Pourquoi les dialogues parlés – qui font pourtant intrinsèquement partie de la Flûte et sont indissociables de la musique – rebutent-ils tant les metteurs en scène d’aujourd’hui ?
Après Roméo Castellucci qui les avait complètement passés au bleu à la Monnaie en 2018, voici une nouvelle production de la Flûte Enchantée qui s’arroge le droit de les remplacer par un récit nouveau, différent, considérablement rétréci, réduisant l’ensemble du livret à la dimension d’un conte pour enfants. Le propos philosophique de l’œuvre et sa dimension universelle s’en trouvent considérablement affadis. Certes, la mise en scène est habile et fonctionne très bien, les voix sont belles, même exceptionnelles pour certaines, mais le procédé qui consiste à mutiler l’œuvre pour la faire entrer dans les conceptions de la metteuse en scène est tout de même contestable et pour tout dire très énervant !
Au cours de l’ouverture, on assiste à une scène de ménage chez la Reine de la nuit. Son mari quitte la table sans qu’on sache où il va. De rage elle fait valser la vaisselle et pour consoler les trois enfants que cette scène a terrifiés, leur grand père (oui, on ajoute aussi plusieurs nouveaux rôles…) s’apprête à leur lire une histoire, celle de la Flûte enchantée. La partition est ensuite artificiellement découpée en onze chapitres, qui seront chacuns introduits par un petit résumé pour être sûr que tout le monde suit. Toute la trame de l’histoire, ramenée à sa dimension familiale, est vue à travers le regard des enfants qui sont placés ici au centre de l’aventure, volant la vedette au couple Tamino – Pamina. C’est un prisme nouveau, attendrissant, mais est-ce juste pour autant ?
Le dispositif scénique, fait de deux plateaux tournant de manière concentrique, très ingénieux et très beau, permet de présenter toutes les scènes : l’intérieur d’une demeure bourgeoise avec en haut la salle à manger et la chambre des enfants, et en bas la cuisine et le calorifère, sur lequel veille Monostatos. Puis des extérieurs, lorsque cette maison devient le temple qu’aborde Tamino, intérieurs à nouveau pour les travaux des disciples de Sarastro (curieusement présentés ici comme des Mormons) etc…
Quelques subtils glissements de sens provoquent des effets comiques très réussis. Ainsi, Papageno l’oiseleur est-il devenu volailler, qui fournit à la cuisine d’énormes dindes, plumées, troussées et prêtes à rôtir. A propos de trousser, il s’en prend aussi à la cuisinière qui s’avérera ultérieurement être Papagena, c’était à prévoir…
Les trois dames (Ilse Eerens, Sophie Rennert et Noa Beinart) forment un ensemble parfaitement homogène, rompu à toutes les difficultés, réagissant d’une seule voix aux injonctions de la cheffe.
Le rôle de la Reine de la nuit était exceptionnellement confié ce soir à une jeune chanteuse issue du projet Young Singers, une série de masterclass destinées à des artistes en début de carrière que le festival organise depuis plusieurs années. C’est donc Jasmin Delfs, jeune soprano issue du conservatoire de Lübeck qui a endossé le rôle tenu les autres soirs par Brenda Rae, et le moins qu’on puisse dire c’est que les débuts de cette jeune chanteuse sont prometteurs. Les suraigus sont impeccablement justes et nul doute qu’elle gagnera encore en souplesse au fil des années. Sarastro est chanté par Tareq Nazmi : il en impose plus par la voix, dont les graves sont impressionnants que par la prestation scénique, peu investie – mais c’est sans doute la volonté de la mise en scène qui le fait apparaître entouré de ses disciples dont rien ne le distingue. Voix parfaite pour le rôle, le Papageno de Michael Nagl est cocasse comme il convient, suscitant plus le rire que l’émotion. Magnifique aussi la prestation des membres des Wiener Sängerknabe pour les rôles des trois garçons. Ils sont six en tout à se partager les huit représentations, de sorte que je ne sais pas le nom de ceux que j’ai entendus, mais ils étaient tous trois excellents, drôles, attachants, très bons musiciens et parfaitement à l’aise en scène. N’oublions pas Maria Nazarova parfaite aussi dans le court rôle de Papagena. Seule vraie déception de la distribution, le Monostatos du ténor américain Peter Tantsits. Bien que très engagé physiquement et excellent comédien dans une composition complètement déjantée, il ne parvient pas à dominer le rôle dans le registre grave, presqu’inaudible, et crie ses aigus, ce qui ne constitue pas une compensation.
En définitive, une fois digéré l’énervement lié à la conception contestable du spectacle, on passe une excellente soirée ; l’émotion musicale – elle – est préservée.
Singspiel en deux actes KV 620 de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret d’Emanuel Schikaneder
Créé à Vienne au Freihaustheater auf der Wieden le 30 septembre 1791
Mise en scène
Lydia Steier
Décors
Katharina Schlipf
Costumes
Ursula Kudrna
Eclairages
Ola Freese
Vidéo
Momme Hinrichs
Dramaturgie
Ina Karr
Maurice Lenhard
Tamino
Mauro Peter
Pamina
Regula Muhlemann
Die Königin der Nacht
Jasmin Delfs
Papageno
Michael Nagl
Papagena
Maria Nazarova
Sarastro
Tareq Nazmi
Monostatos
Peter Tantsits
Erste Dame
Ilse Eerens
Zweite Dame
Sophie Rennert
Dritte Dame
Noa Beinart
Der Sprecher / Eerster Priester / Zweiter Geharnischter
Henning von Schulman
Zweiter Priester / Erster Geharnischter
Simon Bode
Drei Knaben
Des membres du Wiener Sängerknabe
Le grand père (rôle parlé)
Roland Koch
Troisième Prêtre (rôle muet)
Valérie Junker
La cuisinière / Papagena âgée
Stefan Vitu
Konzertvereinung Wiener Staatsopernchor
Chefs des Chœurs
Jörn Hinnerk Andresen
Wiener Philharmoniker
Direction musicale
Joana Mallwitz
Textes de substitution aux dialogues parlés de Ina Karr et Lydia Steier
Salzbourg, Haus für Mozart, le mercredi 10 Août 2022, 18h30
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