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Cheryl Studer : « J’ai assez rapidement découvert que Richard Strauss était le plus adapté à ma voix. »

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Interview
14 avril 2014

Infos sur l’œuvre

Détails

Soprano américaine chérie des studios d’enregistrement dans les années 1990, Cheryl Studer a embrassé tous les répertoires – ou presque – et chanté des rôles aussi différents que Semiramide, Marguerite (Faust de Gounod) ou Salome...
  
Comment êtes-vous venue à la musique, et plus particulièrement à l’opéra ? 
Je suis née dans une famille où on allait régulièrement à l’église. La première chorale dans laquelle je suis entrée a été la chorale d’enfants de notre paroisse. Quand j’ai eu 5 ans, j’ai commencé à prendre des leçons de piano puis, à 9 ans, j’ai également pris des cours d’alto. Ma mère considérait cela comme nécessaire à une éducation convenable. J’ai aussi pris des cours ce danse, et ce jusqu’à mes années d’université ! Et si, dans mon entourage familial proche, personne n’est un musicien au sens professionnel du terme – à l’exception de ma fille aînée –, chacun a étudié un instrument et nous avons tous appris et pratiqué le chant. Mon arrière-arrière-arrière… grand-mère, Elisa Studer, avait pratiqué le jodle de manière professionnelle, à Berne, en Suisse. 
Quels ont été vos modèles, les chanteurs que vous aimiez écouter, que ce soit au disque ou à la radio ?
Ma première expérience lyrique a eu lieu quand j’avais 9 ans. Ma mère, qui travaillait pour une station FM à la radio, a ramené à la maison un LP, spécifiquement pour moi. Après quelques minutes d’écoute sur mon petit tourne-disques rouge, je me souviens que je me suis mise à courir en criant « C’est ça, c’est ça que je veux être ! » C’était un disque de Maria Callas : « Callas à Paris ». Avant cette expérience, je ne savais même pas ce que c’était que l’opéra, même si nous avions l’habitude d’écouter de la musique classique à la maison. Maria Callas a donc bien évidemment été ma première grande source d’inspiration, rapidement suivie par Leontyne Price, Montserrat Caballé et Marilyn Horne. 
Diriez-vous que vous avez autant appris d’elles que de vos professeurs ? 
Je dirais que j’ai appris de tout le monde, sans exception ! Les disques peuvent nous permettre de mieux comprendre les styles, par exemple. Le cinéma aussi peut aider à mieux comprendre beaucoup de choses sur le jeu scénique. Mais pour la technique vocale, rien ne remplace un bon professeur. 
Justement, quels ont été vos professeurs ?
Mon premier professeur, Gwendolyn Pike,était assez réputée dans la ville où nous habitions. Après avoir plusieurs années durant épuisé ma mère en lui réclamant des cours de chant, elle a finalement contacté cette dame, lui a parlé de moi. Sa première question fut : « Quel âge a votre fille ? » Quand ma mère lui a répondu que j’avais 12 ans, Mme Pike refusa de me prendre. Cependant, ma mère lui expliqua à quel point j’étais déterminée et qu’à son avis, j’allais quand même essayer de prendre des cours coûte que coûte ; et si elle refusait, j’irais donc nécessairement chez un professeur moins qualifié. Mme Pike proposa alors à ma mère de m’amener la semaine suivante pour une audition, et à ce moment-là, elle me parlerait. Lors de cette première rencontre, j’étais malade ; mais au lieu de me renvoyer en me conseillant de patienter encore quelques années, elle m’a proposé de commencer à prendre des leçons avec elle dès la semaine suivante. J’étais la plus jeune de ses élèves, et la plus jeune qu’elle ait jamais acceptée ! J’ai travaillé avec elle de 12 à 16 ans. Elle avait un tout petit studio et son petit chien gris avait l’habitude de s’asseoir à ses pieds, quand elle était au piano. Quand mes résonateurs commençaient à se mettre en place, il aboyait et quittait la pièce. C’est comme si j’avais eu deux paires d’oreilles pour me donner un feed-back ! 
Quel répertoire avez-vous aimé d’emblée ? 
J’ai assez rapidement découvert que Richard Strauss était le plus adapté à ma voix. Pourtant c’est avec la musique de Rossini que j’ai eu le plus de plaisir, je pense.

Les musiques que vous aimez chanter sont-elles les mêmes que celles que vous avez plaisir à écouter ? 
Mes compositeurs préférés sont Rossini, Wagner et Strauss. A vrai dire, j’adore écouter les voix masculines ! J’ai toujours écouté beaucoup les ténors et les barytons dramatiques par exemple, comme Gedda, Bonisolli, Taddei, Cappucilli ou mon dernier professeur, Hans Hotter.
Votre répertoire est très étendu, du bel canto jusqu’à Strauss. Mais y a-t-il des ouvrages que vous regrettez de ne pas avoir interprétés – je pense à Britten ou Janacek, par exemple ?
En fait, j’ai chanté du Janacek, Kat’a Kabanova, et dans une merveilleuse production. J’aurais dû chanter Anna Bolena de Donizetti, je pense que ce rôle aurait parfaitement convenu à ma voix. Et je suis totalement passée à côté du répertoire vériste, du moins en termes d’ouvrages complets, car j’ai bien chanté des extraits de ces compositeurs, mais seulement pour des concerts. Je regrette aussi de n’avoir jamais eu l’opportunité de chanter l’intégralité du rôle de Salome sur scène. J’ai énormément aimé ce rôle, mais j’ai essayé de faire attention à ne pas abîmer trop précocement ma voix et j’ai donc dû refuser un bon nombre de propositions que je trouvais beaucoup trop prématurées. Je regrette aussi de n’avoir jamais eu l’occasion de participer à une création. Je travaille toutefois maintenant avec un compositeur, Stafan Heuke, pour un opéra qui doit voir le jour en 2016-2017.

Vous avez une carrière discographique phénoménale. Quels sont les meilleurs souvenirs que vous en gardez ? 
J’ai adoré travailler avec Michel Plasson. C’était chaque fois une atmosphère unique. Je garde aussi un excellent souvenir des séances de travail avec Riccardo Muti pour Attila. Ce fut une expérience incroyable, même s’il faisait alors plus de 40° à ce moment-là à Milan ! Semiramis (pour DG cette fois, les autres enregistrements étaient avec EMI) fut aussi une merveilleuse expérience ; mais peut-être était-ce en grande partie parce qu’il s’agissait d’un projet personnel… Ils m’avaient demandé ce que j’avais le plus envie de faire et, sans hésiter, j’ai dit : Semiramis. A l’exception de mes enregistrements solo, c’est la seule fois où l’on m’a demandé ce que j’aurais envie d’enregistrer. 
Avez-vous chanté Arabella, ou Daphné ? On imagine aisément que ces rôles aussi devaient vous convenir parfaitement ! 
Ma toute première Arabella, c’était avec le Royal Opera House de Covent Garden. J’ai dû remplacer au pied levé une autre soprano (très honnêtement, je ne me souviens plus qui). J’ai eu deux semaines pour apprendre le rôle avant le début des répétitions. J’ai toujours été assez rapide dans l’apprentissage des rôles, mais Strauss est souvent très difficile. Et quand je suis arrivée à Londres, je ne savais pas mon rôle comme je l’aurais dû. Je continuais donc à apprendre alors que j’avais commencé à répéter les premières scènes… C’est une situation assez stressante. C’était en 1996, l’année où ma mère est tombée malade et nous à quittés. J’ai pu rechanter ce rôle un peu plus tard à Munich. Mais pour être totalement franche avec vous, ce rôle n’était pas si idéal que ça pour ma voix – un petit peu trop lyrique, sans doute. Mais quelle sublime musique à chanter ! Quant à Daphne, je l’ai chantée à Nice pour la toute première fois. C’était l’année de la catastrophe de Tchernobyl ! Pour le coup, le rôle de Daphne m’allait comme un gant à ce moment-là de ma carrière. Et c’était un bonheur que de le chanter. Ce rôle aussi, je l’ai repris un peu plus tard à Munich, sous la direction de Wolfgang Sawallisch. 
Vous avez décidé de vous installer en Allemagne – un pays qui reste aujourd’hui encore un modèle pour la pratique de la musique, et de l’opéra en particulier. 
En 1978, j’ai participé à un concours vocal organisé par le Metropolitan Opera de New York. J’ai obtenu la 3e place. J’ai alors cru que le monde n’attendait plus que moi. Après une douzaine d’auditions infructueuses, j’ai commencé à me poser des questions. J’étais assez frustrée ! Je me suis même dit que je devrais peut-être me contenter de chanter des lieder, comme j’en avais pris l’habitude avec Mme Pike, qui me faisait chanter beaucoup plus de lieder que d’airs d’opéra en raison de mon âge. Je me suis donc inscrite à l’Académie d’été de l’Institut Franz Schubert,à côté de Vienne. Durant cet été, j’ai rencontré bon nombre de professeurs et de coaches vocaux, parmi lesquels Hans Hotter, qui a réussi à me convaincre de rester en Europe et d’étudier avec lui. J’ai alors téléphoné à ma mère pour lui demander d’annuler mon vol retour, et de m’envoyer quelques affaires d’hiver – et un peu d’argent. Ce fut une période assez difficile, avec pas mal de pleurs au début. Pas vraiment à cause du mal du pays, comme on pourrait le croire, mais parce que je n’arrivais pas à faire fonctionner les téléphones d’alors ! A cette époque, il y avait ces téléphones payants, en Autriche, dans lesquels il fallait mettre des pièces de monnaie. Ensuite, vous étiez connecté à la personne avec laquelle vous souhaitiez parler. Mais il fallait à ce moment-là appuyer sur un bouton pour faire tomber la pièce de monnaie, sinon, la personne que vous aviez au bout du fil ne pouvait pas vous entendre. Je me souviens aussi des factures d’électricité : il m’est arrivé d’en payer avec un jour de retard. Je n’avais plus de lumière, et je pensais qu’il faudrait que j’attende une semaine avant que la lumière soit rétablie. En fait, j’ai vécu un bon mois sans électricité, trop apeurée pour oser téléphoner à mon propriétaire jusqu’à ce qu’un ami vienne et ait l’idée de regarder la boite à fusibles. Évidemment, je n’avais pas eu l’idée d’y regarder puisque je ne savais même pas que ça existait. Cela m’a donné l’occasion de passer un mois très romantique à la lueur des bougies…
Que répondez-vous à ceux qui prétendent qu’en matière de chant, « tout était mieux avant » ?
Il y a eu des chanteurs absolument prodigieux dans le passé, Caruso, Ponselle, Melchior, Flagstad, Callas… Peut-être la qualité du chant était parfois globalement meilleure qu’aujourd’hui, c’est qu’à l’époque, quand on allait à l’opéra, on s’intéressait au chant plus qu’au physique des chanteurs et à la mise en scène. Maintenant, l’art lyrique est considéré comme un art total, où l’aspect scénique, visuel, est aussi important que l’aspect musical. Les plus grands chanteurs du passé avaient tout cela, bien entendu, l’art du chant et le charisme scénique – la plupart des grands chanteurs du passé étaient aussi prodigieux par leur art du chant que par leur personnalité. Mais l’essentiel de leur énergie, ils la passaient à peaufiner leur chant. Aujourd’hui, avec notre souci du politiquement correct, les personnalités sont toutes un peu sur le même moule, sans plus aucune aspérité. Cela vaut pour les musiciens mais aussi pour tous les autres arts, et pour les politiciens également. 
Pensez-vous que l’art lyrique se porte bien ? Elisabeth Schwarzkopf avait l’habitude de dire que dans quelques générations, même Callas et Caruso seraient oubliés… 
Pour le moment, le souvenir de Maria Callas est toujours vivant, et bien vivant ! Avec le temps, nous serons tous oubliés, c’est sûr, mais le disque nous permet de laisser une trace un peu plus durable, quand même.
Vous consacrez beaucoup de temps aux jeunes, par le biais de master-classes ou d’académies…
Je donne des master-classes parce que j’ai beaucoup de choses à transmettre, des informations pratiques que j’estime très utiles et qu’un jeune artiste risque de mettre des années à apprendre si personne ne les lui dit. Chaque artiste a des attentes et des besoins différents. Certains ont besoin d’une aide technique. Je remarque par exemple que l’articulation est devenue le parent pauvre de notre art. Je me dis parfois que c’est dû aux costumes ; plus les costumes sont relâchés, plus vous êtes amenés à vous relâcher vous aussi. Le relâchement se généralise, les muscles du soutien du souffle, puis ceux des épaules, de la mâchoire par exemple, et la langue. Ce qui est positif, c’est que tous les jeunes avec lesquels j’ai été amenée à travailler sont tous extrêmement demandeurs ; avec des attentes et des énergies différentes, tous ont cette soif d’apprendre et de savoir.

Tout ce que vous devez leur apprendre, n’était-ce pas le rôle des « troupes » comme il n’en existe plus que dans les pays germaniques, justement ? 
Les « ensembles » au vieux sens du terme ont tous disparu. Avec eux, c’est toute une atmosphère, un esprit de famille qui s’est perdu dans les maisons d’opéra. C’est peut-être dû à l’accélération globale de notre façon de fonctionner, les directions passent plus rapidement que par le passé, et le sens de la continuité n’existe plus vraiment. Chaque nouveau directeur croit devoir faire l’inverse de son prédécesseur. Cela affecte l’ensemble des domaines de notre art. 
Je suppose que vous avez eu la chance de rencontrer des chefs d’orchestre qui prenaient le temps de travailler avec les artistes durant les répétitions…
Tous les grands chefs d’orchestre répétaient, et répétaient beaucoup. Surtout Muti et Sinopoli. Muti préparait toujours nos rôles avec nous deux semaines avant même le début des répétitions scéniques. Six heures par jour, tous les jours, et il se mettait presque toujours lui-même au piano. Vous imaginez tout ce que l’on peut apprendre alors !
Lesquels de vos disques conseilleriez-vous à de jeunes auditeurs ? 
Mes enregistrements préférés sont ceux de Marguerite dans Faust de Gounod, et Salome. Je vais vous paraître immodeste mais je me suis préparée seule à ce rôle de Salome, sans chef de chant. Et comme je n’ai pas eu l’occasion de chanter le rôle à la scène avant de l’enregistrer,je me suis préparée comme l’aurait fait un chef d’orchestre, analysant l’œuvre dans son ensemble avant de m’intéresser à mes propres lignes vocales. On peut donc réellement dire ici qu’il s’agit de mon interprétation. Je suis aussi assez fière d’avoir réussi à convaincre Philips que j’étais capable de chanter la Reine de la Nuit. Ce fut une expérience extraordinaire. Je garde aussi un superbe souvenir de la Susannah de Carlysle Floyd pour Virgin. Comme vous le savez sans doute, j’ai longtemps habité moi-même Knoxville, dans le Tennessee. Ce qui n’a fait que renforcer mon empathie pour ce personnage…
Et des regrets ? 
Aida, peut-être. Je pense que j’aurais dû apprendre le rôle plus tôt. J’aurais eu plus de facilité ensuite, quand ma voix a commencé à grandir. La mémoire musculaire m’aurait aidée.
Propos recueillis en février 2014 par Jean-Jacques Groleau. 
Jean-Jacques Groleau est actuellement dramaturge au Théâtre du Capitole, Toulouse.

 

 

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