C'est la première fusée du bouquet final de Thierry Fouquet à la tête de l'Opéra national de Bordeaux (il sera remplacé par Marc Minkowski à compter de septembre 2016) : Don Carlo dans sa version italienne en quatre actes proposé non pas au Grand Théâtre mais dans l'Auditorium, nouvelle salle de concert de 1440 places à porter au crédit d'un mandat de 20 années. Malgré quelques retards à l'allumage – le remplacement de Carlos Ventre par Leonardo Caimi dans le rôle-titre et l'annulation pour raisons de santé d'Alain Lombard dont la présence aurait bouclé la boucle – le coup fait mouche.
Appelé à la rescousse, Paul Daniel fait mieux que reprendre les choses en main*. Sans éviter quelques dérapages côté cuivres et quelques décalages dans la scène monumentale de l'autodafé, le directeur musical de l'ONBA équilibre les forces en présence, telles des bûches dans l'âtre, souffle et attise jusqu'à ce que le drame s'enflamme en un gigantesque brasier émotionnel. Ah, le quatrième acte avec ce « tu che la vanita » chanté comme une scène de folie par Elza van den Heever, femme possédée par les démons de ses souvenirs et reine libérée du carcan dans lequel le statisme scénique l'avait jusque-là enfermée ; Elisabeth assumant les contraintes d'une tessiture trop grave et mesurant à la perfection le débit sonore d'une voix immense qu'elle sait réduire à un mince filet. Le duo ensuite la voit seule engagée face à un Don Carlo dépassé par les enjeux vocaux et théâtraux de son rôle mais cette solitude est de celle qui rend le dialogue entre les deux amants déchirant car impossible. Le « Oh ciel » final, longuement tenu, fait voler en éclats les murs du monastère de Saint-Just.
Cette dernière image vient racheter l'inertie à laquelle Charles Roubaud avait condamné ses personnages, posés comme des pions sur la scène entièrement nue. Si spectaculaires soient les projections vidéos utilisées pour contourner les difficultés posées par une salle privée de cintres et de coulisses, elles ne sauraient tenir lieu de mise en scène durant les quatre actes impartis. Placer le chœur – en grande forme – dans les fauteuils au-dessus du plateau est un moyen judicieux pour éviter des entrées et sorties souvent fastidieuses. Des costumes fidèles à l'époque du drame cautionnent les rares libertés prises avec les didascalies. Et sinon ? Pas grand-chose qui ne sépare cette interprétation figée d'une version de concert.
Par leur capacité d'expression, il incombe alors aux voix de secourir des corps privés de mouvement. Non pas Leonardo Caimi, Don Carlo impétueux qui – on l'a dit – n'a pas encore dompté les difficultés d'un rôle ingrat à tous points de vue ; mais Elza van den Heever donc et autour d'elle, Adrian Sâmpetrean, monarque juvénile avec ce que cette jeunesse implique de défaut d'autorité, de manque d'ampleur vocale (dans le duel avec l'inquisiteur, la partie est jouée avant même d'avoir commencé) mais aussi de vulnérabilité. Philippe II roi despotique, père tyrannique, époux intransigeant ? Pas forcément si l'on en juge à un « Ella giammai m'amo » qui s'apparente moins à une méditation égocentrique qu'à une déploration d'amour presque adolescente. L'intérêt de la composition réside dans cet anachronisme qui fait le souverain frère du fils. De Posa, Tassis Christoyannis a tout ce que l'on peut souhaiter : la longueur, la noblesse, l'intelligence du mot, le tracé élégant de la ligne et un timbre feutré qui convient à un personnage dénué de noirceur. Keri Alkema jongle avec ses deux registres pour venir à bout d'Eboli. N'est pas mezzo qui veut, quand bien même l'étoffe sonore de la voix possède l'épaisseur chaleureuse que l'on associe à cette tessiture. Mais l'aigu griffe suffisamment pour faire oublier ce que le grave a parfois d'artificiel. La princesse est une tigresse. Un grand inquisiteur sepulcral et marmoréen – Wenwei Zhang –, un « frate » plausible en empereur encapuchonné – Patrick Bolleire – et une « Voce dal cielo » considérée aujourd'hui comme un des espoirs du chant français – Anaïs Constans – complètent cette galerie de héros auxquels, à en croire Elisabeth dans une de ces dernières répliques, les femmes accordent toujours de nobles sanglots. Les femmes, mais pas seulement.
Opéra en quatre actes (1867, version en italien, dite de Milan)
Livret de Joseph Méry et Camille du Locle d’après le drame de Friedrich Schiller
Mise en scène
Charles Roubaud
Décors
Emmanuelle Favre
Costumes
Katia Duflot
Lumières
Marc Delamézière
Vidéo
Virgile Koering
Elisabetta
Elza van den Heever
Eboli
Keri Alkema
Tebaldo
Rihab Chaieb
Philippe II
Adrian Sâmpetrean
Don Carlo
Leonardo Caimi
Rodrigo
Tassis Christoyannis
Le Grand Inquisiteur
Wenwei Zhang
Un Moine
Patrick Bolleire
Le Comte de Lerma
Frédéric Reussard
Un Héraut Royal
Thomas Bettinger
Une voix céleste
Anaïs Constans
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux et Chœur Intermezzo
Chef de chœur
Salvatore Caputo
Directeur musical
Paul Daniel
Bordeaux, Auditorium, dimanche 27 septembre, 15h
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