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ROSSINI, Ermione — Naples

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Spectacle
5 mai 2020
Angela Meade en majesté (streaming)

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Action tragique en deux actes (Naples, Teatro San Carlo, 27mars 1819)

Livret d’Andrea Leone Tottola

Détails

Mise en scène

Jacopo Spirei

Angela Meade (Ermione), Teresa Iervolino (Andromaca), John Irvin (Pirro), Antonino Siragusa (Oreste), Filippo Adami (Pilade), Guido Lo Consolo (Fenicio), Gaia Petrone (Cleone), Chiara Tirotta (Cefisa), Christiano Olivieri (Attalo), Lorenzo M. Moreschi (Astianatte)

Choeurs et orchestre du Teatro San Carlo

Direction musicale

Alessandro De Marchi

Naples, Teatro San Carlo, captation du 9 novembre 2019 pour OperaVision

>> Voir la video
disponible jusqu’au 8 mai 2020

Le 27 mars 1819 le compositeur vedette du Théâtre San Carlo de Naples propose Ermione, une « action tragique » inspirée par la tragédie de Racine, Andromaque. Elle quittera l’affiche après cinq représentations, sept si l’on compte les deux soirs où l’œuvre fut réduite au premier acte. Malgré cet échec, Rossini conservera la partition toute sa vie et refusera de la remanier, se bornant à y puiser pour des œuvres ultérieures comme La donna del lago, Zelmira ou Maometto secondo, un autre insuccès. Il faudra attendre 1977 pour qu’à la faveur de la Rossini Renaissance on la redécouvre, à Sienne. Depuis lors d’autres éditions sont restées célèbres, dont celle de 1987 à Pesaro, mais l’œuvre reste une des moins représentées du Rossini serio.

Aussi l’annonce du titre à Naples pour novembre 2019 avait piqué la curiosité. Cette captation permet donc de découvrir le spectacle. Une remarque s’impose dès les premières images, la transposition temporelle choisie est assez indéfinissable. Cela n’est pas gênant, puisque le drame représente le choc fatal de passions inhérentes à la nature humaine par-delà les siècles. Vont dans ce sens les formes choisies par Nikolaus Webern pour les décors, assez simples et épurées pour qu’on ne puisse précisément les dater. En revanche les costumes de Giusi Giustino introduisent la confusion car ils mélangent des références antiques à d’autres contemporaines sans convaincre du bien-fondé de ce pot-pourri. Ils ont un autre défaut, pour nous, en particulier le costume près du corps de Pirro, où la robe fluide d’Ermione, c’est de priver les personnages du décorum et de la prestance liés à leur statut social. Or ce sont des éléments du tragique : la puissance de la position accolée à l’impuissance à maîtriser les sentiments.

Ce contraste entre la grandeur apparente que leur confère leur statut et la misère profonde de leur affectivité, Jacopo Spirei ne le met pas nettement en valeur. Est-ce lui qui a choisi les accessoires, le jeu de chaises, les tables rondes que des domestiques préparent pour un souper ? Ils introduisent un arrière-plan de réalisme trivial à nos yeux incompatible avec le sujet. Sans doute sa mise en scène est-elle bridée par différents paramètres indépendants de sa volonté. Mais maintes fois on s’interroge sur la direction d’acteurs, quand Andromaca repousse son fils loin d’elle en chantant : « Fils bien-aimé, tu es le seul pour qui ma vie se prolonge ! » ou quand Pirro lève la main sur Ermione pour la frapper, ou quand il s’agenouille devant Andromaca en présence des ambassadeurs grecs, ou quand il s’éloigne main dans la main avec Ermione à la fin du premier acte : on perçoit le départ d’un couple réuni alors qu’elle lui a fait violence pour le bloquer et qu’il la traite de furie implacable à la cruauté insurpassable. 

Un des motifs avancés pour expliquer le fiasco de 1819 serait la déception éprouvée par le public devant une composition qui dérangeait ses habitudes. Telle était en effet la volonté de Rossini, ainsi qu’on peut le percevoir dans le chœur invisible qui s’immisce dans l’ouverture, avant de réapparaître dans l’introduction une fois le rideau levé. Alors que dans le Mosè donné trois semaines plus tôt avec un immense succès les chœurs prédominaient, ici ils sont réduits à la portion congrue. Cela suffit pour apprécier leur musicalité, malgré des attaques qui ne sont pas toujours impeccables.

Un reproche favori des détracteurs de Rossini concernait son orchestration, toujours plus soutenue, « à l’allemande ». Faut-il incriminer la prise de son, qui donne parfois aux cuivres une présence surabondante et dénonce quelque bavure aux cors, au premier acte ? En même temps elle soulignera la solennité menaçante de trombones irréprochables. Qu’en a-t-il été pour les chanteurs ?

Dire que John Irvin n’était pas le premier choix du théâtre pour le rôle de Pirro n’est pas lui faire injure mais énoncer un fait. A Pesaro, en 2017, il avait tiré son épingle du jeu dans Le siège de Corinthe et dans le concert des trois ténors dont le lecteur curieux pourra chercher la trace dans nos archives, saine occupation en période de confinement. Au San Carlo, il fait montre des mêmes qualités de musicalité et d’élégance, mais la voix est-elle aux dimensions du théâtre ?  Dans la scène quatre du premier acte, quand la rencontre de Pirro avec Oreste tourne au défi, on pourrait souhaiter plus de mordant. Est-ce sa position en retrait sur la scène qui amortit la projection ? On admire qu’il chante sans forcer notablement sa voix face à un Antonino Siragusa claironnant mais toujours capable d’attaques moelleuses, égal à lui-même malgré les années, d’autant plus à l’aise qu’il n’en est pas à son premier Oreste. Certes, dans ce voisinage Pirro manque un peu de poids, mais pas au point de le huer aux saluts, comme on peut l’entendre au milieu des applaudissements. En fait, cette (relative) fragilité vocale peut s’admettre pour ce personnage dont les atermoiements ne se résolvent que sous une contrainte extérieure.

Andromaca, que le chantage de Pirro – épousez-moi ou je livre votre fils aux Grecs – désespère, est interprétée avec conviction par Teresa Iervolino. La voix est assez étendue et agile pour rendre justice à l’écriture, et après un début un peu engoncé dans le grave atteint sa plénitude ; par un maintien légèrement emprunté la comédienne explicite le malaise permanent d’un personnage vivant dans une contrainte sans fin. Captive, elle ne peut se soustraire aux assiduités de Pirro – grâces soient rendues en passant au metteur en scène qui nous épargne une actualisation avec derniers outrages à la clef – mère elle tremble pour la vie de son fils pris en otage, veuve elle souffre de la perte de son mari, mais elle conserve toute sa dignité.

De quoi nourrir la colère d’Ermione qui voit Pirro, qu’elle doit épouser, faire une cour assidue à la Troyenne. Elle ne lui mâche pas ses mots, et c’est tout le vocabulaire du ressentiment qu’elle exhale ; mais comme elle est amoureuse, la tendresse jaillit par bouffées, et l’espoir renaît, car enfin, il va rentrer en lui-même, respecter les engagements pris. Et s’il persiste, les ambassadeurs sauront bien lui faire sentir la menace. C’est le cercle vicieux de l’amoureux exclu, qui remâche ses sentiments contradictoires dans des redites obsessionnelles où la seule issue au blocage devient le meurtre de l’ingrat. Ce kaléidoscope où la hargne se transforme en douleur, où la tendresse le dispute à la rancœur, où l’appel sans écho se mue en injure, il incombe à l’interprète de le déployer et de nous y entraîner. Gageure tenue avec brio par Angela Meade dont la voix se plie à toutes les exigences du rôle, grâce à son étendue très homogène où les aigus sont brillants et les graves bien sonores, et à ses sauts, rebonds et sons tenus. Au deuxième acte, où le désordre mental et affectif du personnage précède une introspection hallucinée suivie d’un cruel retour à la lucidité, la palette expressive ne laisse rien à désirer.

Il serait injuste de ne pas mentionner les confidents et messagers. Cristiano Olivieri et Chiara Tirotta ont trop peu de texte pour se faire valoir mais Gaia Petrone tire le maximum du rôle de Cleone, la dévouée suivante d’Ermione. Tous trois ont en commun une bonne projection. C’est aussi le cas de Filippo Adami et de Guido Loconsolo, qui a besoin d’un moment pour que sa voix se dégage et s’affermisse ; leur duo au deuxième acte est pleinement réussi.

Alessandro de Marchi, spécialiste de musique baroque, déconcerte dans une ouverture où il cherche la solennité majestueuse et frôle la lenteur pesante. Plus d’une fois au premier acte on s’interroge sur la présence des cuivres, sans doute fidèle aux volontés de Rossini, qui exploitait les ressources d’un orchestre alors considéré comme le meilleur de la péninsule. Est-ce la prise de son qui les valorise parfois à l’excès au détriment des voix ? A-t-on assez pris en compte les performances acoustiques d’instruments modernes ? L’équilibre fosse-plateau nous semble bien meilleur au deuxième acte et on se laisse alors emporter sans réticence. Heureux somme toute d’avoir réentendu ce chef d’oeuvre, visible en streaming jusqu’au 8 mai.

 

 

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Jacopo Spirei

Angela Meade (Ermione), Teresa Iervolino (Andromaca), John Irvin (Pirro), Antonino Siragusa (Oreste), Filippo Adami (Pilade), Guido Lo Consolo (Fenicio), Gaia Petrone (Cleone), Chiara Tirotta (Cefisa), Christiano Olivieri (Attalo), Lorenzo M. Moreschi (Astianatte)

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