Le concept est intelligent et ambitieux, le répertoire peu exploré, les musiciens excellents : cela suffit-il à réussir un album ? Pas sûr. Le choix de pièces très brèves (25 en tout), dont beaucoup frisent à peine les deux minutes, dépite davantage l’amateur de disques que le spectateur : les nombreuses « respirations », assurées par des danses guère inoubliables, impatientent plutôt qu’elles ne délassent. D’autant qu’on n’y entend ici que des cordes – et que lorsque des percussions y interviennent brièvement, elles apparaissent mal dosées, superfétatoires (tonitruant tambourin).
Pourtant, on l’a dit, les interprètes et la (double) direction sont remarquables : cela s’entend dans les ouvertures d’opéra, aux attaques franches, à la respiration large, au contrepoint ferme et aéré : en dépit du petit effectif, celle (déjà connue) de Lully pour le Xerse de Cavalli ou, mieux, celle de la Coronis de l’illustre inconnu Theobaldo di Gatti (c. 1650-1727) affichent une grandeur certaine. Et, de façon générale, on applaudit au sens dramatique des instrumentistes, au caractère éminemment théâtral de leur jeu, sensible dans les extraits d’ouvrages lyriques : puissances des accords, arpèges et fusées du monologue « Où vais-Je ? Qu’ai-je fait ? » (Scylla, de Gatti), intensité « purcellienne » de Nicandro e Fileno (Lorenzani), caractère mystérieux et planant du prélude pour Diane (Méléagre de Stuck). Enfin, on apprécie la finesse des enchainements et le goût des contrastes qui, par exemple, fait succéder à la harpe et à la viole langoureuses de Caroline Lieby et Noémie Lenhof (« Pur ti connobi » de Stuck) le violon extraverti de Josef Zak (« S’armi pure invitta e fiera », air da capo de Giovanni Antonio Guido).
Mais qui trop embrasse mal étreint : tous ces mini-joyaux passent trop vite pour que l’on puisse vraiment s’immerger dans un climat, identifier un style. Divisé en trois « actes », le corpus apparaît en outre déséquilibré : les deux premiers actes, voués à Lully, Cavalli, Lorenzani et Bembo (représentée par un air de cour) peinent à passionner, tandis que le troisième se voit phagocyté par les personnalités de Campra et de Stuck – plus typiques de la Régence que du siècle de Louis XIV et dont seul le second, d’origine allemande, était né en Italie.
Il faut enfin dire un mot de la soprano soliste, Marie Théoleyre, dont la voix lumineuse et sensuelle séduit d’abord (dans un air d’Amastre extrait de Xerse, plus épanoui que chez Judith Nelson), avant de paraître trop souvent plafonner dans les dernières sections. Cruelle devient la comparaison avec la pathétique Jennifer Smith dans le sublime lamento « Pleurez, mes tristes yeux » de Stuck (Héraclite et Démocrite) – seule plage à outrepasser les six minutes –, en dépit d’un accompagnement d’une belle élasticité. Le chant est-il trop surveillé, les extrêmes pas assez « ouverts », le sostenuto pas assez nourri, la palette dynamique trop réduite ? Il est possible que le studio inhibe la chanteuse. Qui, heureusement, se lâche in fine à l’occasion d’une parodie anonyme d’Atys : « si Baptiste (Lully) me voit tout nu, c’est fait de mon derrière », décoche-t-elle d’une voix de poitrine tout de suite plus expressive.
Entre carte de visite et projet conceptuel, les artistes n’ont donc pas su ni voulu choisir ; on n’en gardera pas moins sur eux une oreille : ils promettent de beaux lendemains.