C’est un album qu’on aurait aimé aimer davantage. On cherche à donner un nom à ce qui lui manque… la gaieté, la désinvolture, cet on-ne-sait-quoi qu’on nomme la sprezzatura…
Certes, la voix est belle, on la connaît, on l’aime et Forum Opera a souvent dit tout le bien que nous pensons du schubertien qu’est Andrè Schuen. Sa Belle Meunière et son Chant du cygne ont été ici couverts d’éloges.
Cet album veut être une évocation de son parcours (« Meine Reise mit Mozart ») en compagnie d’un compositeur élu de son cœur autant que Schubert. Un Mozart qu’il a beaucoup chanté et continue de chanter à la scène. Dont ce Figaro qui fut, dit-il, son premier rôle majeur à l’opéra.
Sous contrôle
De là l’étonnement que suscite le « Non piu andrai », première plage du disque, qui sonne monochrome et militaire au premier degré, sans le sourire, ni la nuance d’ironie affectueuse d’un Figaro essayant de mettre du baume sur le cœur de Cherubino partant pour l’armée.
Tout ce que devraient dire aussi les phrases descendantes des violons du Mozarteumorchester Salzburg et qu’on entend si peu ici sous la direction étonnamment un peu raide de Roberto González-Monjas, qui fut d’abord violoniste pourtant. S’agissant de Schuen, on reste décontenancé de cette rigidité (hormis un rallentando sur « poco contante » et une vocalise de son cru sur « quell’ aria brillante »), de ce soin du détail au détriment de l’essentiel : le théâtre, c’est-à-dire la vie.

De même pour le monologue, « Tutto è disposto – Aprite un po’ quegl’ occhi », dans un italien appliqué à l’excès, où tout reste sous contrôle, sans ce débordement de douleur et de rage à la fois qui donne sa grandeur au récitatif, ni la démesure bouffe de l’aria. Certes l’exécution vocale est d’un fini impeccable, aucune intention n’est négligée (les « il resto non dico »), la lecture de la pièce est scrupuleuse, il ne manque que la faconde et qu’un certain abandon…
On retrouve le liedersänger qu’est Andrè Schuen dans Abendempfindung, dont il est d’usage de dire que c’est le premier lied jamais écrit. Tant de scrupule dans la réalisation ne peut qu’être loué, cela va de soi. Si la voix s’assombrit parfois de façon peu naturelle, elle sait s’alléger en voix mixte. Mais sur le piano assez neutre de Daniel Heide, cela se déroule sagement, sans surprise, et semble long… Il en ira de même dans la romance Das Traumbild, en déficit de charme et de cantabile.

Le problème, c’est qu’avec un programme aussi rebattu que celui-ci, on est sans cesse tenté d’aller écouter ce que d’autres ont essayé et trouvé, un Cesare Siepi ou un Terfel pour Figaro, Dietrich Fischer-Dieskau pour Abendempfindung ou un Ezio Pinza étonnant dans l’air de concert « Mentre ti lascio, o figlia », qui chanté par Andrè Schuen a tout d’un pensum (ce qu’il est peut-être…, mais alors il faut l’aider). On a l’impression que la voix y cherche homogénéité et que l’ambitus très long de l’air l’oblige à des aigus un peu tirés. Là aussi on s’étonne du peu d’allant de la direction de Roberto González-Monjas, sans cette liberté qu’on aime chez lui.
Plus réussie la cantate maçonnique, « Die ihr des unermesslichen Weltalls Schöpfer ehrt », initialement composée pour voix haute, où le sérieux d’Andrè Schuen peut se déployer à loisir. La solennité de cette pièce lui suggère d’amples phrasés, d’une autorité et d’une hauteur de ton saisissantes. La voix, impressionnante de solidité, y est à son meilleur.

La gravité qui semble lui être naturelle n’en fait évidemment pas un Papageno natif… ! Il dessine, avec la gracieuse complicité de Nikola Hillebrand en Pamina, une jolie célébration de l’amour, « Bei Männern, welche Liebe fühlen », en revanche son air d’entrée « Der Vogelfänger bin ich ja » semble porter des semelles de plomb, d’autant qu’il est pris de surcroît dans un tempo très (trop) lent.
La fantaisie légère décidément n’est pas son fort, et l’air du catalogue, s’il est un régal au point de vue de la beauté de la voix, de son homogénéité, de sa maîtrise, de l’éclat du timbre, donne à entendre un Leporello plus élégant que débonnaire, comme si le souci de caractérisation du personnage importait moins que celui de respecter la moindre intention du texte musical. L’orchestration volubile de cet air est l’occasion d’entendre à loisir les belles sonorités du Mozarteumorchester Salzburg et notamment de ses bois.

Guglielmo (de Cosi fan tutte) reste l’un de ses grands rôles mozartiens et Schuen le prouve en restituant l’aria « Rivolgete a lui lo sguardo » (que Mozart remplaça par le plus vif « Non siate ritrosi »). C’est l’une des plages les plus réussies de cet album, justement parce qu’irriguée de vie, et que l’amusement s’accommode enfin d’un rien de laisser-aller dans cet air composé pour Francesco Benucci.
Affaire de tempérament
Cette aisance, elle est encore plus évidente quand c’est le comte Almaviva qu’il retrouve, celui qu’il a sans doute le plus chanté, un rôle sérieux qui n’est comique que malgré lui. Son duo avec Susanna, « Crudel! perché finora », de même que le récitatif, « Hai già vinta la causa ! » suivi de l’aria, « Vedrò mentr’io sospiro », conviennent idéalement à sa tessiture, mais aussi à sa personnalité, à ce goût de la netteté qu’il a, de la clarté du dessin.
Et Roberto González-Monjas, peut-être ressentant qu’on est là en plein dans la cible, dose judicieusement les ponctuations orchestrales, trouvant là une juste alacrité, pour souligner les amers « giubilar mi fa », impeccablement timbrés, du comte murissant sa vengeance.

L’album se clôt avec des extraits de Don Giovanni, d’une séduction très sage. Une sérénade (avec la mandoline d’Avi Avital auquel on offre aussi le bref « Komm, liebe Zither, komm »), un « La ci darem la mano », où Nikola Hillebrand est une idéale Zerlina et où Andrè Schuen n’est que charme aimable et onctueux, mais peu inquiétant, avant de terminer par un air du champagne, honorable sinon pétillant.
Bref un programme un peu impersonnel qui laisse une impression mitigée, soigné certes, avec de très beaux moments, mais dont on espérait qu’il ferait davantage et mieux que simplement tenir avec probité ses promesses.