis, y compris à l’international. Carola Guber, qui est professeure à Leipzig, m’a dit que ma voix pourrait évoluer vers le répertoire wagnérien. C’est aussi une piste que m’a suggérée Catherine Hunold.
Quelles sont les difficultés auxquelles une jeune chanteuse doit faire face pour réussir sa carrière ?
Les principales difficultés que j’ai rencontrées viennent du fait que, jeune, je me suis un peu laissée influencer. Comme j’avais des facilités, on m’a donné des conseils contradictoires qui ont créé de la confusion. On m’a dit tour à tour que j’étais soprano, contralto, puis mezzo. Il m’a fallu du temps pour m’affirmer et laisser ma voix s’épanouir dans le registre qui lui convenait. Heureusement, j’ai rencontré des professeurs comme Sophie Fournier, qui m’ont aidée à trouver la bonne voie. Récemment, une masterclasse avec Jennifer Larmore m’a aussi beaucoup éclairée sur mon répertoire. Le plus grand défi, pour une jeune chanteuse, reste de se faire une place. Le milieu est très compétitif, surtout parmi les femmes. Il faut éviter de forcer sa voix trop tôt dans un répertoire qui ne lui convient pas, et savoir faire preuve de patience. La particularité des voix graves est qu’il leur faut une certaine maturité pour s’épanouir, comme les grands vins.