Forum Opéra

Faut-il encore aller à Bayreuth ?

Partager sur :
Edito
1 octobre 2025
Aimez-vous Wagner ? Si vous opinez du bonnet, il y a fort à parier que vous avez déjà accompli le pèlerinage à Bayreuth ou que vous vous apprêtez à le faire. Et pourquoi pas à l’été 2026 ? Ce serait l’occasion pour vous, mélomane wagnerolâtre, de revenir sur certaines idées fausses et vous débarrasser d’un bon nombre de préjugés qui ont la vie dure.

Est-ce utile, vous demandez-vous, de vous pencher sur l’abondante littérature que d’aucuns ont consacré à leur voyage à Bayreuth (devenu un genre littéraire en soi) ? Si la tendance générale est à la mythification, d’autres récits (souvent oraux) de certains Adorateurs de la secte tentent aussi de remettre les métronomes à l’heure.

Lieux communs

Non, le palais du festival (dites « Festspielhaus » pour épater la galerie) n’est pas situé dans une forêt sombre et solitaire, encerclé par des arbres au feuillage ténébreux, comme dans une scène des Brigands de Schiller. Il est situé dans un parc agréable sur une colline, au demeurant fort peu sacrée avec ses bustes modèle-réduit et dorés du compositeur parsemant la pelouse (pour la photo Instagram de touristes au goût discutable). Non, il ne faut pas obligatoirement en entreprendre l’ascension en suant sang et eau sous un soleil de plomb, les taxis vous déposent près du Königsbau (rajouté en 1882), avec son célèbre balcon d’où les cuivres vous appellent au début de chaque acte. Non, la Villa Wahnfried n’est pas proche du palais du festival mais se situe à l’autre bout de cette petite ville assez sinistre du nord de la Franconie.

Non, l’ambiance avant et pendant les représentations n’est guère à l’austère recueillement ; Bayreuth est avant tout un événement mondain au cours duquel l’élite allemande et mondiale se pavane en habits et robes de soirée, profitant de l’heure interminable dévolue aux deux entractes pour envahir cafés et restaurants éphémères dans ledit parc.

Fashion faux-pas ?

Non décidément, n’apportez pas de coussin pour assister au Ring des 150 ans (en 2026) car les sièges n’étant plus d’origine en sont dotés. Cet accessoire d’ailleurs vous désignerait immanquablement comme membre d’un des nombreux et pittoresques cercles wagnériens de la planète envahissant chaque année les travées du « theatron »* (mais c’est vous qui voyez). Méfiez-vous particulièrement de ces passionnés, ils n’hésiteront pas à vous intimer de cesser de murmurer à l’oreille de votre voisin(e) avec de bruyants « CHUT ! » non sans oublier parfois de vous attaquer à coups de pied dans le dos (la musique de Wagner n’adoucit pas toujours les moeurs, à défaut de « donner envie d’envahir la Pologne »**).

Non, les applaudissements ne sont pas interdits (comme il est trop souvent répété) ; le silence n’est même plus de rigueur après le premier acte de Parsifal. Comble de misère ? Le son tellement vanté sortant de la fosse aux trois-quarts enterrée (guère « mystique » soit dit en passant lorsque votre siège vous offre une vue plongeante sur des musiciens habillés façon camping – c’est qu’on y étouffe malgré ses onze mètres de profondeur et un dénivelé de presque trois mètres) exige un chef d’exception pour pallier les défauts d’un orchestre composé en majorité de musiciens germaniques – pour des oreilles habituées aux subtilités de l’interprétation française.

Faut-il aller à Bayreuth ?

Un journaliste du Figaro Magazine du 5 septembre dernier titrait sa rubrique « L’Heure du rien » *** pour moquer les biais des mises en scène actuelles, surtout celle (bêtement iconoclaste) du Ring par Valentin Schwartz, pendant que de nombreux internautes nous expliquaient pourquoi ils avaient abandonné l’idée de se rendre dans la capitale wagnérienne. L’un d’entre eux, fidèle parmi les fidèles, répondant au doux nom de Mystic Cat postait ainsi sur Bluesky après avoir reçu le programme 2026 : « Bayreuth nous inonde de littérature pour nous faire venir à son jubilé en 2026. Mais à 426 euros le billet pour Rienzi, et avec le délabrement du réseau ferroviaire allemand, on demande vraiment à réfléchir. » L’an prochain, a-t-on décidé au sein de la Fondation dirigeante, plus de metteurs en scène mais une mise en espace assistée par l’IA pour un nouveau Ring sous la direction de Christian Thielemann. Warum nicht ? Alors si vous êtes parfaitement germanophone et si vous pouvez vous passer de surtitrage (sinon gare aux tunnels des monologues de quarante minutes), vous aurez la chance tout de même d’apprécier les meilleurs chanteurs wagnériens du moment. Et sachez qu’avec le nouveau système d’achat de billets sur internet, chacun peut venir sans attendre dix ans, y compris les habitants de Bayreuth même, trop longtemps écartés des festivités wagnériennes (ce sont eux qui le disent).

* le theatron ou amphithéâtre à l’antique voulu dans le projet de Wagner
** Woody Allen « Meurtres Mystérieux à Manhattan »
*** Nicolas Ungemuth, rubrique page 36 « Nous vivons une époque formidable »

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

L’émotion de la beauté accomplie
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Récemment, un magazine spécialisé en art lyrique – un de ces magazines que l’on feuillette ostensiblement en sirotant un Bellini en terrasse – soumettait à ses lecteurs la question suivante : « la mise en scène d’opéra, est-on allé trop loin ? ».
Edito
Voilà un siècle que Giacomo Puccini s’est éteint à Bruxelles, emporté par le cancer qui lui rongeait la gorge, par le traitement redoutable qu’il était venu y chercher et par un arrêt cardiaque. Et depuis un siècle sa musique n’a cessé de résonner sur les scènes du monde entier.
Edito
C’est sur les rives du Bosphore, en prenant le ferry qui relie Kadiköy sur le flanc asiatique d’Istanbul pour rejoindre la rive européenne qu’est soudainement revenue en moi la question de mon identité.
Edito