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DFD 100 – Dietrich Fischer-Dieskau à Salzbourg : Chants d’un compagnonnage gagnant

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Actualité
11 juin 2025
En tout et pour tout, Dietrich Fischer-Dieskau n’aurait chanté que dans quatre opéras à Salzbourg

Infos sur l’œuvre

Détails

Un chiffre en trompe-l’œil, qui occulte d’innombrables concerts et récitals au cours desquels l’artiste aura trouvé l’écrin idéal pour chacune des facettes de son art… pendant 55 ans !

Il y a des artistes sérieux et des artistes imprévisibles, des capricieux et des simples, des sages et des fous. Dietrich Fischer-Dieskau (DFD) restera, à bien des égards, comme un artiste fidèle. Fidèle à une certaine éthique, disons même une morale du chant, dont ce dossier cherche à lever une part du mystère, fidèle à des rôles et des compositeurs qu’il n’aura jamais cessé de remettre sur le métier, fidèle à des partenaires musicaux. Et fidèle à des lieux. S’il est entendu que DFD reste comme la plus grande légende du chant à n’avoir jamais foulé les planches du Metropolitan Opera, il aura été à peine plus présent à la Scala de Milan, ne s’y produisant que pour deux concerts (alors qu’en studio, il a gravé, avec l’orchestre de la maison, l’un des Rigoletto les plus fameux de la discographie). Et même l’Opéra de Vienne, bien plus proche de ses terres bavaroises, ne l’a applaudi que pour 21 représentations, plutôt dans les premières décennies de sa carrière. Tout cela permet de mesurer la valeur des longues années de compagnonnage qui ont uni le chanteur au Festival de Salzbourg.

Tout débute donc le 19 août 1951, et on ne s’étonnera pas que ce soit avec du Lied. Notre héros a 26 ans, et interprète les Chants d’un compagnon errant de Gustav Mahler, au sein d’un concert du Philharmonique de Vienne au programme plutôt copieux (Les Hébrides de Mendelssohn en lever de rideau, la Cinquième Symphonie de Bruckner pour finir), dirigé par Wilhelm Furtwängler. La soirée sera suffisamment réussie pour conduire les deux artistes à réaliser un enregistrement fondateur de ce cycle pour EMI Classics un an plus tard, cette fois avec le Philharmonia Orchestra, mais il ne sera pas immédiatement suivi de nouveaux engagements à Salzbourg. Rien pendant cinq ans, jusqu’à ce DFD revienne enfin, dans un opéra de l’enfant du pays. On aimerait pouvoir remonter le temps et assister à ces Noces de Figaro regroupant ce que le chant mozartien de l’époque avait de plus olympien : autour de ce jeune Comte plein de morgue mais glissant aussi, dans chacune de ses répliques, des accents d’une troublante séduction, la Comtesse d’Elisabeth Schwarzkopf, la Susanna d’Irmgard Seefried, le Figaro d’Erich Kunz, le Cherubino de la jeune Christa Ludwig, et Karl Böhm au pupitre. Les mêmes se retrouvent l’année suivante, où les soirées sont enregistrées – si vous ne l’avez pas encore écouté, faites-le à peine terminé cet article ! Surtout, dès 1956, DFD ouvre une tradition dans sa collaboration avec Salzbourg : celle du Liederabend. Schubert et Schumann sont au programme de cette première soirée, qui inaugure des séries pour douze éditions consécutives. Accompagné par Gerald Moore, Jörg Demus ou Erik Werba, également avec des orchestres (et Karajan, Böhm, Maazel, Mehta), parfois avec d’autres chanteurs (ah, cet Italienisches Liederbuch de Wolf en 1958, suivi du Spanisches Liederbuch deux ans plus tard, en compagnie d’Irmgard Seefried !), Fischer-Dieskau chante tout : Schubert, Schumann et Brahms bien sûr, mais aussi des pièces moins entendues de Beethoven et, à l’époque, de Mahler, voire de franches raretés, comme en 1962, où un programme fait dialoguer Pfitzner et Busoni. Un coffret édité par Orfeo, regroupant de larges extraits de ces soirées captées entre 1956 et 1965, donne à entendre un DFD qui surprendra ceux qui se sont habitués à lire les éternels commentaires sur le diseur méticuleux, l’intellectuel exigeant et un peu distancé, à la droiture vocale confinant à l’austérité. Car enfin, quelle fougue dans ce Dichterliebe ! Quelle jeunesse dans ces Brahms à la gourmandise terrienne ! Quelle théâtralité dans ces Strauss ! Une maîtrise déjà souveraine du texte, oui, mais au service d’une expressivité qui ne se ménageait que pour mieux nous foudroyer au moment voulu.

C’est que la veille et le lendemain de ces soirées consacrées au Lied, le baryton était sur les planches – et ce sont bien des échos d’opéra, des diaprures de rideau rouge, qui hantent chacune de ces mélodies. Avec les Noces de Figaro alterne bientôt Arabella. Ce Strauss qui, en 1958, était encore un quasi-contemporain, résonne déjà comme un grand classique, grâce à une distribution réunissant Lisa Della Casa, Anneliese Rothenberger, Otto Edelmann, tous sous la direction de Joseph Keilberth. Là encore, le disque existe, là encore, une référence, alors que l’enregistrement du troisième titre lyrique que Fischer-Dieskau joue à Salzbourg, tout en s’avérant moins idiomatique, ne laissera pas de fasciner. Ce Macbeth dirigé par Sawallisch en 1964 le confronte à la Lady flamboyante de Grace Bumbry, et il y répond par un personnage de marbre, qui sculpte et cisèle chacune de ses répliques avec une précision et une intelligence qui ne dépareraient pas au milieu des acteurs de la Royal Shakespeare Company.

Une pause de trois ans, après un Winterreise avec Jörg Demus, puis Fischer-Dieskau revient à Salzbourg, en récital seulement, accompagné par Sviatoslav Richter en 1970 puis Aribert Reimann en 1971, jusqu’à ce qu’advienne, en 1972, un nouveau Mozart : à cette époque-là, avoir atteint l’âge de 47 ans vous destinait déjà à jouer les Don Alfonso, mais il a dû le jouer avec gourmandise, dans ce Cosi fan Tutte qui le faisait retrouver Karl Böhm, et partager les planches avec Janowitz, Fassbaender, Schreier, Prey et Grist. Repris un an plus tard, ce spectacle marquera les adieux de Fischer-Dieskau dans une production lyrique salzbourgeoise. Mais rien n’était fini pour autant ! Accompagné par Sawallisch ou Eschenbach, il reste plus que jamais fidèle à ses soirées consacrées au Lied, revient inlassablement à Schubert ou Mahler, s’aventure vers des confins inexplorés du répertoire (Pfitzner encore, Schwarz-Schilling et même deux mélodies signées Bruno Walter), offre un nouveau Winterreise, cette fois avec Pollini, et s’autorise, en version de concert, une Damnation de Faust sous la direction de Seiji Ozawa (1979). Les années 1980 déroulent, en toute logique, le fil doré d’une carrière exceptionnelle, où la passion de remettre sur le métier des ouvrages éternels (en 1989, avec Alfred Brendel, un autre… Winterreise) le dispute à l’envie d’explorer de nouveaux horizons : la soirée avec le Quatuor Melos lui donne l’occasion de chanter le rare Notturno de Schoeck en 1983, alors qu’une collaboration suivie avec l’ORF-Symphonieorchester et Lothar Zagrosek l’emmène vers Zemlinsky (une Symphonie Lyrique en duo avec son épouse, Julia Varady, en 1982), Messiaen (extraits de Saint-François d’Assise à peine un an et demi après sa création mondiale), l’oratorio Golgotha de Franck Martin, doté d’un casting hollywoodien comme toutes les raretés en mériteraient (Christa Ludwig, Edda Moser, Peter Schreier).

En août 1992, DFD a 67 ans. Il retrouve son vieux comparse Hartmut Höll pour trois soirées de Lieder. L’une consacrée à Schubert, l’autre à Schumann, la dernière à Wolf. Cela aurait pu s’arrêter ici, et la boucle eût été bouclée en majesté. Mais DFD est revenu à Salzbourg, dans les années 2000. Comme chef d’abord, dirigeant, en 2003, Julia Varady, Thomas Hampson et le Radiosymphonieorchester Wien dans un Requiem Allemand de Brahms qu’il avait chanté in loco quelques 47 ans plus tôt, sous la direction de Karajan. Diseur toujours, dans un art réduit au plus simple de son éloquence, c’est en récitant qu’il revient pour des pièces de Bernd Alois Zimmermann et de Viktor Ullmann en 2004 et 2005. En 2006, enfin, il dirige l’Orchestre du Mozarteum lors de deux Mozart-Matinee. L’année des 250 ans de Mozart, Salzbourg célébrait ainsi un autre de ses génies.

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