Pourquoi les baroqueux anglais ont-ils si longtemps dédaigné la musique composée dans leur pays après la mort de Haendel ? Pourquoi les opéras de Thomas Arne sont-ils encore si rarement repris ? Pourquoi les noms de Samuel Arnold, de George Rush ou de William Bates sont-ils à peu près inconnus des mélomanes hors des frontières britanniques ? En tout cas, ce n’est pas faute de mérite musical, comme le disque Mozart in London vient en offrir l’éclatante démonstration. Tout l’intérêt de cet album vient en effet du fait que Mozart n’y occupe qu’une place finalement assez réduite, et que ce programme, où se bousculent les premiers enregistrements mondiaux, nous révèle l’univers sonore qui put être celui du tout jeune Wolfgang lors de son long séjour en Angleterre : quinze mois, à partir du 23 avril 1764 au 1er août 1765 ! Grâce aux efforts des défricheurs du répertoire italien, on connaît désormais relativement bien ce que Mozart put écouter lors de ses voyages au-delà des Alpes, mais quant à ce qui se jouait outre-Manche quand il avait huit ans, la découverte est quasi-totale.
Bien sûr, comme dans toute grande capitale, Londres attirait des compositeurs de toute l’Europe, et l’on pouvait y entendre les œuvres de Johann-Christian Bach, de Karl-Friedrich Abel, d’Egidio Duni, de Giovanni Battista Pescetti ou de Davide Perez, parfois mélangées et accompagnées de paroles anglaises dans des pasticcios comiques. Dans ce climat d’émulation, il n’est pas surprenant que les talents nationaux aient pu également s’affuter, et les airs signés Arne et consorts donnent prodigieusement envie de connaître le reste de leurs œuvres.
Une fois encore, on salue donc bien bas l’initiative du chef Ian Page, grand défricheur grâce auquel va s’approfondir notre connaissance de Mozart et de la musique de son temps. Le livret d’accompagnement de ces deux CD est une mine d’informations sur la programmation des lieux de spectacle et de concert londoniens dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Et au lieu de confier tous ces airs à un ou deux chanteurs, il a été fait appel à huit solistes différents, ce qui nous offre notamment un bel échantillon de la jeune génération du chant britannique. Rien moins que cinq sopranos, dont l’excellente Ana Maria Labin, choisie par Marc Minkowski pour sa trilogie Da Ponte (Comtesse, Anna, Fiordiligi), Rebecca Bottone, dont on a pu goûter le timbre cristallin dans plusieurs comédies musicales au Châtelet, ou le fort séduisant organe d’Anna Devin. La mezzo Helen Sherman prête sa riche voix au personnage d’Arbaces dans l’Artaxerxes d’Arne, destiné au castrat Ferdinando Tenducci. On signalera aussi le ténor Ben Johnson, au chant sensible et gracieux malgré quelques voyelles un rien nasales, à qui l’on devait déjà un beau récital de mélodies britanniques. Et l’orchestre The Mozartists, conduit par Ian Page, sait animer toutes ces musiques du souffle nécessaire, sans rien sacrifier de la précision du jeu ni de la beauté du son. Pour avoir tiré les derniers en matière de redécouverte de leur patrimoine musical, les Anglais ne nous en donnent pas moins une leçon magistrale.
CD 1
Wolfgang Amadeus Mozart
Symphonie n° 1 en mi bémol majeur, K 16
Thomas Arne
« Sleep, gentle Cherub », « O torment great » (Judith)
« Amid a thousand racking woes », « O too lovely, too unkind » (Artaxerxes)
Johann Christian Bach
Concerto pour clavecin en ré majeur, Op. 1, n° 6
« Non so d’onde viene » (Ezio)
« Confusa, smarrita » (Berenice)
Thomas Arne
« O Dolly, I part » (The Guardian Outwitted)
Egidio Duni
« To spek my mind of womankind » (The Maid of the Mill)
Samuel Arnold
« Hist, hist ! I hear my mother call » (The Maid of the Mill)
Wolfgang Amadeus Mozart
Symphonie n° 4 en ré mjaeur, K 19
Pescetti
« Caro mio bene, addio » (Ezio)
CD 2
Wolfgang Amadeus Mozart
Symphonie en fa majeur, K 19a
Johann Christian Bach
« Deh lascia, o ciel pietoso », « Cara la dolce fiamma » (Adriano in Siria)
George Rush
Ouverture, « Thus laugh’d at, jilted and betray’d » (The Capricious Lovers)
William Bates
« In this I fear my latest breath » (Pharnaces)
Wolfgang Amadeus Mozart
« Va, dal furor portata », K 21
Davide Perez
« Se non ti more a lato » (Solimano)
Karl Friedrich Abel
Symphonie en mi bémol majeur, Op. 7, n° 6
Enregistré à la Guildhall School, Londres, du 20 au 22 février 2015
2 CD Signum Classics SIGCD 534 – 77’36 + 67’14
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