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Le bal des faux semblants

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Edito
6 décembre 2023

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Le 2 décembre, Maria Callas aurait eu 100 ans. L’occasion de célébrer la femme, l’artiste, l’icône immarcescible qui a laissé une empreinte indélébile dans l’Histoire de l’art lyrique. L’occasion aussi de voir fleurir des remarques nostalgiques d’une époque prospère pour l’art lyrique et d’établir des parallèles maladroits avec la situation actuelle. Ce serait une gageure de comparer notre époque à l’ère callassienne, et tout à fait contreproductif de répéter que “c’était mieux avant”. Aujourd’hui, on ne se bouscule plus à l’opéra. Face à une offre culturelle qui s’est diversifiée, digitalisée, accélérée, l’opéra, art séculaire et codifié, ne peut suivre ce rythme frénétique et semble alors avoir toutes les difficultés pour continuer à exister. Quand l’argent vient à manquer, les budgets des maisons d’opéra régressent comme peau de chagrin, impactant directement les artistes et tous ceux qui œuvrent dans le secteur lyrique. Alors, dans ce marasme, tout le monde s’agite dans son coin et on assiste aux plus grandes aberrations. Nombreux sont les soupirs qui se sont fait l’écho de cet article que je publiais récemment. Il faut bien comprendre que ces problématiques sont d’autant plus complexes qu’elles sont extrêmement intriquées. Si l’on prend un peu de hauteur, on s’aperçoit que le noeud du problème c’est la place de l’opéra dans le paysage culturel et, sur ce point, je reste assez pessimiste quand on sait qu’en 2003 déjà, seulement 4% de la population française se rendait à l’opéra. Depuis, plus de vingt années se sont écoulées mais il y a fort à parier que la situation n’a guère évolué. Si l’éducation pourrait jouer un rôle certain, il n’est pas possible de forcer les parents hermétiques à l’opéra à familiariser leurs enfants avec cette musique. Quant à l’Education Nationale, elle a certainement d’autres chats à fouetter que d’intégrer l’art lyrique à ses programmes scolaires … 

S’il est bon de penser à demain, il faudrait déjà agir aujourd’hui en menant certaines actions à l’intérieur même de ce milieu sclérosé. Loin de moi la prétention de détenir les solutions pour relancer l’opéra – si tant est que des solutions existent. En revanche, quelques idées mériteraient peut-être d’être approfondies. Par exemple, on pourrait repenser les trop nombreux statuts des maisons d’opéra et les différences de traitement en termes de subventions. Il faudrait aussi revoir les organigrammes des institutions, en créant notamment des directions bicéphales avec d’une part un versant artistique/programmation/casting et d’autre part un versant économique/stratégique/financier. Il faut repenser l’équilibre du pouvoir et sortir du fonctionnement quasi monarchique, sinon archaïque,  de certaines institutions.

Par ailleurs, il serait grand temps de replacer les artistes au centre de l’équation en commençant par regarder de plus près le pourcentage de chanteurs français dans les saisons des maisons d’opéra. Pour contrecarrer ce déséquilibre, il faudrait faire preuve de protectionnisme – nos voisins européens ne s’en privent pas – en obligeant les institutions à engager un certain pourcentage de chanteurs résidant fiscalement en France pour chaque saison. Si cela ne paraît pas viable financièrement, alors alignons les charges des chanteurs français avec celles des étrangers. Stimuler la création de troupes itinérantes (à l’instar de la compagnie Opéra Eclaté) aurait le double avantage d’assurer un certain nombre de cachets pour les artistes tout au long de la saison et d’irriguer les territoires en permettant à un réseau de salles de spectacle de programmer du lyrique à moindre coût. Outre ces questions contractuelles, le sort des artistes réside également dans le traitement que l’on a de l’Histoire de l’art lyrique, sa culture, son héritage et nécessite une connaissance fine du répertoire et des voix afin de ne pas passer à côté de certains artistes talentueux qui restent sur la touche, et d’éviter les nombreuses erreurs de casting  – c’est à croire qu’on ne se focalise plus que sur l’ambitus vocal. Le timbre,  le tempérament, l’agilité, la vaillance, la largeur de la voix et les qualités d’interprète sont autant de caractéristiques qui paraissent de plus en plus accessoires dans la distribution des rôles... Une poignée de personnes fait la pluie et le beau temps dans ce milieu, au gré de copinages, de petits arrangements, et – sempiternel fléau – par appât du gain, en dépit de la connaissance du répertoire, des voix et d’un quelconque respect pour l’art et les artistes qui, pour la plupart, subissent ces choix en silence, quitte à se mettre en péril. De nos jours, les cachets ne se refusent pas si facilement. Enfin, il me paraît primordial de se pencher sur la création qui semble être devenue anecdotique dans ces problématiques inhérentes au rayonnement de l’art lyrique. Et pourtant, cette question ne se posait pas jusqu’au début du XXe siècle, de Monteverdi à Strauss, laissant en héritage une large majorité des oeuvres programmées aujourd’hui.

Si le sort de cet art tombe entre les mains de décisionnaires qui ne connaissent pas (plus) l’opéra, les voix, le répertoire, comment peut-on espérer voir des spectacles de qualité ? Il en est de même pour ceux qui ne s’encombrent pas des réalités économiques et n’auraient aucune vision stratégique. Comment peut-on espérer voir des salles remplies ? Comment peut-on espérer que les subventions soient revues à la hausse ? 

Ces problématiques se heurtent aussi à un entre-soi nauséabond qui va bon train dans cet univers où se trament coups bas, malveillance latente et rivalités destructrices. Ce tout petit milieu regorge de gens omnipotents à l’ego démesuré et, lorsque l’on se rend à une soirée de première, on assiste à un bal de faux-semblants où les acteurs de la profession se saluent chaleureusement, se congratulent, se sourient tout en se détestant et c’est à qui fera les plus belles courbettes dans l’espoir de saisir l’opportunité la plus juteuse. L’opéra ne sera bientôt plus un art mais un business. On en voit déjà les vices. L’honnêteté, le travail et la discrétion des uns ne font pas le poids face à l’arrivisme, à l’esbroufe et à l’appât du gain des autres. Ainsi, place est faite aux meilleurs communicants, aux plus opportunistes, aux plus filous. Alors que le bateau coule, ces derniers préfèrent fermer les yeux, servir leurs propres intérêts et se tirer dans les pattes plutôt que de chercher des solutions pour aujourd’hui et pour demain, en bonne intelligence. Et ce en dépit de la situation des artistes qui appellent à l’aide, des difficultés économiques et du public en désertion, autant de symptômes de la débâcle de l’opéra, donnant du crédit à l’idée qu’il serait un art du passé. Mes propos sonneront comme des inepties aux oreilles des zélés qui se voient comme des chevaliers servants du sacro-saint art lyrique, et dont les agissements et opinions ne sauraient être ébranlés. Mais à l’heure où cet art traverse des bouleversements majeurs, la malveillance, la médiocrité et l’égotisme ne font qu’aggraver la situation et, loin d’enrichir le débat, sapent une partie des efforts collectifs pour tenter de sortir de cette crise et redonner à l’opéra ses lettres de noblesse.

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