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L’Empire du mal

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Edito
7 octobre 2012

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Parfois, je me demande ce que les gens viennent chercher à l’Opéra. Je les regarde, à l’entrée, aux entractes, et je me demande ce qui leur plaît dans ce genre suranné que des audaces de scénographie ne parviennent pas tout à fait à arracher à des codes bel et bien morts. Il y a, bien sûr, les voix. C’est beau, une belle voix. Il y a, c’est certain, l’orchestre. C’est impressionnant, un orchestre. Il y a, parfois, les œuvres. Certains opéras sont tout à fait passables. Il y a les décors, et les costumes. Le velours, le taffetas, les buissons fleuris, les palais à volonté : on succombe. Je crois aussi que les gens aiment applaudir. Oh, applaudir : quel bonheur ! C’est montrer à des artistes qu’on les aime. C’est les embrasser par la voie des airs. Les enlacer à distance. C’est du bonheur qu’on leur donne en échange de celui qu’on a reçu. C’est bien touchant et bien suave.

Et puis, il y a une chose qui est fort plaisante, à l’Opéra, c’est l’Opéra. Qui niera n’avoir jamais eu, étant calé dans son fauteuil ou déambulant dans le foyer d’une maison d’Opéra, le sentiment subtil et insinuant de vivre dans le sein chaud de l’élite ? De fouler des lieux que l’aristocratie aima, et aime encore parfois (moins certes que le polo ou le tir au lapin de garenne). Bref, les Opéras ne sont pas seulement des lieux de plaisir. Ce sont des lieux de complaisance. C’est mieux. La complaisance est un plaisir un rien perverti. Un peu épicé. Délicat et raffiné.

Mais pour ma part, ce n’est pas du tout ce que je viens chercher à l’Opéra. Tout cela est bien trop sucré pour mon palais. Non, je viens y chercher une certaine forme de décadence. Je me délecte de formes qui n’ont plus cours. La seule idée qu’on n’écrive plus d’opéras – ou presque – me ferait courir vers l’Opéra. Quand je pense que certains trouvèrent Wagner révolutionnaire, neuf, et cetera. J’y entends les fantasmes croupis d’un créateur devenu institution. C’est autrement plaisant. Même les opéras de Philip Glass ou John Adams sont engoncés dans des convenances amusantes. On croirait voir des papillons qui, sous la vitre, tentent encore mollement de voleter, mais le clou impavide les en empêche. Opéra tu veux être, opéra sois. J’avoue aussi prendre une vraie joie à écouter et regarder ces chanteurs dont on fait si grand cas parmi les amateurs lyriques. C’est bien simple : je n’aime rien tant que les chanteurs d’opéra qui ne se cachent pas de l’être. Foin de physiques élancés et de voix maîtrisées. J’aime les grosses dames dont le trille déraille. J’aime les ténors que leur ventre précède et qui soudain l’espace d’un contre-ut exposent leurs entrailles à vif. J’aime aussi les notes ratées et les barytons barbus qui suent à grosses gouttes en sentant arriver le sol3. Ce cirque d’un autre temps me ravit. Et la scène ! Plus la machinerie est lourde, grossière, empotée, plus je jubile. Voir descendre des cintres un gros nuage tout de carton peinturluré de volutes grisâtres me met aux anges. Tout comme ces arbrisseaux étiques en papier qu’on veut nous faire prendre pour les chênes centenaires de la forêt de Fontainebleau. La toile peinte est mon idéal. La façon dont les metteurs en scène modernes se débattent avec cela me fait hurler de rire. J’aime l’opéra non parce qu’il est un déluge de beauté, mais parce qu’il est l’assemblage incertain d’un bric-à-brac inabouti. Je n’ai jamais assisté à une soirée parfaite. Il y a toujours un raté, une laideur, une tache. Toujours se logent quelque part le ridicule et le dérisoire, la pompe grotesque et l’ambition manquée. C’est pourquoi je n’aime pas l’opéra d’amour : je l’aime avec toute l’humaine tendresse qu’on porte à un gros animal malvenu et baveux. Vous aussi ? Ah, je me disais bien !

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