Forum Opéra

COLONNA, Missa concertata et HAENDEL, Dixit Dominus

Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
CD
19 avril 2025
Le « maître des maîtres » et son jeune émule

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

 

 

Détails

Georg Friedrich Haendel (1685-1757)
Dixit Dominus HWV 232
1. Dixit Dominus Domino meo
2. Virgam virtutis tuae
3. Tecum principium in die virtutis
4. Juravit dominus
5. Tu es sacerdos in aeternum
6. Dominus a dexteris tuis
7. Judicabit in nationibus
8. Conquasabit capita
9. De torrente in via
10. Gloria Patri et Filio

Giovanni Paolo Colonna (1637-1695)
Messa a 5 Concertata en mi mineur
Sinfonia avanti la Messa
Kyrie
1. Kyrie eleison
2. Christe eleison
3. Kyrie eleison
Gloria
1. Gloria in excelsis Deo
2. Et in terra pax
3. Laudamus te
4. Gratias agimus tibi
5. Domine Deus, Rex coelestis
6. Domine Fili unigenite 0
7. Domine Deus, Agnus Dei
8. Qui tollis
9. Qui sedes ad dexteram Patris
10. Miserere nobis
11. Quoniam tu solus Sanctus

 

Elizaveta Sveshnikova & Mariana Flores, sopranos
Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor
Valerio Contaldo, ténor
André Morsch, basse

Chœur de Chambre de Namur
Thibaut Lenaerts, maître de chœur

Cappella Mediterranea

Leonardo García-Alarcón, direction musicale

Enregistré à la Salle de concert de Namur, 3-7 Juin 2024
Prise de son et mixage : Manuel Mohino
Direction artistique : Fabián Schofrin

CD Ricercar
Durée 68′
Parution le 11 avril 2025

À propos de la Missa concertata de Giovanni Paolo Colonna, Leonardo García Alarcón nous disait il y a quelques jours :

« Quelle merveille absolue ! Je suis tombé tout à fait par hasard sur le manuscrit de Colonna à la bibliothèque de Vienne il y a quelques années en recherchant le troisième acte du Prometeo de Draghi (que je n’ai jamais retrouvé et c’est pour cela que j’ai dû le composer…)
Quand j’ai vu la première page de cette messe, que j’ai commencé à la lire, à regarder le type d’écriture, je me suis dit que c’était une musique de Bach perdue ! Puis j’ai commencé à la jouer. Aussitôt j’ai appelé le chœur de Namur : « On doit jouer cette musique, on doit l’enregistrer, on doit la jouer à San Petronio à Bologne. Il y est enterré, mais on n’arrive pas à voir son tombeau. Il y a des chaises dessus. On doit faire quelque chose ».
Je suis allé ensuite allé à la Bibliothèque Nationale de France pour consulter le dictionnaire biographique de Sébastien de Brossard qui figurait dans la bibliothèque de Louis XIV et qui répertorie les plus grands compositeurs d’alors et où j’ai trouvé inscrit que Giovanni Paolo Colonna est « le maître des maîtres ». Alors que Lully était vivant !
Et c’est ce que je ressentais ! Ensuite, je lis dans la nécrologie de Haendel en 1769 que Haendel doit tout à Colonna ! Donc on le connaissait. Mattheson le mentionne dans sa biographie des musiciens comme l’un des plus grands compositeurs du XVIIe siècle. Je suis sûr que Bach connaissait Colonna et que sa Messe en si mineur puise dans cette grande messe en mi mineur de Colonna qui était jouée surtout à Vienne. On sait à quel point Bach se considère comme élève de Lotti et de Caldara. Il le dit à la fin de sa vie : « Je suis surtout élève de l’école de Lotti », c’est-à-dire de l’école des Italiens à Vienne…

De cette messe que Leonardo García Alarcón re-créa le 20 septembre 2018 au Festival d’Ambronay l’enregistrement paraît enfin. Magnifique et magnifiquement servi.

Giovanni Paolo Colonna (portrait anonyme)

Opulence et rutilance

C’est une messe de fête, créée à la cathédrale de Bologne pour la San Petronio le 4 octobre 1684. L’opulence très opératique de la sinfonia ouvrant la messe, l’alternance joueuse d’allegros piquants et de lentos éplorés qui leur répondent suffirait à démontrer la verve de Colonna.

Cette messe se compose seulement d’un Kyrie et d’un Gloria plus développé.
Le Kyrie eleison en trois parties fait la part belle à des fanfares très colorées, introduisant un Kyrie à cinq voix (deux sopranos, un alto, un ténor et une basse) doublées par les cornets et les trombones colla parte, bientôt rejointes par le chœur dans un mouvement d’amplification majestueux. Le choix de doublure par les cuivres par le chef fait référence à ce qu’on sait des usages en Autriche depuis la Renaissance. Et renforce l’impression d’une écriture luxueuse, colorée, sensuelle, d’un baroquisme radieux.
Le Christe eleison à quatre voix, soutenu par les seules cordes a tout d’un quatuor d’opéra et la reprise du Kyrie, sous forme de fugato, confirme le sentiment de jubilation. Que répandit sans doute la création de l’œuvre, servie par un effectif impressionnant : soixante-dix-huit parties séparées, soit quelque quarante choristes et presque autant d’instrumentistes. L’effectif réuni ici, plus raisonnable – les vingt membres du Chœur de Chambre de Namur et les vingt-cinq de la Cappella Mediterranea – en restitue toute l’ampleur.

Enregistrement à la Salle de Concert de Namur © Alexandra Syskova

Non moins somptueux, le Gloria in excelsis Deo à cinq voix (brillants échanges des cinq solistes, Elizaveta Sveshnikova, Mariana Flores, sopranos aux timbres très différents, Paul-Antoine Bénos-Djian, Valerio Contaldo, André Morsch) avec le chœur, et le In terra Pax (clarté de l’ensemble de Namur).
Le Laudamus te, sur un rythme de barcarolle, décrit une manière de parabole, partant du dialogue des deux sopranos, puis gagnant en ampleur à mesure qu’entrent les différentes voix solistes, puis celles du chœur, avant de redescendre vers l’intimité du départ. Les deux flûtes à bec gazouilllent au-dessus de tout cela.

Colonna s’amuse

Après un Gratias, très concertant à nouveau, éclairant tour à tour chacune des voix solistes, sur le somptueux arrière-plan du chœur, dans une polyphonie que la belle prise de son met en évidence, Colonna semble s’amuser dans le Domine Deus à varier les climats et les plaisirs : le Rex celestis, à trois voix seulement (les deux sopranos et l’alto) d’une tendresse un peu sentimentale pourrait figurer dans une pastorale, tandis que le Domine Fili unigenite à cinq voix jouerait la carte du pathétique, un pathétique quelque peu théâtral, et l’Agnus dei, avec ses vocalises entrelacées, celle de la virtuosité (les cinq timbres y sont particulièrement en avant).

San Petronio de Bologne, gravure de Blaeu

La surprise et la vitesse

Par contraste, le Qui tollis (à cinq voix) est plus recueilli, – et met en avant d’abord le chœur, avec lequel se fondent les voix solistes, mais reste dans la même esthétique sensuelle.
Le bref Qui sedes reprend la formule à trois voix du Rex celestis (les deux sopranos et l’alto) auxquelles s’ajoutent les contre-chants de la flûte avec un brio qui ne semble avoir pour dessein que d’exalter la mélancolie (aux harmonies voluptueuses) d’un Miserere qui ne s’attarde pas (Colonna aime décidément les formes brèves).
Enfin le Quoniam tu solus sanctus, un fugato à nouveau, échafaude une vaste architecture, qu’interrompt l’effet de surprise d’un chorus de cuivres avant que tout se termine par un morceau de bravoure de plus en plus exalté, qui sonne comme une célébration de l’Église triomphante. 

On comprend que les papes aient voulu attirer Colonna à Rome, tout cela aurait été du meilleur effet dans la Rome du Bernin.

Haendel en 1720, portrait anonyme

Leonardo García Alarcón nous disait aussi :

« Pour moi cette missa concertata marque simplement le début d’une découverte. Je suis allé dernièrement à San Petronio pour faire sonner avec un téléphone sa musique à l’intérieur et lui montrer que cela existe… Et faire comprendre aux Bolonais, qui ne savaient même pas dans quelle chapelle il est enterré, qu’ils doivent présenter le tombeau comme les Vénitiens celui de Monteverdi. Ils doivent nous laisser au moins y poser une fleur. C’est un privilège pour un musicien d’être enterré à l’intérieur d’une église.…

J’ai voulu enregistrer cette messe avec le Dixit Dominus de Handel, parce que Haendel le compose à mon avis en regard de la grandeur de Colonna. C’est Colonna qui le premier précise « grand chœur et soli » et Haendel fait la même chose en sortant les solistes de l’intérieur des chœurs. Ce Dixit Dominus a été composé à Rome, la ville qui a toujours voulu avoir Colonna, ce qu’il a refusé à trois papes, il ne voulait pas quitter Bologne pour Rome. Les enregistrer ensemble était pour moi presque une évidence. Colonna est mort en 1695. Haendel avait alors dix ans et c’est seulement douze années plus tard qu’il arrive en Italie. Il est à Rome en 1707 et il y compose le Dixit Dominus ».

Leonardo García Alarcón en enregistrement © Vincent Arbelet

L’alacrité et la saveur

On retrouve dans le Dixit Dominus l’alacrité, les articulations toniques, la sève, la clarté aussi qui éclairent la missa concertata. Et ces couleurs, ces sonorités astringentes qu’aime le maestro argentino-suisse.
La maîtrise de cet Haendel de vingt-deux ans éclate dans le Dixit Dominus Domini meo. L’énergie des Dixit qui ponctuent les volutes des sopranos, le martèlement des basses, les progressions harmoniques inattendues, et cette polyphonie qui est aussi polychromie, les fusées des violons, tout ici éclate de joie.
Le Virgam virtutis tuae met en lumière la délicatesse et la douceur de timbre, l’élégance des phrasés de Paul-Antoine Bénos-Djian accompagné du seul continuo et le Tecum principium la légèreté et la transparence du registre supérieur de Elizaveta Sveshnikova
La netteté insolente du Chœur de Chambre de Namur (préparé par Thibaut Lenaerts), l’équilibre de ses pupitres, de sa palette sonore, donnent tout son tranchant au Juravit Dominus et sa clarté au Tu es sacerdos, mais il faut attendre le Dominus a dexteris tuis pour que les cinq voix soient enfin réunies, entrant une à une sur le vigoureux ostinato des cordes basses, toutes plus individualisées les unes que les autres, et savoureuses.

Leonardo García Alarcón © François de Maleissye

Le fugato du Judicabit (la verdeur des accents !) puis les coups de boutoirs de la dernière section, presque sauvages, du Conquasabit font apparaître encore plus dénudée, déconcertante, désemparée l’angoisse du De Torrente. Bouleversant entrelacement des deux sopranos sur l’arrière-plan des seules voix d’hommes du chœur. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer de l’art de coloriste du compositeur, de cette palette sonore, des palpitations des cordes, de cette manière de suspendre l’écoulement du temps, de suggérer un monde supérieur.

C’est sans doute dans le Gloria Patri final qu’Haendel est le plus proche de l’esprit de Colonna, dans cette immense architecture toute en surprises (le Sicut erat qui déferle sans prévenir !) 

Tout cela est rendu ici avec un brio ébouriffant, une audace, un goût des contrastes et du spectaculaire, une gourmandise sonore et une manière d’insolence, qu’on imagine être celles même du jeune Haendel.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.
colonna-missa-concertata---handel-dixit-dominus-ric470-20250206072035-front

Note ForumOpera.com

4

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Infos sur l’œuvre

 

 

Détails

Georg Friedrich Haendel (1685-1757)
Dixit Dominus HWV 232
1. Dixit Dominus Domino meo
2. Virgam virtutis tuae
3. Tecum principium in die virtutis
4. Juravit dominus
5. Tu es sacerdos in aeternum
6. Dominus a dexteris tuis
7. Judicabit in nationibus
8. Conquasabit capita
9. De torrente in via
10. Gloria Patri et Filio

Giovanni Paolo Colonna (1637-1695)
Messa a 5 Concertata en mi mineur
Sinfonia avanti la Messa
Kyrie
1. Kyrie eleison
2. Christe eleison
3. Kyrie eleison
Gloria
1. Gloria in excelsis Deo
2. Et in terra pax
3. Laudamus te
4. Gratias agimus tibi
5. Domine Deus, Rex coelestis
6. Domine Fili unigenite 0
7. Domine Deus, Agnus Dei
8. Qui tollis
9. Qui sedes ad dexteram Patris
10. Miserere nobis
11. Quoniam tu solus Sanctus

 

Elizaveta Sveshnikova & Mariana Flores, sopranos
Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor
Valerio Contaldo, ténor
André Morsch, basse

Chœur de Chambre de Namur
Thibaut Lenaerts, maître de chœur

Cappella Mediterranea

Leonardo García-Alarcón, direction musicale

Enregistré à la Salle de concert de Namur, 3-7 Juin 2024
Prise de son et mixage : Manuel Mohino
Direction artistique : Fabián Schofrin

CD Ricercar
Durée 68′
Parution le 11 avril 2025

Vous pourriez être intéressé par :

L’art et la manière d’être fidèle
Chelsea ZURFLÜH, Chiara CATTANI, Eline WELLE
CD