Avec Libertas, son troisième album solo, le baryton Äneas Humm poursuit un chemin singulier dans le monde du Lied. Depuis Embrace, son premier disque accueilli avec chaleur par la critique, l’artiste s’est imposé comme une voix à suivre dans un répertoire qu’il cherche à renouveler, démarche souvent réservée aux chanteurs déjà aguerris. Libertas confirme cette volonté d’exploration, avec un programme très original qui s’aventure hors des sentiers battus et met en lumière des œuvres rares de Beethoven et Schubert, et deux compositeurs peu fréquentés, Joseph Marx et Amy Beach, véritable révélation de l’album.
La voix d’Aneas Humm demeure séduisante, un baryton de timbre agréable, mais elle reste assez standardisée. Si l’émission est saine et claire, elle se distingue rarement par une couleur vraiment personnelle. Dans les aigus, le chanteur force parfois la projection, ce qui a pour effet d’appauvrir les résonances dans le masque et de ternir la ligne. Cette tension empêche l’élan de se déployer pleinement et traduit une liberté encore incomplète. À plusieurs reprises, un peu d’affectation se glisse dans le discours, donnant l’impression d’un artiste qui cherche encore à s’imposer totalement. Sa personnalité, bien présente, ne transparaît qu’en filigrane, alors qu’on souhaiterait la voir s’affirmer avec davantage de naturel et d’assurance. Pour autant, on ne peut ignorer la solide connaissance du monde du Lied dont Humm fait preuve tout au long de ce récital. La conscience poétique est là, l’attention au texte aussi, et un sens musical, parfois très fin, émerge nettement. Ces qualités suggèrent qu’une maturité plus affirmée pourrait conduire, dans un avenir proche, à des interprétations plus vibrantes et marquantes.
C’est dans la section consacrée à Amy Beach, compositrice issue du romantisme américain tardif, que le chanteur paraît le plus investi. Le choix de textes et la richesse harmonique de cette musique lui offrent une matière propice à l’approfondissement expressif : en l’absence de référence établie, Humm y ose des contrastes plus marqués, une palette émotionnelle plus vive, comme si cette découverte lui donnait la permission de se libérer. On sent alors poindre une authenticité, une envie de dialogue avec la poésie. La fin du récital est consacrée à Jospeh Marx, guère plus connu, compositeur mais aussi essayiste autrichien, dont le Lied fut la principale expression.
L’apport de Doriana Tchakarova mérite aussi d’être souligné. Pianiste d’une grande intelligence, elle ne se contente pas d’accompagner : elle dialogue. Son toucher nuancé, sa capacité à modeler le phrasé et à suggérer les atmosphères, donnent une profondeur supplémentaire à l’ensemble du récital. Elle crée des paysages sonores d’une délicatesse lumineuse, qui offrent au chanteur un écrin où il peut tenter ses élans expressifs. Même dans les moments où la voix paraît se tendre, le piano garde une souplesse et une liberté de respiration qui tirent l’interprétation vers le haut. On devine chez Doriana Tchakarova une réelle complicité artistique, ainsi qu’une écoute attentive qui compense, par moments, les limites vocales de son partenaire.
La prise de son, très rapprochée, accentue la franchise du timbre de Humm. Elle rend palpables les inflexions, mais aussi les aspérités et les pertes de couleur, donnant un rendu brut, presque « cash », qui met l’interprète à nu. Ce choix peut séduire par sa sincérité mais expose sans détour les fragilités.
Libertas se présente comme un disque courageux et stimulant par son programme, servi par une complicité pianistique raffinée et une réelle exigence musicale. Si la personnalité d’Äneas Humm ne s’affirme pas encore pleinement et que certaines limites techniques freinent l’épanouissement de la voix, l’ensemble témoigne néanmoins d’une recherche sincère de répertoire original, et d’une volonté de progresser dans l’art subtil du Lied. L’impression générale est celle d’un artiste en progression : pas encore totalement libre, mais en quête, et dont le cheminement promet sans doute de futures révélations.