Il y a un quart de siècle, une poignée d’enregistrements – de sublimes cantates par Bernarda Fink et Gunar Letzbor (Arcana, 2001) ; l’oratorio David, par Alan Curtis (Virgin, 2007) – témoignaient du génie de Francesco Bartolomeo Conti (1682-1732). Depuis, pas grand-chose, René Jacobs ayant renoncé à graver le Don Chisciotte della Mancia qu’il dirigea à plusieurs reprises (avec Stéphane Degout dans le rôle-titre en 2010). Pourtant, la musique de ce Florentin dont la carrière fut viennoise mérite une écoute attentive : son écriture très personnelle mêle l’héritage d’Alessandro Scarlatti (lignes mélodiques riches en détours, harmonies astringentes), la vocalité napolitaine, le style osservato sagement perpétué par ses collègues de la cour impériale, Caldara et Fux, et la verve instrumentale propre à l’école dresdoise d’Heinichen et Zelenka.
Ce Triomphe de la Renommée, sérénade créée en 1723 à Prague, alors que l’empereur Charles VI était couronné roi de Bohême, témoigne à l’envi de sa versatilité, et ce dès l’ouverture, dont le début « climatique » anticipe sur Rameau, avant que ne pétaradent les trompettes et que ne se déploie une inventive fugue, tandis que le chœur glorieux qui s’y enchaine joue des effets antiphoniques. Les cinq allégories chantent ensuite les louanges du souverain mélomane au fil d’une dizaine d’airs, qui ne sont pas seulement virtuoses mais d’une réelle densité orchestrale – le plus impressionnant, à ce titre, étant le second de la Gloire, « Spira il ciel », riche en pauses théâtrales, effets dynamiques et incises de violon solo. Ce même violon, associé au hautbois, transforme en quatuor le duo unissant la Gloire au Génie, tandis que la grande aria du Courage « L’Asia crolla » mobilise deux bassons concertants.
Fort inspiré par cette musique ludique, Ottavio Dantone fait rutiler son Accademia bizantina, aux cordes particulièrement incisives (« Ogn’astro che splende »). La distribution vocale s’avère elle aussi de haut niveau : dans un rôle de tendre castrat, Nicolò Balducci déborde de sensualité ; la mezzo Sophie Rennert brille de mille feux dans les vocalises de la Gloire, Benedetta Mazzucato nimbe de nostalgie les airs composés pour la contralto Anne d’Ambreville (chérie de Vivaldi), tandis que le soyeux ténor Martin Vanberg, à l’émission très mixte, ensoleille les siens. La partie la plus éprouvante a été taillée sur mesures pour la légendaire basse Christoph Praun, l’un des chanteurs les mieux payés de la Hofkapelle de Vienne, dont la voix, qui résonna pendant un demi-siècle, couvrait deux octaves et demie – une partie un peu large pour Riccardo Novaro, qui peine dans les intervalles crucifiants de « Io che regno », ce que font oublier son engagement et son timbre fauve.
Ajoutons que les récitatifs sonnent avec naturel (dommage que le théorbe, instrument privilégié de Conti, s’y montre si discret) et que le chœur emporte avec fougue les deux pages qui lui sont confiées, avant de remercier pour cette exhumation la firme CPO, décidément très active dans le domaine de la musique dite « ancienne ».