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Festival de Salzbourg 2011 : Le retour de Peter Stein

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Interview
8 août 2011

Infos sur l’œuvre

Détails

Peter Stein met en scène le Macbeth de Verdi cet été au Festival de Salzbourg. Voici, en attendant notre compte-rendu, quelques-unes des clefs de son interprétation.

 

Rencontré au printemps lors d’une représentation de Cosi fan tutte à l’Opéra de Lyon où il était notre voisin immédiat, le maître a bien voulu nous accorder, le 16 mars, une interview improvisée sur des sujets qui lui tiennent à cœur. Cet immense artiste à la carrière exceptionnelle qui possède à son actif d’innombrables mises en scène de théâtre (tout particulièrement dans le domaine shakespearien etcelui de la tragédie antique) et d’opéra, est également réalisateur de plusieurs films, scénariste et écrivain. Fils d’un entrepreneur allemand convaincu de collaboration nazie, il prend très jeune des distances avec son père dont il se démarque totalement. Il trouve dans le théâtre mille façons d’exprimer son amour de l’art qui seul, selon lui, mérite d’être vécu car il transcende les noirceurs de l’âme et sublime l’être humain. Son rapport à l’opéra a d’abord été conflictuel. Il commence par refuser la mise en scène du Ring en 1976, pour le centenaire de la Tétralogie à Bayreuth, puis il signe Rheingold à Paris en 1976 et jure après cette première mise en scène lyrique qu’on ne l’y prendrait plus. Il tint parole pendant dix ans avant de retenter sa chance. Plusieurs expériences positives l’encouragèrent à revenir à la mise en scène d’opéra, en particulier le Pelléas et Mélisande du Châtelet en 1992 et Moïse et Aaron au Festival de Salzbourg en 1995, avec Pierre Boulez pour partenaire. Il ne met pratiquement plus en scène en  Allemagne : la critique lui a déclaré la guerre et il est allé voir ailleurs, là où l’on est capable d’apprécier son travail, en particulier à Lyon où il a été en résidence durant plusieurs années et où il sera de nouveau accueilli à partir de 2013.

 

 

Vous incarnez une des plus grandes figures du théâtre d’aujourd’hui. Comment vous définiriez-vous ?

 

Je suis un révolté. J’ai choisi la carrière théâtrale parce que j’aimais me déguiser. Si je vais au spectacle, je veux voir des histoires bizarres, étranges, sublimes, qui m’arrachent à la monotonie du quotidien et où je retrouve cependant mes problèmes d’aujourd’hui. Ma religion, c’est l’Art, seule raison d’être de l’humanité, cette engeance si dangereuse pour son entourage. Je ne suis pas un créateur à part entière, je ne suis qu’un interprète, un traducteur en langage scénique de l’œuvre d’art, théâtrale ou opératique, un médiateur nécessaire (incontournable) entre l’œuvre, à laquelle je donne une vie éphémère, et le public, qui attend de moi que je la mette en valeur. Je ne suis pas un artiste créatif, je suis un artiste récréatif. Dévoiler au public les grandes beautés d’une partition d’opéra, partager avec lui cette grande réjouissance, c’est ce que j’aime le plus dans ce métier.

 

Quel est selon vous le rôle du metteur en scène d’opéra ?

 

Il est paradoxal d’être payé pour faire connaître des œuvres d’art, mais c’est bien ce que l’on attend de nous, les metteurs en scène. Nous devons rester modestes car notre créativité, toute relative, est celle d’un nain par rapport à ces géants que sont les compositeurs. Cela requiert de notre part de l’humilité, seul moyen d’éviter le ridicule. Notre tâche, c’est de nous mettre au service de la partition, texte et musique. Nous devons d’abord en décrypter le code avant de commencer notre réflexion sur la bonne façon de la traduire en langage scénique. En effet, tout détournement de sens se ferait à ses dépens. Les exemples ne manquent pas autour de nous, certains de mes collègues se complaisent à mettre en avant leur propre interprétation de l’opéra qu’ils mettent en scène, tirant la partition dans le sens qui les arrange. Tandis que dans la fosse, les musiciens travaillent sérieusement, sur le plateau, ces metteurs en scène n’en font qu’à leur tête.

 

Avez-vous apprécié le Cosi fan tutte auquel nous venons d’assister (cf. notre compte-rendu) ?

 

Franchement, non. Ce Cosi fan tutte constitue un véritable catalogue des erreurs à éviter quand on aborde cette œuvre, sous peine d’en détruire le sens profond. Il faut situer l’action à l’époque de la création au lieu de la ramener à nous. La transposition de nos jours, trop réductrice, lui est fatale. Il lui faut des paysages et des personnages à la Watteau, des vêtements aux étoffes précieuses mettant en valeur le corps des femmes sans le dévoiler, seul moyen de faire revivre l’érotisme libertin propre au XVIIIe siècle. Ces deux jeunes femmes en short et mini-jupes perdent tout attrait. Réduire l’espace scénique, ne pas abuser des actions secondaires afin de concentrer les regards sur l’essentiel, c’est-à-dire l’école des amants. Préférer l’érotisme du regard à celui des mains. Suggérer et non montrer. Le tripotage n’est pas érotique, il n’est que vulgaire, et la vulgarité fait rire, d’un rire gras. L’humour de Cosi est autrement délicat.

Autre point important : il faut réduire l’espace scénique et ne pas abuser des actions secondaires afin de concentrer les regards sur l’essentiel, c’est-à-dire l’école des amants, les sentiments plus ou moins profonds qu’éprouvent ces jeunes gens les uns pour les autres.

Je dois vous avouer que Cosi fan tutte et Le Nozze di Figaro, sont les opéras de Mozart que j’apprécie le moins. Je n’ai pas envie de les mettre en scène car l’action ne m’intéresse pas vraiment.  

De manière générale, je m’attache toujours à préserver l’esthétique du compositeur, à en donner un équivalent qui permettra au spectateur de contempler le passé à distance au lieu de faire venir le passé à lui. Ainsi j’ai situé Lulu dans les années 20/30, jeferai de même pour Le Nez de Chostakovitch que je prépare pour septembre prochain à Zürich (première le 17 septembre), avec Ingo Metzmacher dont j’apprécie beaucoup la collaboration.

 

Avez-vous eu de mauvaises expériences, précédemment, avec des chefs d’orchestre ?

 

J’ai beaucoup aimé travailler avec Pierre Boulez, mais la plupart du temps, il est difficile de travailler avec les chefs d’orchestre. Nombre d’entre eux n’apparaissent qu’au jour de la première scène-orchestre*, une semaine avant la première, et ne se préoccupent que de musique, allant jusqu’à faire asseoir les chanteurs à l’avant-scène, au mépris du travail du metteur en scène. Pire, ils se permettent souvent de remettre en question, voire de condamner le travail scénique accompli en leur absence. Ils n’ont pas participé à la conception parce qu’ils n’avaient pas de temps à y consacrer, et ils démolissent le travail de cinq semaines voire beaucoup plus, au moment précisément où l’on a le plus besoin de travailler en équipe. Ils demandent des changements de dernière minute qui cassent l’équilibre général, comme de faire venir plus souvent les chanteurs à la rampe.

 

Comment travaillez-vous en équipe ?

 

Il est très important de créer la confiance avec ses collaborateurs. Sans la confiance, pas de cohésion : on fait du sur-place et tout part bientôt à vau l’eau. Je prends donc en considération les opinions d’autrui, y compris, naturellement, celles du chef, mais à condition que nos échanges aient lieu dès le début et en tête à tête, et non devant toute l’équipe, lors des répétitions. Les prises à parti en public déstabilisent tout le monde. En 2010, quand l’actuel intendant du Festival, Markus Hinterhäuser**, m’a proposé de mettre en scène dans le cadre du Festival de Salzbourg 2011 le Macbeth de Verdi, œuvre que j’affectionne tout particulièrement, j’ai été séduit par cette perspective, mais certaines de mes expériences précédentes m’ayant rendu méfiant, j’ai posé mes conditions avant d’accepter. J’ai demandé à ce que figurent sur mon contrat les clauses suivantes :

1- Si quelqu’un se mêle de mon travail sans mon accord, je m’en irai par le premier train tout en étant payé.

2- Le directeur musical me consacrera deux demi-journées pour que nous parlions ensemble de la partition. Il me parlera de l’interprétation musicale de la partition de Macbeth telle qu’il la conçoit et je lui exposerai mon projet de mise en scène afin qu’il me donne son avis.

3- Il sera présent durant les deux premières journées de répétition.

Ainsi il n’y aura aucun malentendu entre nous.

 

Précisément, vous allez travailler pour la première fois avec Riccardo Muti. Comment envisagez-vous votre collaboration ?

 

Je suis heureux d’avoir enfin l’occasion de travailler avec Riccardo Muti qui m’avait déjà proposé de collaborer avec lui pour Macbeth, il y a 7 ans, mais cela ne s’était pas réalisé. Nous nous sommes rencontrés durant une journée entière et cette séance de travail commun a dépassé toutes mes espérances : Riccardo s’est mis au piano et m’a joué la partition de A à Z en chantant les paroles, c’était féérique. Il s’interrompait aux moments cruciaux, me les commentait et nous échangions nos impressions. Le temps a passé comme l’éclair. Puis je lui ai présenté une maquette géante de la Felsenreitschule avec tous les petits personnages et je lui ai montré comment se déroulerait l’action. Désormais, la complicité de notre couple est créée et nous pouvons travailler tranquilles.

 

Quelles sont les caractéristiques de la version que vous allez nous présenter ?

 

Nous sommes tombés d’accord sur tous les points, en particulier sur la version que nous allons  présenter, qui combine celle de Florence (1847) et celle de Paris (1865) :

 

1- Le ballet, véritable cauchemar, sera placé avant la scène des sorcières de l’acte III en guise d’ouverture, et non après.

2- Le chœur final de la version parisienne sera remplacé par la scène finale de la première version, la mort de Macbeth : « mal per me che m’affida ».

3- Nous serons particulièrement exigeants pour l’articulation du texte.

4- Le couloir entre Toscanini-Hof et Karl-Böhm-Saal, qui traverse la salle devant la fosse d’orchestre, sera également utilisé pour l’action scénique. 

 

Votre pratique du théâtre shakespearien vous aide-t-elle à pénétrer les arcanes de l’univers verdien ?

 

Oui, tout à fait. Ce qui me fascine le plus dans Macbeth, et tout particulièrement dans celui de Verdi, c’est la représentation scénique de la Destinée, un phénomène invisible par essence. Soudain, grâce à la musique et au texte, elle se met à vivre sous nos yeux. Macbeth cherche à connaître son avenir. Une fois qu’il lui a été prédit, il met tout en œuvre pour que ces prédictions se réalisent et, ironie du sort, c’est lui-même qui, inexorablement, de massacre en massacre, torturé par le remord, crée son propre déclin et devient l’instrument de sa propre mort. Parallèlement, le personnage de Lady Macbeth, qui fait preuve d’une fabuleuse force intérieure au début, s’affaiblit au fur et à mesure que Macbeth se plie à ses volontés, se livrant à une débauche de massacres. Au moment où Macbeth croit avoir éliminé tous les prétendants, convaincu qu’il ne craint plus rien de personne et qu’il conservera le trône sa vie durant, sa femme devient folle et se suicide. Il connaît alors son seul moment de bonheur, par pur cynisme, et aussitôt après, constate l’absurdité de la vie et perd toute son énergie. Il la retrouvera à l’approche de la forêt et affrontera courageusement ses assassins.

 

Vous avez dirigé la section théâtre du Festival de Salzbourg de 1992 à 1997. Êtes-vous heureux de retrouver votre lieu de travail, la Felsenreitschule, après tant d’années d’absence ?

 

Oui, j’affectionne tout particulièrement ce magnifique lieu historique. Il convient tout particulièrement au théâtre shakespearien avec ses galeries creusées dans la roche. Lorsque j’étais directeur de la section théâtre, la Felsenreitschule était réservée au théâtre parlé. C’est là que j’ai mis en scène la trilogie romaine de Shakespeare : Jules César (1992), Coriolan (1993) et Antoine et Cléopâtre (1994), avec de nombreux figurants recrutés à Salzbourg. Le public m’a fait un triomphe et la critique m’a assassiné. J’avais fait rétablir la scène telle qu’elle était auparavant, avec la possibilité d’utiliser comme un couloir, pour les jeux de scène, l’espace séparant le public de la fosse, et une sortie à chaque extrémité. Je me réjouis d’y mettre en scène le Macbeth de Verdi qui reste très proche de ses sources. Le seul point noir concerne l’acoustique qui laisse parfois à désirer (le nouveau toit, inauguré le 9 juin prochain, qui est surélevé de trois mètres et peut se replier partiellement ne devrait pas l’améliorer).

 

Pouvez-vous évoquer pour nous l’univers visuel du futur spectacle ?

 

Nous construirons un véritable décor, dans la tradition des constructions de Clemens Hofmeister à la Felsenreischule.Nous aurons un château figuré par un mur de 7 mètres de haut dans lequel se découpera une porte, une petite colline et une dépression dans le sol où les sorcières installent leurs chaudrons, enfin une table de 17 mètres de long pour le banquet. Une partie importante de l’action sera confiée à des acteurs, pendant que les choristes incarneront la nature environnante : buissons, arbres etc… La bataille et l’assassinat seront remplacés par des combats singuliers, cela évitera le spectacle ridicule de cinquante choristes en train d’occire une seule personne. Les trois étages d’arcades seront intégrés à l’action, la scène de somnambulisme se déroulera sur la galerie du troisième étage. Je ne vous en dirai pas plus aujourd’hui car beaucoup de choses peuvent encore changer d’ici la première.

                                                                   

 

Propos recueillis en français par Elisabeth Bouillon

 

* La première répétition réunissant scène et orchestre est la plaque tournante de la phase des répétitions. Elle est d’une importance majeure, autant pour les chefs d’orchestre que pour les metteurs en scène. Il s’agit de mettre à l’épreuve le résultat de longues semaines de répétition scéniques avec piano (complétées par des répétitions musicales avec le chef de chant), et celui d’un travail approfondi du chef avec son orchestre. Les différentes équipes techniques y testent les décors, les costumes, accessoires, masques, perruques etc. et les chanteurs doivent faire la synthèse entre théâtre et musique sans trahir ni l’un ni l’autre. Même si le chef d’orchestre a la priorité pour interrompre le déroulement de la pièce, il ne doit pas pour autant tirer la couverture à lui.

 

** Le directeur intérimaire du Festival de Salzbourg Markus Hinterhäuser vient d’être nommé intendant et directeur artistique des Wiener Festwochen, en partenariat avec la directrice de théâtre berlinoise Shermin Langhoff qui le secondera. Tous deux prendront leurs fonctions en 2014.

 

 

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