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HAENDEL, Samson

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CD
8 décembre 2025
Mérite mieux qu’une respectueuse condescendance

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Georg Friedrich Haendel

Samson

Oratorio en trois actes, HWV 57

Livret de Newburgh Hamilton, d’après John Milton

Créé à Londres, Covent Garden, le 18 février 1743

Détails

Samson

Ernst Haefliger

Dalila

Maria Stader

Micah

Marga Höffgen

Manoah

Kim Borg

Harapha

Heinz Rehfuss

Une Philistine

Maria Reith

 

RIAS Kammerchor

Chœur de la cathédrale Ste Edwige

RIAS Symphony Orchester

Direction

Ferenc Fricsay

 

Enregistré à Milan, le 7 décembre 1961

Deux CD Urania (WS 121.424) de 60mn 55 et 62mn 46

Nombre d’enregistrements anciens, célébrés en leur temps, ne valent plus guère qu’à titre de témoignages des performances des interprètes, et des évolutions stylistiques. En à peine plus de vingt ans (*), Ferenc Fricsay a tout enregistré, ou presque, de Haydn et Mozart à ses contemporains, mais abordé le répertoire baroque (en dehors d’une anecdotique suite de danses d’après Rameau, en 1949, et du concerto pour harpe de Haendel) avec parcimonie, rarement au disque, essentiellement au concert. C’est dire l’intérêt de cet enregistrement où, bien avant Richter, Leppard, Harnoncourt et autres, Ferenc Fricsay s’emparait de l’oratorio dramatique avec lequel Haendel allait effectuer son retour londonien. Cette version pionnière avait déjà été rééditée en 2017 par la même maison. Malgré ses handicaps, elle mérite une écoute gratifiante.  Le chef s’était entouré d’une équipe fidèle de chanteurs dont le sens musical, le raffinement et l’exigence étaient la marque. Les interprètes comptaient parmi les plus grandes voix de leur temps, et ne serait-ce qu’à ce titre, il faut connaître cette version. D’autre part son égal souci de l‘architecture et du détail, de la précision aussi, caractérisaient l’art du grand chef hongrois.

Bien qu’adoptant le plus souvent des tempi plus rapides (**), le dernier enregistrement publié, amputé, dans une moindre mesure (le premier air de la Philistine, l’air de Samson Why does the God…), dure 45 mn de plus que celui que nous écoutons. C’est dire l’importance des coupures qui l’affectent. Certes, Haendel modifiait les numéros au fil des exécutions, en fonction de ses interprètes, et il est malaisé de prétendre à l’exhaustivité. Cependant, réduire l’ouvrage à ce point paraîtrait inexcusable de nos jours (même si, à la même époque, prévalait l’édition Novello, largement amputée, elle aussi). Inadmissible, l’introduction orchestrale de certains airs et duos a été simplement coupée. La version rééditée laisse supposer qu’elle est chantée en anglais, si ce n’est une discrète mention « sung in german ». Pourquoi pas ? Même londonisé, Haendel pensait toujours en allemand, à défaut en italien, et cette prosodie s‘adapte fort bien à l’ouvrage.

Fricsay adopte des tempi larges, sans que la dynamique en souffre, et se trouve certainement plus proche de ceux d’origine que ce que nos interprètes baroques nous offrent, accentuant le brillant de leur prestation. A cet égard, si les cordes de la sinfonia d’ouverture sont pâteuses, la majesté est là, suivie d’un allegro enlevé, précis et coloré. La Trauermarsch (Dead March) traduit bien le sens des phrasés, cher au chef, sans qu’il ait besoin d’ajouter des flûtes, comme le fait Leonardo Garcia Alarcon. Les récitatifs, réduits à la portion congrue, sont la traduction de la pratique d’alors, vocalement admirables, mais instrumentalement empesés et lourds. Heureusement nous restent les chœurs, les airs et duos.

Ernst Haefliger, le ténor lyrique suisse dont le nom est attaché à celui de Bach, campe un Samson très humain, de sa voix prenante, claire, d’une grande plasticité. Chaque mot, chaque phrase trouve en lui un interprète inspiré, d’une maîtrise technique et artistique rare, au sommet de sa carrière. Son « Total eclipse », inquiet, douloureux, atteint à la plénitude. De la même manière son récit accompagné, suivi de son air « Why does the God », admirable : les traits de l’air, l’agilité orchestrale nous comblent. Le second rôle est celui de Micah. La partition ne lui confie pas moins d’un accompagnato et de 6 airs (***). C’est Marga Höffgen qui incarne l’ami de Samson. La grande contralto, formée et révélée par ses interprétations de Bach, est dans son répertoire d’élection. Comment rester insensible à son largo Return, oh God of hosts ? Sans pouvoir les confondre, sa voix et celle de Kathleen Ferrier ont la même force expressive, la même sensibilité aussi. Le père de Samson, Manoah, est Kim Borg, l’immense basse finlandaise dont on se souvient des Mozart et Wagner, et dont on découvre ici une de ses rares incursions dans le baroque. La voix, sombre et puissante, correspond idéalement à la noblesse du personnage. Il se joue des longues vocalises sur les « joy » de The glorious deeds et donne une dimension humaine, attachante à son personnage. Si Dalila ne manque pas de charme – nous ne sommes pas chez Saint-Saëns (que Fricsay a enregistré avec Fedora Barbieri) –  le rôle vocal est mineur, lié au livret quelque peu misogyne. Maria Stader, que l’on adore chez Mozart, use ici d’un vibrato hors de propos (ainsi dans son duo avec une jeune vierge, My faith and truth). Dommage. Les petits rôles sont servis avec qualité, et les auditeurs âgés ont encore en mémoire les noms de Heinz Rehfuss et de Maria Reith.

Malgré leur réputation bien établie, on redoutait l’assemblage des choeurs du RIAS et de Sainte-Edwige. Si chacune des formations était alors une référence (Günther Arndt et Karl Forster les dirigeaient), l’addition de leurs nombreux chanteurs n’allait-elle pas aboutir à une masse chorale perdant ses qualités d’articulation, de précision, de ductilité ? Or, dirigés par Fricsay, malgré des oppositions dramatiques et musicales amoindries par une prise de son mono et médiocre (les prêtres de Dagon et de Jehovah, les chœurs des Philistins et des Hébreux), le pari est remarquablement tenu.

Dès les fanfares du Awake the trumpet’s lofty sound, la puissance, la précision, l’agilité des chœurs est évidente. Comment ne pas penser au « und es war Licht ! » de la Création à l’écoute de O first created beam ? On ne peut qu’admirer la mise en place des fugues, des dialogues. Du très beau travail.

On oublie la prise de son, vraisemblable captation d’un concert radio, tant l’enregistrement séduit. Bien que l’édition soit bâclée (rien sur l’origine de la bande, aucun livret), un enregistrement à marquer d’une pierre blanche, en dehors de toute nostalgie.

(*) à titre d’exemple, le dernier air de Micah « Ye sons of Israel » prend 3:55 chez Leonardo Garcia Alarcon, alors que 6:43 étaient nécessaires à Ferenc Fricsay…
(**) il meurt à 48 ans, en 1963, terrassé par le cancer, après avoir abondamment enregistré pour la Deutsche Grammophon Gesellschaft. En juillet 2023. la firme a réédité en 86 CD, dans un volumineux coffret, tous les enregistrements réalisés sous son label. Samson, en est absent.
(***) l’enregistrement nous en restitue quatre.

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Créé à Londres, Covent Garden, le 18 février 1743

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Ferenc Fricsay

 

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