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La désopératisation de l’Italie

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Edito
1 juin 2010

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Le ministre italien de la culture, Monsieur Sandro Bondi, a décidé de faire sa part du travail dans la cure d’austérité que le gouvernement de Silvio Berlusconi impose au pays à l’instar de ses petits camarades européens. La première victime de cette cure d’amaigrissement ? Les maisons d’opéra. Le projet ministériel est de réduire de presque 75% les subventions d’Etat accordées aux maisons d’opéra italiennes, et notamment aux 5500 musiciens (choristes, instrumentistes) qui les animent. Cette décision met évidemment en péril la survie même des opéras. De là des grèves et des protestations : annulations à Rome, Venise, Milan ; déclarations ulcérées de Barenboim, Muti, et même Lang Lang. Les directeurs s’arrachent les cheveux, les musiciens se lamentent.

Il faut évidemment s’alarmer de cette mesure qui bientôt obligera des opéras prestigieux dont les productions furent longtemps le terreau de la vie culturelle italienne à réduire la voilure, voire mettre la clef sous la porte. Il faut peut-être s’indigner de voir ces théâtres livrés soit à la misère, soit au bon vouloir d’investisseurs privés qui ne manqueront pas de les transformer en cabarets volants. Les plus pessimistes iront sans doute jusqu’à déplorer la fin des temps et à voir dans cette décision politique le coup fatal porté à une tradition brillante que le berlusconisme ne peut aimer ni comprendre.

Déplorons, déplorons. Et regardons les choses en face. Pour qui connaît un peu les théâtres italiens, la mesure prise par Bondi apparaît en effet destructrice – mais elle est un dernier coup de pied dans un édifice vermoulu, un dernier clou dans un cercueil déjà largement refermé. Il faut bien le dire : la vie lyrique italienne est depuis des années l’ombre du fantôme de ce qu’elle a été jusque dans les années soixante.

Regardez les saisons, et cherchez-y l’originalité, les créations, les bonnes idées. Cherchez-y les grands chefs, les grands chanteurs, les grands metteurs en scène. Pour quelques lueurs, combien de productions poussiéreuses, composites ? où sont les grandes soirées du Costanzi ? Envolées. Où est le San Carlo ? Fermé pour travaux. Le Massimo ? superbe lieu, programmation banale. Et la jauge ? Un soir de routine dans un opéra italien, c’est la mélancolie garantie : rangs clairsemés, crânes blanchis. Tout cela pour ne rien dire de la qualité d’exécution souvent moyenne.

On ne contestera pas que quelques phares restent allumés dans cette brume qui partout enveloppe le lyrique : La Scala, mais avec des difficultés considérables et des ratages mémorables ; La Fenice, qui souffre ; Santa Cecilia, saison éblouissante, mais où le lyrique a une part restreinte (et souvent en concert) ; et Martina Franca, et Pesaro – qui sont des festivals.

Tout cela on l’écrit avec la plus grande tristesse. Et avec une sorte de colère. Car les grandes et belles âmes qui aujourd’hui agonisent le ministre Bondi – qu’on n’ira pas défendre, non – sont celles-là même qui ont laissé les théâtres s’enfoncer dans le marécage ; qui ont maintenu des pratiques salariales et financières inefficaces ; qui ont considéré l’aide de l’Etat comme un dû et n’ont pas (à quelques exceptions près) cherché les idées, les initiatives, les publics leur permettant de réduire cette assistance ; qui ont oublié qu’un public n’est jamais conquis et que son renouvellement fait partie des missions des théâtres ; qui ont vécu sur la bête ; qui ont quitté le pays pour y faire fortune ailleurs, et ne font plus présent à leur patrie de leur talent qu’à prix d’or ; qui ont muséifié et vitrifié les opéras ; qui ont laissé les jeunes compositeurs italiens dans la misère en cessant de passer des commandes…

Le ministre Bondi, avec son sinistre décret, m’apparaît comme l’équarisseur d’une dépouille que la vermine ronge depuis longtemps. La mort clinique étant déclarée, il se trouverait bien quelqu’un pour débrancher les appareils. On dira que le berlusconisme seul pouvait endosser ce rôle. Peut-être.

Le cas des orchestres américains démontre cependant qu’il n’est pas besoin de Berlusconi pour tuer le répertoire dit classique. Ce qui tue cette tradition musicale, ce n’est pas la crise, ce n’est pas l’austérité financière, ce n’est pas la Rigueur, ce sont, plus simplement, les gens qui ne vont plus au concert ni à l’opéra. Qui ne s’y intéressent plus. Qui n’y connaissent plus rien. Qui oublient. Télévision débilitante, loisirs de masse, déculturation – ces phénomènes n’ont rien de spécifiquement italien. Ils nous heurtent lorsque leurs effets se lisent sur ce qui devrait être le sanctuaire de la culture italienne, et qui comme tout le reste part au caniveau.

La crise ne provoque rien, elle révèle. Monsieur Bondi, c’est cet homme qui entre dans une salle richement éclairée et, constatant qu’elle est vide, éteint la lumière. Il n’a pas vu que nous étions là, nous. Nous sommes plongés dans le noir. Et ce n’est qu’un début.

 

Sylvain Fort

 

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