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Retour vers le Futur

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Edito
10 mars 2014

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« J’ai tellement de chance de travailler avec Eduardo », « Collaborer avec Rita est un bonheur », « C’est un privilège qu’être placé entre les mains de Robert, avec lui on comprend mieux les personnages »… A longueur d’interviews, tu le sais, lecteur, les chanteurs encensent les metteurs en scène, auxquels supposément ils s’abandonnent avec la confiance de jeunes vierges enamourées. « Mon travail avec le Maestro a été très fructueux », « C’est un grand plaisir de travailler avec le Maestro, nous avons œuvré la main dans la main » : pas un metteur en scène qui ne flatte le chef d’orchestre avec qui il doit composer sur une production. Le même cercle d’amour traverse les chanteurs dans leur union avec le chef, et le chef dans son harmonieuse relation avec le reste du monde. Le monde de l’opéra, c’est, comment dire ? bô. Si on n’est pas content, on claque la porte – avec perte d’argent, scandale, fracas.

Officiellement, donc, tout le monde s’aime et fusionne, à gros bouillon. Eteignez les magnétophones (aucune allusion à l’actualité) : la haine, recuite à force d’être tue, transpire, s’insinue, se répand. L’enthousiasme fait place à la déploration. Le ressentiment succède aux doux sentiments Rarement rencontre-t-on un artiste pleinement satisfait des autres. L’opéra est un métier qui se construit dans la rivalité d’egos énormes, dans la tension des répétitions, dans la sujétion à mille tracas qui usent et exaspèrent. Les directeurs d’opéra sont au cœur de ce maëlstrom ; cela les mène bien souvent à hésiter entre cynisme résolu et dépression nerveuse. Souvent, ce sont les deux.

Grâce à Dieu, il est dans cet imbroglio un protagoniste essentiel : toi, lecteur. Le public. La piétaille. Il est l’arbitre ultime. Or, le public aime les chanteurs. Ne le dites pas trop fort, mais nous aussi. Nous les préférons aux chefs. Nous les préférons aux metteurs en scène. Nous les préférons, cela va de soi, aux directeurs de théâtre. Dans l’ordre du talent, à l’opéra, seul le compositeur surplombe le chanteur. Le chanteur vient juste après. Le reste, pardon, est intendance – de luxe, souvent, de classe, parfois, mais enfin… Et parmi ces chanteurs, nous mettons, ô misère, les artistes du chœur. Ne le prends pas mal, toi qui œuvres vaillamment dans la fosse, toi qui a taillé des costumes chatoyants, toi qui presse sur le bouton de lever de rideau. Admettons une vérité : sans les chanteurs, il n’est point d’opéra. Un chanteur qui défaille, c’est la production qui sombre. Une vedette qui annule, c’est le guichet qui se tarit. Une angine fait plus de mal qu’une grève. Une bronchite, et la maison s’écroule.

Or que constate-t-on ? Aux chanteurs l’amour, le prestige, la gloire. Aux autres, à tous les autres, l’argent et le pouvoir. Ces stars que l’on s’arrache sont, sauf rare exception, des mineurs sous tutelle. Ils ne choisissent rien : ni leur rôle, ni leur costume, ni le chef, ni le metteur en scène. Rien. Ils se prêtent, barques sur la houle, à l’agenda voulu pour eux par des gens qui, en réalité, ne sont pas là pour les aider ni pour les aimer, mais pour les exploiter. La petite tentative de rébellion menée cet été à Salzbourg par Madame Kulman aurait permis de faire le point sur cette anomalie, n’eût-elle été affaiblie par l’excès et le ridicule de certains propos de la dame. De là des conditions de vie auxquelles les chanteurs ont fini par se résigner dans la douleur (voyez l’autobiographie de Renée Fleming), auxquelles parfois ils réussissent à se plaire, mais qui restent pétries de solitude et de sacrifices – tant les chanteurs ont accepté d’être la main-d’œuvre de luxe d’acteurs du lyrique plus influents, et qui ne les considèrent que comme de nécessaires variables d’ajustement. Il en est certes, chefs, directeurs, metteurs en scène, qui déploient pour les chanteurs mille égards. Qui en prennent soin. Qui respectent et admirent leur talent. Et c’est heureux. Mais le système fait que ce n’est là que baume sur une plaie brûlante. Demain, il faudra quitter la production et retrouver sans doute un chef à la battue brouillonne, un metteur en scène ignorant de l’œuvre, un directeur imposant des plannings démentiels. Tout cela pour un public certes plein d’élan amoureux, mais prompt à la critique, ingrat et finalement oublieux. Il faut décidément avoir la Grandeur de l’Art bien chevillée au corps pour mener cette vie. Toute soirée d’opéra est une immolation généreuse qui demain, ô folie, recommencera. C’est cela qui est beau et cela seul.

Aussi militerons-nous désormais pour un changement radical des conditions de travail des chanteurs. D’abord, ils seront associés très en amont à la production. Costumes, décors, metteur en scène, ils auront un bulletin de vote, une voix, un suffrage. Ensuite, ils seront traités avec plus d’égards. Un chef autoritaire, un metteur en scène déplaisant : le chanteur aura le pouvoir de les limoger. Au lieu de loger dans un appartement de location pendant trois mois, le chanteur se verra offrir par l’opéra une suite dans le meilleur hôtel de la ville. On l’y raccompagnera tous les soirs en voiture de maître. Si la production n’est pas à la hauteur des attentes du chanteur, il lui sera loisible d’en programmer une autre, de son choix, puisée dans son répertoire. Il pourra également, si le cœur lui en dit, prendre en charge la mise en scène. Enfin, il lui sera loisible d’injecter dans le cours du spectacle des airs qu’il aime, choisis à son gré, et de les chanter à l’avant-scène, la main sur le cœur. Bref, nous militerons pour que la suprématie absolue du chanteur soit de nouveau reconnue et que son caprice de nouveau fasse loi. Ce retour cent ans en arrière constituera un progrès notable auquel nous applaudirons sans retenue.

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