Représenté salle Favart en décembre 2018, cet Hamlet mis en scène par Cyril Teste n’avait pas manqué de susciter un éloge général des voix, mais aussi quelques réserves concernant la mise en scène.
La captation vidéo du spectacle confirme un Stéphane Degout idéal dans la peau du héros : une émission si naturelle qu’on croirait qu’il parle et, malgré tout, une ligne superbe ; mais aussi cette émotion toujours prête à surgir. D’Hamlet accablé, sans énergie, physiquement harassé au début de l’opéra à Hamlet vif et vengeur dans la suite de l’ouvrage, le baryton montre une fois encore un engagement scénique et une finesse psychologique remarquables.
On sait Sabine Devieilhe virtuose et le public attend d’elle aussi bien que d’Ophélie des prouesses vocales dans le célèbre « A vos jeux, mes amis », cheval de bataille des sopranos légers. On retrouve dans l’aigu et le suraigu la précision et la solidité technique dont la chanteuse fait toujours preuve ; mais on a aussi (surtout ?) un medium assuré qui permet au personnage d’échapper à la caricature : une Ophélie d’une grande douceur avec Hamlet dans le très beau duo « Doute de la lumière », mais une Ophélie humaine, incarnée, moins folle que saoule à l’acte IV.
Son frère Laërte prend les traits de Julien Behr, qui parvient à donner une belle présence scénique à un personnage parfois trop en retrait, avec un réel souci du geste et du regard justes.
Laurent Alvaro campe un Claudius sombre et peu démonstratif, et Jérôme Varnier un spectre qui n’a rien de fantomatique, sans tomber dans le cliché de la voix d’outre-tombe.
Sylvie Brunet-Grupposo quant à elle contraste un peu avec le reste de la distribution dans le rôle de Gertrude. La voix est naturellement ample, les aigus métalliques, mais le chant est alourdi, rendu presque hors-format pour cette salle et ce répertoire. On ne peut pas nier non plus l’engagement dramatique de la chanteuse, mais la gestuelle est trop large, manque de la précision et du naturel admirables de ses collègues dans cette production ; la confrontation avec Hamlet perd alors un peu en véracité et en émotion.
Enfin, les petits rôles de Marcellus et Horatio (ainsi que des fossoyeurs) sont tenus par deux jeunes voix françaises que le public commence à connaître : Kévin Amiel et Yoann Dubruque qu’on se plaît, malgré la brièveté des interventions, à entendre.
Il faut dire que Louis Langrée déploie des trésors de couleurs, par touches, sans oublier de laisser la musique se déployer. Jamais écrasant, il accompagne avec une grande finesse ses chanteurs, et le drame qu'il soutient depuis la fosse.
On pouvait craindre à juste titre la captation de la mise en scène de Cyril Teste, cette dernière reposant en grande partie sur des personnages filmés en temps réel et la projection de vidéos sur un écran géant en fond de scène. Pourtant, la réalisation de François Roussillon semble atténuer les défauts du live.
En effet, en alternant intelligemment plans très serrés ou très larges, la présence d’un cameraman sur scène passe presque inaperçue. En tout cas elle ne perturbe pas le déroulement de l’action et permet au concept de Cyril Teste de fonctionner : la vidéo offre non seulement une plongée au plus près des émotions des personnages, mais elle annule aussi les coulisses et l’hors-champ – et donc, l’hors-drame.
De ce point de vue, l’entrée sur scène d’Ophélie avant son air de la folie (alors que le ballet et le chœur ont été supprimés) et Le meurtre de Gonzague sont tout à fait réussis. L’opéra gagne certainement en densité dramatique lorsque la mise en scène se concentre sur les émotions des protagonistes.
Ce qu’on peut en revanche lui reprocher est que les vidéos soient de plus en plus purement esthétiques au fil des actes. C’est très beau, certes, mais l’action s’appesantit alors un peu, notamment dans cette vidéo excessivement ressemblante à Ascension de Bill Viola lors de la mort d’Ophélie. Croisement entre Ivo van Hove et Peter Sellars, la projection d’images s’épuise un peu, sans doute parce qu’on en a trop l’habitude ; « l’habitude, ce monstre qui dévore tout sentiment… »
Opéra en cinq actes
Musique d'Ambroise Thomas
Livret de Jules Barbier et Michel Carré
Créé à l'Opéra de Paris le 9 mars 1868
Mise en scène
Cyril Teste
Décors
Ramy Fischler
Costumes
Isabelle Deffin
Dramaturgie
Leila Adham
Lumières
Julien Boizard
Conception Vidéo
Nicolas Dorémus,
Mehdi Toutain-Lopez
Hamlet
Stéphane Degout
Ophélie
Sabine Devieilhe
Claudius
Laurent Alvaro
Gertrude
Sylvie Brunet-Grupposo
Laërte
Julien Behr
Le Spectre
Jérôme Varnier
Marcellus, 2ème Fossoyeur
Kevin Amiel
Horatio, 1er Fossoyeur
Yoann Dubruque
Polonius
Nicolas Legoux
Chœur Les éléments
Chef de chœur
Joël Suhubiette
Orchestre des Champs-Élysées
Direction musicale
Louis Langrée
Capté les 19 et 21 décembre 2018 à l’Opéra Comique (Paris)
DVD Naxos 2.110640 – 171’
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