Redécouvrir un titre peu fréquenté d’Offenbach, ça ne se refuse pas, surtout en période de fêtes de fin d’année, traditionnellement favorable aux opérettes. Cela dit, La Créole n’est pas tout à fait une inconnue, puisqu’on la vue à Tourcoing en 2009, et à l’Espace Cardin, à Paris, en janvier 2014. Le présent disque est le reflet d’un concert donné par l’ORTF en 1961, dont les responsables avaient hélas choisi de donner la version « révisée », conçue par Albert Willemetz en vue d’une reprise de l’œuvre en 1934 au Théâtre Marigny, avec Joséphine Baker dans le rôle-titre.
L’intrigue initialement située en 1685 à la Guadeloupe y est transportée en 1843 à la Jamaïque, et le livret est intégralement réécrit. Des personnages on été introduits : la Jamaïcaine « Crème Fouettée » et le marin Cartahut, trognes pittoresque associées à un humour colonialiste typique de l’entre-deux-guerres. Tout cela ne serait pas bien grave si cette transformation n’avait d’énormes conséquences d’ordre musical. Le premier acte devient le deuxième, et inversement, mais ce n’est pas tout : outre le joyeux désordre dans lequel se retrouvent les morceaux de la partition originale, on a cru bon d’y introduire les deux airs tirés d’autres œuvres d’Offenbach qui furent enregistrés à la fin des années 1920 par Reynaldo Hahn, « Que voulez-vous faire ? » et « Les fariniers, les charbonniers », qui servent même de base à des ensembles ajoutés à la fin de l’œuvre. Surtout, la distribution vocale n’a plus grand rapport avec celle de la création en 1875. Le rôle de Dora avait été conçu par Offenbach pour la mezzo-soprano Anna Judic ; après la guerre de 1870, Judic succéda à Hortense Schneider, dont elle reprit les grands rôles, et elle assura les créations de Madame l’Archiduc, Bagatelle, Le Roi Carotte et Le Docteur Ox. En 1934, Dora-Joséphine Baker avait évidemment un timbre plus léger. Quant au jeune premier, René de Feuilles-Mortes, le compositeur l’avait destiné à une soprano en travesti : il redevient ici évidemment un ténor. On le comprend, le résultat n’a plus qu’un lointain rapport avec les intentions d’Offenbach.
Certes, La Créole ressortit d’une veine sentimentale post Second-Empire et semble dépourvue de toutes les pointes satiriques qui faisaient le prix de La Grande-duchesse de Gérolstein ou de La Vie parisienne. Telle que donne à l’entendre le concert de 1961, La Créole devient cependant une pièce de boulevard un peu lourde et excessivement bavarde.
Malgré tout, cet enregistrement nous donne l’occasion d’entendre quelques habitués des concerts d’opérette de l’ORTF : Aimé Doniat, baryton léger, doté d’une grande facilité dans l’aigu et de la faconde nécessaire à entraîner toute la distribution à se suite ; Claudine Collart, délicieuse Miss Ellen dans la Lakmé historique de Mado Robin, ici charmante et espiègle Créole ; Lina Dachary, solide seconda donna ; Joseph Peyron, tout à fait à sa place dans un rôle comique.
On retrouve Claudine Collart et ses aigus argentins dans Le 66, dont l’intrigue bien sentimentale, elle aussi, réunit deux chanteurs ambulants originaires du Tyrol, prétexte à une de ces tyroliennes qu’Offenbach aimait tant et qu’on retrouve forcément au final. La « réalisation de Jules Gressier » exclut l’ouverture et coupe le début du grand trio « O ciel, ô ciel est-il possible », mais conserve heureusement tous les morceaux, et dans l’ordre ! Les dialogues sonnent comme un film français de l’immédiat après-guerre, René Lenoty se révélant un acteur savoureux quand il n’est pas le plus délicat des ténors de caractère. Camille Maurane transpose à l’octave deux ou trois notes trop graves pour lui, et son timbre de baryton très clair se distingue à peine de celui du ténor.