La redécouverte de Porpora ne fait que commencer, mais grâce au coup de pouce que Max Emanuel Cenčić semble décidé à lui donner, elle paraît sur le point de décoller. Au disque, jusqu’ici, les œuvres lyriques du maître napolitain se comptaient sur les doigts d’une main : une version d’Orlando remontant déjà à 2005, une Arianna a Nasso et l’oratorio Il Gedeone. Pour le reste, quelques cantates interprétées par Iestyn Davies, et les disques d’extraits, de la part de personnalités comme Karina Gauvin ou Franco Fagioli. Le mois prochain viendra s’y ajouter un « Porpora Arias » signé Max Emanuel Cenčić, dirigé par George Petrou. Et ce mois-ci, c’est le tour de Germanico in Germania. Enobarbus de son vrai nom, le général romain Germanicus devait ce surnom aux victoires de son père chez les Germains (tout comme Britannicus tenait son sobriquet de son père), bien avant de mettre lui-même le pied en Germanie ; Germanicus, c’était aussi le père de Caligula et d’Agrippine et donc le grand-père de Néron. Le livret n’est pas de Métastase, mais il s’inspire d’une tragédie française, Arminius (1684) de ce sous-Racine que fut Jean Galbert de Campistron. Et après avoir récemment été Arminius dans l’Arminio de Haendel (1737), voici que Max Emanuel Cenčić devient l’ennemi juré d’Arminius dans l’opéra de Porpora, antérieur de quelques années. Germanico in Germania fut créé par une distribution intégralement composée d’hommes, y compris pour les deux rôles féminins, mais le choix a été fait pour cette version discographique de ne faire appel qu’à deux voix masculines, tous les autres personnages étant chantés par des femmes, y compris le prince germain Arminio et le capitaine Cecina.
Maître d’œuvre de l’opération, le contre-ténor s’est réservé le rôle-titre, destiné au grand Domenico Annibali, aussi demandé à Dresde qu’à Londres, rôle dont Max Emanuel Cenčić a interprété, lors de ses récents concerts parisiens, le très virtuose « Qual turbine che scende ». Ce n’est pourtant pas le rôle le plus exposé, et l’air le plus connu de la partition, « Parto, ti lascio, o cara », échoit en fait à Arminio, personnage conçu pour Caffarelli. Il incombe à Mary-Ellen Nesi de faire revivre la vocalité du célèbre castrat : tout à fait à l’aise dans la virtuosité, capable d’insuffler un certain dramatisme à son discours, la mezzo grecque pâtit néanmoins d’un timbre peu captivant, et l’on rêve de ce que donnerait une Ann Hallenberg dans le même rôle. Dans ses derniers disques, Julia Lezhneva avait montré qu’elle était capable de toucher l’auditeur : un pas en arrière avec le personnage d’Ersinda, qui n’est qu’une machine à vocalises. Sur ce plan, l’artiste reste impressionnante, notamment dans « Se possono i tuoi rai vedermi », avec une agilité insensée et d’incroyables soudaines plongées dans le grave. Pour l’émotion, c’est autre chose, mais il n’est pas sûr que Porpora l’ait vraiment prévu. Hasnaa Bennani, elle, parvient à concilier les deux aspects : de sa participation à diverses intégrales lullystes, on connaissait la noblesse du phrasé, mais Germanico nous la révèle aussi virtuose, sans que cela l’empêche, dans d’autres airs, de rendre Cecina touchant. En Segeste, Juan Sancho paraît moins téméraire qu’il a pu l’air en scène par le passé : pas d’aigus arrachés de justesse, pas d’effets expressionnistes. Quant à Dilyara Idrisova, elle confirme en Rosmonda les qualités déjà relevées lors de précédentes incarnations, fraîcheur du timbre et aisance dans la vélocité.
Pour cette intégrale, on retrouve la Capella Cracoviensis, avec Jan Tomasz Adamus à la baguette, déjà protagoniste d’un Adriano in Siria de Pergolèse en 2015. Cette formation ne devrait pas tarder à se faire mieux connaître dans ce répertoire, car elle rend parfaitement justice à la musique de Porpora, plus inventive qu’on aurait pu s’y attendre, riche en accompagnato et offrant un duo et un trio, ce qui n’est pas si courant dans un opera seria.