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Adèle Charvet : Belle époque !

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CD
2 septembre 2025
Flamboyante !

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Jules Massenet (1842-1912)
Nuit d’Espagne (Louis Gallet), 1873-1874
Charles Koechlin (1867-1950)
Novembre (Paul Bourget), 4 mélodies op. 22, n° 2, 1901
Claude Debussy (1862-1918)
Apparition (Stéphane Mallarmé), 1884
Xavier Leroux (1863-1919)
Plainte d’Amour (Paul Gravollet), Les Frissons, 1905
Jules Massenet
Mélodie, Dix pièces de genre op. 10, n° 5, pour piano, 1866-1867
Ernest Chausson (1855-1899)
Le Colibri (Leconte de Lisle), ext. des 7 mélodies op. 2, 1882
Madeleine Dubois (fl. 1905-1942)
Spleen (Paul Verlaine), 1915
Louis Aubert (1877-1968)
Le Vaincu (Franz Toussaint), ext. des Six poèmes arabes n° 2, 1917
Gabriel Fauré (1845-1924)
La chanson du pêcheur (Théophile Gautier), ext. des 2 mélodies op. 4, 1870
Ernest Moret (1871-1949)
Tu peux baisser la tête (Georges de Porto-Riche), Elle et moi, 1904
Georges Enesco (1881-1955)
Entsagen (Carmen Silva, pseudonyme d’Élisabeth de Roumanie), 1907
Gabriel Fauré
En sourdine (Paul Verlaine), ext. des 5 mélodies [de Venise] op. 58, 1891
Romance sans paroles op. 17, n° 3, pour piano
Claude Debussy
La Chevelure (Pierre Louÿs), ext. des Trois Chansons de Bilitis, n° 2, 1889
Isaac Albéniz (1860-1909)
Paradise regained (Francis Burdett Money-Coutts),
ext. des Quatre mélodies op. 9, n° 2, 1909
Reynaldo Hahn (1874-1947)
L’énamourée (Théodore de Banville), 1891
André Messager (1853-1929)
La paix de blanc vêtue (Léon Lahovary), 1922
Claude Debussy
Préludes (livre 1), n° 8, pour piano, 1910
La Fille aux cheveux de lin,
André Caplet (1878-1925)
L’adieu en barque (Paul Fort), 5 ballades françaises, n° 5, 1921
Jules Massenet
Crépuscule (Armand Silvestre), Poème pastoral, 1872
Alfred Bachelet (1864-1944)
Chère nuit (Eugène Adénis), 1897

Adèle Charvet, mezzo-soprano
Florian Caroubi, piano

CD Alpha Classics
Durée totale : 69’28

Enregistré en septembre 2024 au TAP – Scène nationale de Grand Poitiers
Direction artistique et montage
Daniel Zalay
Prise de son et mixage
Olivier Rosset

Parution le 22 août 2025

La voix est opulente, dans une santé éclatante et Adèle Charvet, avec la complicité de Florian Caroubi, la met au service d’une anthologie de mélodies, quelques-unes fameuses à juste titre, d’autres méconnues, parfois non sans raisons… Le choix est intéressant, sort souvent des sentiers battus et assume le grand format vocal et pianistique, plutôt que la proximité d’un chant pour les micros. Tout cela, et le piano très timbré de Florian Caroubi, donne un récital de grand caractère.

Florian Caroubi, Adèle Charvet © Marc de Pierrefeu

« Belle époque » ? Pour la mélodie française, sans aucun doute. Sinon, l’expression est ambigüe, qui fit florès dans les années vingt pour dire la nostalgie d’une avant-guerre idéalisée, heureuse pour certains, d’une société sûre d’elle-même, d’une France mère des arts, rayonnant sur et par son Empire et dont la langue était parlée partout ou presque. Une avant-guerre où l’on ne songeait qu’à la revanche. Et la mélodie n’est-elle pas aussi la réplique au lied de la langue française ? Cette langue dont, au temps de Lully, était né le chant à la française. Roland Barthes disait que la mélodie française est « le champ (ou le chant) de célébration de la langue française cultivée ».

Adèle Charvet et Florian Caroubi en cours d’enregistrement © Marc de Pierrefeu

Les deux figures tutélaires de ce programme sont Fauré et Massenet, nés tous deux dans les années 1840. De leur enseignement, de leur influence, de leur ombre portée, découle toute la suite (pas seulement d’eux bien sûr, il faudrait aussi nommer parmi les pères tutélaires un Dukas ou un Lalo, et parmi les oncles Berlioz, Gounod ou Bizet…)

La quête du chant intime

Le timbre pulpeux fait d’emblée merveille dans Nuit d’Espagne, de Massenet, d’un pittoresque sans complexe sur un texte du prolifique Louis Gallet, librettiste par ailleurs de Thaïs, du Cid ou du Roi de Lahore. Et auteur du texte de la célèbre Élégie qu’on entend ici dans sa version initiale pour piano seul, op. 10 n° 5, mettant en valeur le toucher raffiné de Florian Caroubi. La troisième pièce de Massenet, son Crépuscule, est une des plus belles plages du programme, peut-être parce que Adèle Charvet y maîtrise sa grande voix, pour des demi-teintes en confidence, et atteint à ce « chant intime » dont parle François Le Roux.

Massenet est aussi présent par le biais de quelques-uns de ses disciples, Chausson, Reynaldo Hahn, Caplet, Moret ou Bachelet

Sensualité

Le Colibri d’Ernest Chausson ne cède pas au pittoresque tropical du sonnet de Lecomte de Lisle, mais devient une ballade mélancolique sur de beaux arpèges sensuels.
La sensualité, c’est bien ici le climat dominant, témoin la splendide Enamourée de Reynaldo Hahn, sublime mélodie, assez représentative de la manière d’Adèle Charvet, privilégiant plutôt la couleur musicale, disons le sentiment, l’esprit plutôt que la lettre. 

Adèle Charvet et Florian Caroubi en cours d’enregistrement © Marc de Pierrefeu

Quant à Fauré, il est présent en personne par sa Chanson du pêcheur, dont le texte de Théophile Gautier inspira à Berlioz l’une de ses Nuits d’été et à Gounod son Lamento. Les insaisissables modulations fauréennes se parent des couleurs fauves de la voix d’Adèle Charvet qui semble avoir atteint sa pleine maturité.

Encore plus belle s’il se peut, sur un poème sublime de Verlaine, En sourdine est d’un charme envoûtant. Le piano délicat de Florian Caroubi y est très en avant, et Adèle Charvet grâce à un souffle apparemment inépuisable peut y étirer à l’infini les lignes de la mélodie. Dans l’une et l’autre, l’interprète choisit de suggérer l’émotion, sans la surjouer. Et la Romance sans paroles qui sert de postlude à En sourdine a sous les doigts du pianiste un charme exquis, très « belle époque » justement.

Intériorité

Cette discrétion, cette approche feutrée font le charme aussi de Spleen (« Il pleure sur mon cœur »), d’après Verlaine dont la très mystérieuse Madeleine Dubois, disciple indirecte de Fauré (par le truchement de l’enseignement de Nadia Boulanger), donne une version émouvante de fragilité, d’intériorité, de retenue. Découverte précieuse comme l’est l’Adieu en barque d’André Caplet, certes élève de Fauré, mais surtout ami proche de Debussy, auquel le long prélude de cette mélodie sur un beau poème de Paul Fort semble rendre hommage, une musique merveilleusement liquide, qui inspire à Florent Caroubi, comme La Fille aux cheveux de lin qui lui sert de frontispice, un subtil jeu sur les timbres.

Adèle Charvet, Florian Caroubi © Marc de Pierrefeu

En revanche, Apparition, mélodie d’un jeune Debussy sur un texte du jeune Mallarmé, sonne assez décousu, un peu opératique, et convient sans doute mieux, avec ses périlleux sauts de notes, à une voix plus légère. On en dirait autant de La Chevelure (Debussy et Louÿs) : la voix d’Adèle Charvet semble d’un format un peu grandiose pour la petite Bilitis. De surcroît, ici comme ailleurs, son lyrisme passionné a pour contrepartie une diction quelque peu estompée, paradoxale pour une artiste aussi sensible à la poésie et aux mots.

Par contre, son timbre mordoré et son ampleur conviennent à l’esprit, à la gravité de Novembre, de Charles Koechlin, vaste (et très belle) mélodie d’abord mélancolique et de plus en plus dramatique à mesure qu’elle avance, se parant de teintes funèbres. Beaucoup d’intériorité de la part des interprètes et un jeu sur le temps et les silences intensément expressif.

Curiosités (ou pas)

Certaines plages sont à ranger sans doute au rayon des curiosités oubliables, telle la fastidieuse Plainte d’amour de Xavier Leroux, sur un texte pluvieux de Paul Gravollet (et la voix toujours dans la même zone du haut medium n’y semble pas très à son aise), ou le très opératique et bref (heureusement) Tu peux baisser la tête d’Ernest Moret, ou l’assommant et tapageur Vaincu de Louis Aubert sur un texte de Franz Toussaint qui ne vaut pas mieux… Là encore, est-ce un signe ? la voix n’y sonne pas des mieux.

Adèle Charvet, Florian Caroubi © Marc de Pierrefeu

D’autres sont des témoignages d’époque, ainsi La paix de blanc vêtue, d’André Messager sur des vers assez médiocres de Léon Lahovary (« La paix se vêt de blanc comme un petit enfant / Qui sourit à sa mère et sourit à la vie »). La musique n’est guère meilleure, mais on comprend bien à quel sentiment profond cela pouvait correspondre en 1922. Adèle Charvet la chante avec la sincérité qu’il faut.
De même qu’une mélodie langoureuse du bien oublié Alfred Bachelet, « Chère nuit… », composée en 1897 pour Nellie Melba et qui devint, on ne sait trop pourquoi, peut-être que parce c’est un excellent bis, une manière de passage obligé pour les sopranos les plus illustres : Claudia Muzio, Ninon Vallin, LIly Pons, jusqu’à Barbara Hendricks… Un de ces bibelots qui encombraient les étagères de nos grands-mères, et qui prenaient gentiment la poussière…

On signalera encore deux autres curiosités, le Entsagen d’Enesco (élève à la fois de Massenet et Fauré) : c’est une prière fervente sur un texte d’Elisabeth de Roumanie. Est-ce le fait qu’elle est en allemand, on perçoit là tout ce qui sépare le monde du lied de celui de la mélodie.
Quant à la pièce d’Albéniz, sur un poème en anglais de Francis Coutts, quelque fauréenne puisse-t-elle sonner, elle semble vouloir démontrer a contrario combien la mélodie est indissociable des sonorités de la langue française.

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❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
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❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

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Jules Massenet (1842-1912)
Nuit d’Espagne (Louis Gallet), 1873-1874
Charles Koechlin (1867-1950)
Novembre (Paul Bourget), 4 mélodies op. 22, n° 2, 1901
Claude Debussy (1862-1918)
Apparition (Stéphane Mallarmé), 1884
Xavier Leroux (1863-1919)
Plainte d’Amour (Paul Gravollet), Les Frissons, 1905
Jules Massenet
Mélodie, Dix pièces de genre op. 10, n° 5, pour piano, 1866-1867
Ernest Chausson (1855-1899)
Le Colibri (Leconte de Lisle), ext. des 7 mélodies op. 2, 1882
Madeleine Dubois (fl. 1905-1942)
Spleen (Paul Verlaine), 1915
Louis Aubert (1877-1968)
Le Vaincu (Franz Toussaint), ext. des Six poèmes arabes n° 2, 1917
Gabriel Fauré (1845-1924)
La chanson du pêcheur (Théophile Gautier), ext. des 2 mélodies op. 4, 1870
Ernest Moret (1871-1949)
Tu peux baisser la tête (Georges de Porto-Riche), Elle et moi, 1904
Georges Enesco (1881-1955)
Entsagen (Carmen Silva, pseudonyme d’Élisabeth de Roumanie), 1907
Gabriel Fauré
En sourdine (Paul Verlaine), ext. des 5 mélodies [de Venise] op. 58, 1891
Romance sans paroles op. 17, n° 3, pour piano
Claude Debussy
La Chevelure (Pierre Louÿs), ext. des Trois Chansons de Bilitis, n° 2, 1889
Isaac Albéniz (1860-1909)
Paradise regained (Francis Burdett Money-Coutts),
ext. des Quatre mélodies op. 9, n° 2, 1909
Reynaldo Hahn (1874-1947)
L’énamourée (Théodore de Banville), 1891
André Messager (1853-1929)
La paix de blanc vêtue (Léon Lahovary), 1922
Claude Debussy
Préludes (livre 1), n° 8, pour piano, 1910
La Fille aux cheveux de lin,
André Caplet (1878-1925)
L’adieu en barque (Paul Fort), 5 ballades françaises, n° 5, 1921
Jules Massenet
Crépuscule (Armand Silvestre), Poème pastoral, 1872
Alfred Bachelet (1864-1944)
Chère nuit (Eugène Adénis), 1897

Adèle Charvet, mezzo-soprano
Florian Caroubi, piano

CD Alpha Classics
Durée totale : 69’28

Enregistré en septembre 2024 au TAP – Scène nationale de Grand Poitiers
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Parution le 22 août 2025

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