Harmonia Mundi semble se lancer dans une intégrale de la musique religieuse écrite par Felix et Fanny Mendelssohn. L’initiative est une première. Si la musique sacrée de Felix est déjà gâtée au disque, il n’en est pas de même pour celle de sa soeur, ce qui nous promet quelques découvertes.
Le disque commence avec ce que Felix a eu le temps d’écrire pour son grand projet d’oratorio intitulé Christus. Après avoir illustré une grande figure du Nouveau Testament (Paul) et un personnage majeur de l’ancienne alliance (Elie), Felix voulait aboutir à une forme de synthèse incarnée dans la figure de Jésus. Si la genèse de l’oeuvre reste largement énigmatique, on sait que le compositeur y a travaillé près d’une décennie, et qu’il semblait y tenir beaucoup. L’oeuvre adopte une structure beaucoup plus semblable aux passions de Bach que les deux oratorios achevés, avec des récitatifs très courts déclamés par le ténor, une abondance de choeurs proches de l’esprit des « turbae » et une écriture volontiers contrapuntique. C’est un hommage évident, qui ne vire cependant jamais au pastiche : Felix est malgré tout un enfant de son temps, et l’émotion romantique gagne à plusieurs moments. Il suffit de comparer la mise en musique des « Kreuzige ihn ! » pour mesurer l’écart qui sépare les deux époques. Fort à son affaire, le ténor Martin Mitterrutzner affiche une santé vocale éclatante, un timbre séduisant et une vraie éloquence. Il sait jusqu’où ne pas aller trop loin, et alléger ce que son art peut avoir de sensuel dans les moments dramatiques.Le RIAS Kammerchor reste fidèle à sa réputation : d’une cohésion implacable, parfaitement équilibré, transparent jusqu’au diaphane. Rarement un ensemble aura autant mérité le qualificatif « de chambre », au meilleur sens du terme, en ce que chacun de ses membres est à l’écoute des autres.
On poursuit le périple mendelssohnien avec une petite cantate écrite par Fanny en 1831 : Lobgesang (à ne pas confondre avec la Deuxième Symphonie de son frère). C’est à nouveau l’influence de Bach qui semble ouvrir l’oeuvre, avec une « Pastorale » qui ne déparerait pas dans l’Oratorio de Noël. Mais Fanny a un autre tropisme que son frère, et elle penche assez vite vers un style où la mélodie prend le dessus, dans un esprit plus proche des messes salzbourgeoises de Mozart. L’oeuvre n’est pas inoubliable mais s’écoute avec plaisir, surtout que le choeur y est à son affaire, et que Justin Doyle trouve la pulsation exacte que requiert cette musique, qui doit s’écouler avec naturel, sans trop chercher à creuser ; la verdeur des timbres de la Kammerakademie Potsdam est idéale.
L’album se termine sur une oeuvre plus connue, le Psaume 42 mis en musique par Felix : « Wie der Hirch schreit nach frischem Wasser », « Comme le cerf languit après l’eau fraîche ». C’est à notre humble avis le chef-d’oeuvre sacré de Mendelssohn, là où sa foi très fervente trouve son expression la plus touchante. Voilà une musique qui va droit au coeur. La soprano Christina Landshamer sait retrouver ce ton de l’enfant extasié devant les mystères de la foi, et son chant est l’expression de la confiance la plus absolue de la créature envers son créateur. Dans la fugue finale, le RIAS explose tous les plafonds en termes d’excellence chorale, et l’on est véritablement transporté sur les ailes de la musique. Espérons de tout coeur que la série sera menée à son terme, et qu’elle sera la plus complète possible.