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RAMEAU, Platée (Tournet, Vidal, Lys…)

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CD
16 juin 2025
Les marécages de l’amour

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Jean-Philippe Rameau

Platée
Opéra-ballet bouffon en un prologue et trois actes
Livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville
Créé à Versailles, au Grand Manège (Théâtre de la Grande Ecurie), le 31 mars 1745

Détails

Platée
Matthias Vidal

Thalie, la Folie
Marie Lys

Thespis, Mercure
Zachary Wilder

Jupiter
Alexandre Duhamel

Junon
Juliette Mey

Cithéron, un Satyre
David Witczak

L’Amour, Clarine
Cécile Achille

Momus
Cyril Costanzo

 

La Chapelle Harmonique

Direction musicale
Valentin Tournet

 

2 CD Château de Versailles CVS 153, 137′ 47″

Enregistrés du 23 au 30 avril 2024 à l’Opéra royal du Château de Versailles

« Platée, ou Junon jalouse » était le premier titre. La pauvre grenouille prétentieuse sera la victime désignée par Cithéron et Mercure pour apaiser la colère de Junon, toujours trahie par son époux volage. Les siècles suivant la création avaient quelque peu oublié Platée, et l’image d’un Rameau acariâtre, théoricien sérieux et ennuyeux, s’était imposée. Six ans lui avaient été nécessaires pour digérer la bouderie de Dardanus, et il répondit favorablement à la demande pour offrir cette fable cruelle, un incontestable chef-d’œuvre (1), sept ans avant que la Serva padrona déclenche à Paris la Guerre des bouffons,

On l’a parfois oublié, « ballet bouffon », Platée outrepasse le genre de l’opéra ballet, étant la première œuvre lyrique de cette veine entièrement chantée de notre répertoire. Tous les canons de la tragédie lyrique sont ici ridiculisés : la puissance, la grandeur, l’héroïsme, etc. Les dieux n’y survivront pas. Ses clichés, de la pastorale à l’orage, ses procédés, les airs de colère ou de vengeance, les ariettes, les danses variées, la chaconne obligée seront le moyen pour Rameau de libérer son incroyable verve, en  accumulant toutes les facéties littéraires, allitérations, onomatopées, et musicales

Depuis qu’Aix-en-Provence, en 1956, nous a révélé le chef-d’œuvre, les enregistrements intégraux (ou presque) se comptent sur les doigts d’une main (Hans Rosbaud ; Jean-Claude Malgoire ; Marc Minkowski ; William Christie), aussi cette nouvelle gravure de Valentin Tournet (2) est-elle particulièrement bienvenue. D’autant que sa direction imprime une jeunesse, une verdeur comme une élégance qui en renouvellent l’approche. Son ensemble, la Chapelle Harmonique, et lui ne font qu’un, et chœur comme orchestre se montrent exemplaires : tempi, phrasés, articulation, dynamique servent remarquablement l’ouvrage et ses couleurs, avec un constant souci du chant, mais sans doute de façon moins théâtrale que Marc Minkowski. La vivacité constante, assortie d’une précision, d’une articulation, d’une sûreté admirables, emporte l’auditeur dans ce tourbillon savoureux, dépourvu de temps morts. Les nombreuses danses, toujours associées à l’action, sont jouées pour être chorégraphiées ; si l’orage est spectaculaire, la scène de la métamorphose, le charivari des oiseaux et batraciens sont un régal, comme la chaconne, démesurée, ou l’ascension de Jupiter et Junon réconciliés. Le chœur, toujours clair, se fait acteur, et les airs où il dialogue avec tel ou tel soliste sont également réussis. Chanteur dès son plus jeune âge, le chef réalise un subtil équilibre entre voix et instruments, et le résultat est confondant de justesse.

La distribution réunit des chanteurs dont la familiarité à ce répertoire n’est plus à démontrer. Ainsi, Matthias Vidal s’est souvent baigné dans la mare, au pied du Mont Cithéron (des airs de Thepsis publiés en 2020) : sa Platée, aux égarements outranciers et émouvants, est d’une absolue justesse, coquette, vaniteuse, comme pathétique. D’une constante intelligibilité, le chant n’appelle que des éloges : coloré, projeté et soutenu, inspiré. Notre vaillant ténor est bien la grenouille nymphomane convaincue de sa séduction auprès de Jupiter. Sans caricaturer outrageusement la batracienne, il lui donne une vie constante, à travers ses attentes, ses vœux, ses interrogations, comme ses souffrances. A cet égard, son lamento (« Jupiter, mes cris sont superflus »), en écho à Armide et à toutes les amoureuses trahies, est un bonheur, avant que sa colère éclate. La riche palette des affects est illustrée avec maestria, Matthias Vidal se jouant des passages virtuoses, admirable comédien de surcroît. Le bref désespoir final de Platée, drôle et pathétique, ne laissera aucun auditeur insensible. Après Thalie, dans le Prologue, Marie Lys endosse les habits de la Folie, rôle écrasant par les moyens vocaux requis, sans compter l’incarnation. Sa grande scène est sans doute la plus fréquemment illustrée au concert, spectaculaire en diable, hors du commun. Or, on le sait, la virtuosité, le registre le plus large ne suffisent pas à traduire la démesure, la fougue, la fureur attendues. Jennifer Smith (avec Minkowski), Patricia Petibon (en concert) étaient folles à lier. Marie Lys, éblouissante, se hisse à leur niveau pour nous offrir, dès son apparition (à la fin du II) la plus séduisante des Folies. Son ariette, « Aux langueurs d’Apollon, Daphné se refusa », « Lance tes traits Amour », tout comme les récitatifs enchaînés, nous réjouissent pleinement. Le rusé Mercure, dont l’art de tirer les ficelles est connu, est confié à Zachary Wilder, après qu’il ait incarné l’ensommeillé Thespis, ordonnateur du divertissement. L’aisance de notre ténor vif-argent y est constante, à la roublardise réjouissante. Avec l’autorité vocale, la voix bien timbrée et les graves qu’on lui connaît – ce qu’appelle le rôle – Alexandre Duhamel campe un Jupiter souverain et l’on regrette que Rameau ne lui ait pas réservé de véritable air. Convaincante est la Junon de Juliette Mey, qui brille dans son air de colère « Haine, dépit, jalouse rage ». Cithéron, le complice de Mercure, est David Witczak, solide basse qui impose son personnage avec l’assurance attendue. L’ Amour, puis Clarine, sont fort bien servies par l’émission fraîche de Cécile Achille. Enfin Cyril Costanzo, en Momus (travesti en Amour ensuite) n’appelle que des éloges.

La majesté désuète de Rosbaud, la blague bouffonne de Malgoire sont réunies dans cette lecture inspirée, d’une fidélité convaincante, qui se démarque de celle de Minkowski par son exigence musicale constante et son refus de l’outrance, pour une comédie désopilante et cruelle. Une réalisation attendue qui devrait contribuer à la connaissance de l’ouvrage et donner un plaisir renouvelé à son écoute.

(1) Rousseau applaudit (« le chef-d’œuvre de Monsieur Rameau et le plus excellent morceau de musique qui jusqu’ici ait été entendu sur notre théâtre ») alors que Voltaire dénigre (« un très mauvais ouvrage : c’est le comble de l’indécence, de l’ennui et de l’impertinence... »).
(2) qui poursuit ainsi son ambitieux projet d’intégrale des œuvres lyriques de Rameau. L’enregistrement fait suite à un concert donné à Versailles en avril 2024.

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Jean-Philippe Rameau

Platée
Opéra-ballet bouffon en un prologue et trois actes
Livret d’Adrien-Joseph Le Valois d’Orville
Créé à Versailles, au Grand Manège (Théâtre de la Grande Ecurie), le 31 mars 1745

Détails

Platée
Matthias Vidal

Thalie, la Folie
Marie Lys

Thespis, Mercure
Zachary Wilder

Jupiter
Alexandre Duhamel

Junon
Juliette Mey

Cithéron, un Satyre
David Witczak

L’Amour, Clarine
Cécile Achille

Momus
Cyril Costanzo

 

La Chapelle Harmonique

Direction musicale
Valentin Tournet

 

2 CD Château de Versailles CVS 153, 137′ 47″

Enregistrés du 23 au 30 avril 2024 à l’Opéra royal du Château de Versailles

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