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Françoise Tillard : « Flotow nous montre qu’on peut être heureux, même face aux plus grands malheurs »

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Interview
21 juin 2024
Parole et Musique fait revivre L’Ombre, un rarissime opéra-comique français de Friedrich von Flotow. Ce magnifique ouvrage rapidement disparu de l’affiche fut une victime collatérale de la guerre de 1870, déclarée 12 jours après la première.

Infos sur l’œuvre

Opéra-comique en trois actes, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Adolphe de Leuven, créé le 7 juillet 1870 à l’Opéra-Comique.

Détails

L’Ombre est un ouvrage aujourd’hui totalement inconnu. Pouvez-vous nous le présenter ?

Il s’agit d’un opéra-comique en français qui a été créé à l’Opéra-Comique le 7 juillet 1870. Malheureusement, la guerre de 1870 fut déclenchée le 19 juillet, ce qui contribua à la chute de l’ouvrage (ndlr : l’œuvre fut ensuite reprise à Vienne au Theater an der Wien le 10 novembre 1871 sous le titre Sein Schatten). Le livret est de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges (ndlr : Adolphe de Leuven apparait parfois comme co-auteur). Donc c’est un bon librettiste qui a fait quelque chose qui tient vraiment la route, avec des personnages qui sont bien dessinés. Il y a des contrastes énormes entre les morceaux et justement entre ce qui est dit, entre les personnages : le duo léger de la jeune veuve et du docteur, des personnages qui veulent être heureux, et les deux autres, tragiques qui fuient les massacres des guerres de religion. C’est l’ouvrage d’un compositeur confirmé, une sorte d’accomplissement, sans doute un de ses meilleurs ouvrages (ndlr : Martha, le seul opéra de Flotow passé à la postérité  a été créé en 1847. Son livret était d’ailleurs basé sur un roman de Vernoy de Saint-Georges).

C’est toujours délicat mais comment pourrait-on décrire la musique ?
Flotow a été inspiré par beaucoup de compositeurs. La musique est très mélangée : on pense à Gounod, à Verdi, à Offenbach ou même à Wagner. C’est très orchestré, comme du Meyerbeer : ce n’est pas nécessairement une musique légère, c’est symphoniquement très intéressant et les couleurs de l’orchestre sont très recherchées. Heureusement, la version piano de Flotow, que je jouerai, est très riche. C’est une partition typique de l’opéra-comique, avec des mélodrames, des scènes de fête, un orage pendant lequel l’héroïne se jette dans un ravin, tout ce qu’on peut imaginer dans ce type de répertoire. Une alternance de moments dramatiques et d’autres plus détendus. Le livret et la musique font ainsi alterner malheur et bonheur.

Quel est le sujet de l’opéra (voir résumé*) ?
Le thème, c’est justement la poursuite du bonheur quand des malheurs horribles sont en train d’arriver autour de nous. Ça commence par une espèce de fête : on apporte des fleurs, on apporte à manger, et puis tout d’un coup arrive une fille qui a franchi la montagne, et qui vient d’un village brûlé, qui a vu sa mère mourir et son amoureux tué sous ses yeux. Elle devient folle et veut se tuer. On voit tout de suite que c’est un sujet d’actualité : ceci étant, cela reste un opéra-comique. On doit en respecter le style sans « casser l’ambiance ».

Comment avez-vous été amenée à vous intéresser à cette œuvre ?
Je travaillais sur les romances et celle de Jeanne est connue des musicologues. Ça m’a amenée à m’intéresser à l’œuvre originale et j’ai vu que nous pouvions tout à fait la monter.

Et les chanteurs ?
Il est intéressant de regarder les interprètes de la création. La créatrice du rôle de Jeanne, Marie Rôze, était l’une des grandes voix de l’époque (ndlr : elle a connu une carrière internationale triomphale incluant le Royaume-Uni et surtout les États-Unis). Bizet a écrit Carmen en pensant à elle, mais Rôze a refusé de participer à la création, jugeant le sujet trop « scabreux ». Elle l’a beaucoup chanté par la suite. Tous les interprètes de la création étaient de grands chanteurs. C’est une musique écrite pour les voix : le rapport entre la difficulté solfégique et la difficulté vocale est complètement extraordinaire. Dans la musique d’aujourd’hui, quand c’est vraiment difficile vocalement, c’est aussi un petit peu difficile à apprendre, musicalement. Tandis que là, c’est du vrai bel canto, où il faut vraiment chanter, mais c’est facile à apprendre. Ce n’est pas une opérette à la Offenbach : il faut vraiment quatre vrais chanteurs. Pour ce spectacle, nous avons d’excellents jeunes interprètes !

Vous pouvez acquérir un billet en scannant le QR code ci-dessus depuis un smartphone

Pouvez-vous nous présenter votre association ?
Parole et Musique existe depuis une trentaine d’années. Au départ nous étions plutôt axés sur l’enseignement du lied et de la mélodie. Quand j’ai eu une classe dans les conservatoires de la Ville de Paris, l’association organisait des masterclasses avec des professionnels que nous faisons venir, puis des concerts de musique de chambre et de musique de chambre vocale. Dorénavant nous pouvons aller jusqu’au format « opéra de poche », sans lourde mise en scène, ni orchestre et avec un nombre réduit de chanteurs. La saison passée nous avions présenté La Colombe de Charles Gounod, qui a été reprise en janvier à l’invitation de Vivre le Marais. Nous avons également fait Le Docteur Miracle de Georges Bizet.

Vous avez également édité un certain nombre d’enregistrements.
En effet, nous avons édité un CD de lieder et trio de Fanny Hensel-Mendelssohn, avec Donna Brown. Nous essayons toujours de mélanger lieder et musique de chambre. Nous avons fait un disque consacré à des œuvres pour violon et piano de Mel Bonis (note : Mélanie-Hélène Bonis 1858-1937). Stéphanie d’Oustrac a interprété pour nous des mélodies de Pauline Viardot et Françoise Masset a enregistré un programme intitulé Vous avez dit Romance ?.

Quels sont vos projets pour la saison prochaine ?
Nous allons nous attaquer à un roman ! Le Peintre Nolten (1832) de l’écrivain romantique wurtembergeois Eduard Mörike (1804-1875). L’ouvrage et son auteur sont bien oubliés aujourd’hui. Il est inconnu en France et mal compris en Allemagne. Le roman intègre quelques-uns de poèmes les plus fameux de Mörike et que Wolf a mis en musique dans ses Mörike Lieder. Nous donnerons un spectacle alternant des passages parlés faisant progresser le roman et les 16 lieder inspirés de ces poésies.
Nous reprendrons également le 1er décembre 2024, Le Roi Pinard de Déodat de Séverac, une œuvre perdue que j’ai reconstituée à partir des manuscrits subsistants et de la partition de La Princesse d’Okifari. Nous donnerons le concert à l’Auditorium Darius Milhaud, dans le Conservatoire du XIVe. Une magnifique acoustique !

Entretien téléphonique réalisé le mardi 18 juin 2024 (donc, techniquement, un appel du 18 juin : « Ici, L’Ombre ! »;-).

*L’Ombre (résumé) : L’action se passe en 1707, pendant la guerre des Cévennes, après la Révocation de l’Édit de Nantes. Le Comte de Rollecourt, donné pour mort, fusillé après un acte de bravoure et de générosité, s’est enfui en Savoie et gagne sa vie grâce à ses grands talents de sculpteur. Une de ses anciennes servantes de ferme, la jeune et jolie Jeanne, secrètement amoureuse de lui, également en fuite après le massacre de sa famille, le revoit et, stupéfaite, croit voir une ombre. La jeune veuve et riche fermière, Madame Abeille, qui regardait Fabrice (le Comte) d’un œil favorable, complique un peu l’action. Le Docteur, parrain de Jeanne, décide d’épouser celle-ci pour pallier toute rumeur désagréable. On apprend que le Capitaine grâce auquel le Comte a pu s’échapper est sur le point d’être exécuté à la place du Comte… Tout finit bien

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Opéra-comique en trois actes, livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges et Adolphe de Leuven, créé le 7 juillet 1870 à l’Opéra-Comique.

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