Le mois dernier, dans un court article, nous expliquions la nouvelle entreprise d’Alexandre Dratwicki, le directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane : inventer, sous le nom d’Il était une fois…, un opéra à partir d’airs empruntés à d’autres ouvrages dans une transcription pour quatuor avec piano, ce qu’en musicologie, les Français appellent « pastiche » et les Italiens « centone ». Quelques jours après, Laurent Bury nous racontait la mise à l’épreuve de ce patchwork musical, en concert, à Paris, au Théâtre des Bouffes du Nord.
Comme le nom de l’œuvre l’indique, l’argument, sans grand intérêt, puise son inspiration dans les contes de notre enfance : un princesse, sa sœur, un prince, une fée, séparés puis réunis. Deux chanteuses – Jodie Devos (soprano) et Caroline Meng (mezzo-soprano) – endossent l’un ou l’autre de ces rôles en fonction de leur tessiture, comme on s’amuse à essayer des costumes tirés d’une malle dans un grenier. Leur prononciation est irréprochable. Bien qu’à peine assez différenciées lorsqu’elles sont réunies, leur voix apparaissent jeunes, séduisantes, d’une fraîcheur nécessaire à ces partitions tendres et légères signées aussi bien Massenet, Offenbach et Rossini que Schmitt, Rillé ou Toulmouche, compositeurs moins connus dont on est heureux d’avoir un aperçu de leur art, fût-il réduit à de brefs extraits dans un accompagnement adapté au format de l’excellent Quatuor Giardini.
L’approche chambriste, justifiée – on présume – par un budget dimensionné à la modestie de l’entreprise, pourra laisser sur leur faim les amateurs d’orchestration brillante. Ce que la scène admet, le disque le justifie moins. Pourquoi d’ailleurs avoir enregistré ce qui, à l’écoute, apparaît comme un divertissement relevant plus de l’anecdote que de l’exploration musicologique. Pourquoi ou plutôt, pour qui ? Pour un jeune public ainsi que semble le suggérer le sujet choisi et une pochette aux illustrations enfantines ? Il n’est pas certain que les moins âgés d’entre nous soient captivés par cet enchainement de pièces musicales qu’aucun texte ne vient relier, rendant incompréhensible l’hypothétique histoire qu’elles veulent raconter. Pour les mélomanes avides de découverte ? Oui, à condition de se satisfaire, comme nous l’expliquions plus haut, de courts fragments dans une restitution instrumentale réduite, sous peine de ressentir un irrépressible sentiment de frustration. Pour les amateurs de musique légère ou française ou les deux ? Ceux-là prendront sans doute plaisir à savourer ces miniatures versées comme une boisson chaude et délicate dans une tasse de porcelaine.
S’ils sont néanmoins curieux, ils regretteront que le texte d’accompagnement n’en dise pas plus sur les compositeurs et les ouvrages à partir desquels a été réalisé cet assemblage. L’Italienne à Alger, Barbe-Bleue ou Cendrillon de Massenet : passe encore. Mais, qui était Charles Silver (1868-1949) et que vaut sa Belle au Bois Dormant dont Laurent Bury écrivait, à raison, de l’air d’Aurore, qu’il est un « pur ravissement » ? Et Nicolas Isouard (1775-1818) dont on dirait le duo extrait de Cendrillon, avec ses fusées de vocalises, imité de Rossini s’il n’avait été composé en 1810, sept ans avant La Cenerentola ? Et Gaston Serpette (1846-1904), « le plus fantaisiste des Parisiens et le plus Parisien des fantaisistes », dont le duo d’Olympia et d’Agathe, tiré de La Demoiselle du téléphone, pourrait être signé Messager tant son écriture est raffinée ? Le Palazetto Bru Zane nous a habitué à plus de pédagogie. Puisse Il était une fois… vivre heureux. De là à lui souhaiter beaucoup d’enfants…