Rien n’arrête Marina Viotti ! Alors qu’elle triomphe dans L’olimpiade de Vivaldi au Théâtre des Champs-Élysées, la mezzo-soprano enchainera avec un récital consacré à Haendel sous la direction de Marc Minkowski le 28 juin prochain. Passionnée de sport et de cross-fit, notre curiosité nous a poussé à lui proposer une interview croisée avec l’athlète français Cyril Benzaquen, champion du monde de muay-thaï et de kick-boxing. Cette rencontre, nous la devons surtout à Jean-Philippe Raibaud que nos lecteurs connaissent pour être chaque soir depuis plus de vingt-cinq ans au contrôle du célèbre théâtre parisien, tout en étant directeur de la communication de Cyril Benzaquen. C’est donc dans la loge de Marina Viotti que nos deux artistes et sportifs se rencontrent pour la première fois afin d’échanger sur leurs parcours, défis, préparations physiques et mentales avant de monter sur scène.
Marina Viotti : J’aimerai commencer cette rencontre en te présentant mon costume conçu pour la production de L’Olimpiade. Il s’agit d’une combinaison où de faux muscles ont été directement cousus, sculptés sur mon corps.
Cyril Benzaquen : J’ai assisté à la pré-générale hier soir et te voir arriver sur scène comme ça m’a impressionné !
MV : Etant donné que je joue un rôle d’homme, je suis obligé de changer ma manière de marcher et de gesticuler tout au long de la production, sans parler de la chaleur qu’il fait sous ce costume !
CB : Il m’a fallu quelques minutes quand tu arrives sur scène pour comprendre que c’était bien toi pour tout t’avouer.
MV : C’est une production particulièrement physique… et olympique ! Figure-toi que pour cette mise en scène, j’ai enfin pu me mettre à la boxe. J’ai toujours eu envie d’en faire et je voulais être vraiment crédible en mouvement/performance. Je suis censée être champion du monde comme toi. J’ai déjà perdu 3 kilos, c’est très physique. Le metteur en scène m’a demandé si je savais pratiquer le rugby, la lutte, le cross-fit etc… ce qui a toujours été le cas. Sauf quand il a été question de chanter à dix mètres de haut, car j’ai le vertige. Là, c’était un challenge ! Quel a d’ailleurs été ton parcours pour devenir champion du monde ?
CB : J’ai commencé la boxe à treize ans alors que j’avais un bon embonpoint. La boxe m’est tombée dessus et rapidement devenu une passion. Je ne viens pas d’une famille de sportifs et j’ai dû attendre mes 18 ans avant de faire des compétitions, tout en faisant des études à côté. La boxe m’a rendu plus rigoureux et m’a permis d’entrer à l’Université de Paris-Dauphine pour une licence en gestion, puis un master en marketing et entreprenariat.
MV : Wahoo ! On a pleins de points communs. J’ai aussi fait un master en marketing / évènementiel figure-toi. Mais comment as-tu réussi à concilier les deux ?
CB : Ma licence était justement consacrée aux sportifs de haut niveau. J’ai demandé à redoubler car je ne pouvais pas faire de master et je m’y suis mis à fond tout en m’entrainant chaque jour.
MV : Tu t’es déjà retrouvé avec un œil au beurre noir en plein cours ?
CB : Cela m’est arrivé ! Mais j’ai dû rater beaucoup de cours pour les championnats qui duraient parfois deux semaines à l’autre bout du monde. Cela m’a donné le gout des expériences multiples et des rencontres comme la nôtre aujourd’hui. Cette période coïncide avec celle de Jean-Philippe Raibaud qui a été un vrai déclencheur dans le développement de mon image et de ma carrière. Il a tout de suite cru en moi et a su trouver les mots juste, jusqu’à ce que je devienne champion du monde. Boxer ne me suffisait pourtant pas et en tant qu’entrepreneur, j’ai décidé de m’autoproduire pour créer l’évènement de mes rêves.
Jean-Philippe Raibaud : Pour tout dire, j’ai essayé de calquer ce que je faisais au Théâtre des Champs-Élysées avec les mêmes recettes, mais pas les mêmes ingrédients. Un chanteur d’opéra a les mêmes attitudes, entrainements et rigueurs qu’un sportif de haut niveau. Dans un théâtre comme celui-ci, nous avons des services de presse, du mécénat, de la communication. Pourquoi pas le faire avec un boxeur comme Cyril ? J’ai donc ouvert mon carnet d’adresse jusqu’à ce qu’il soit habillé par Jean-Paul Gaultier pour son premier championnat. Cela tombait bien car celui-ci avait conçu une collection pour boxeur en 2010.
CB : L’aboutissement de tout cela a été deux championnats du monde à Paris au Grand Palais.
MV : Je suis totalement bluffée ! C’est incroyable car on a presque le même parcours. Je suis née dans une famille de musiciens et j’ai toujours été hyperactive. Le sport a toujours fait partie de ma vie. J’ai pratiqué l’équitation, du rugby, du karaté, etc… Je faisais en parallèle de la flûte traversière et je voulais devenir chanteuse d’opéra. Puis j’ai perdu mon père chef d’orchestre à 19 ans… J’ai eu un rejet de la musique classique et me suis plongée dans la littérature, mon autre passion. Je suis donc allée en prépa en hypokhâgne, khâgne et j’ai également demandé à redoubler. En parallèle, je suis rentrée dans un groupe de métal où j’ai chanté pendant presque dix ans. Je suis ensuite partie en tournée et j’ai demande à redoubler mes études comme toi. Mon objectif était de faire l’Ecole Normale Supérieure. Après trois ans, j’ai finalement été admissible… et refusé d’y aller. J’avais décidé de faire une école de commerce spécialisée en marketing culturel évènementiel. J’organisais des concerts tout en étant gothique et en dénotant totalement dans l’école. Le hasard fait que celle-ci m’a proposé de faire mon premier stage au sein d’un festival de musique classique. J’ai 25 ans, mon groupe de métal cartonne… et je plaque tout à nouveau pour faire de l’opéra. J’arrive à Vienne pour étudier tardivement le chant lyrique en payant mes cours grâce à mes cours de littérature (que j’enseigne au Lycée Français). Je décide ensuite de partir en Suisse pour un nouveau Master au sein du Conservatoire de Lausanne. J’ai dû faire beaucoup d’e-mails pour qu’on m’auditionne pour de l’oratorio, jusqu’à réussir à devenir enfin soliste à plus de 30 ans.
CB : La trentaine et fraichement diplômée !
MV : Exactement ! Enfin, j’ai moi aussi rencontré l’équivalent de Jean-Philippe Raibaud pour toi en la personne du couturier Julien Fournier. Il m’a fait prendre conscience de l’importance de la mode dans l’opéra et redéfini mon style de la tête au pied en me féminisant davantage tout en gardant l’esprit rock. C’est donc étonnant pour moi aujourd’hui d’interpréter ce rôle de jeune garçon musclé (rires).
CB : Quelle image avais-tu de la boxe avant d’en faire ?
MV : J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les sports de combats, surtout quand tu reçois autant de coups. Je n’avais pas cette sensation en faisant du karaté, un peu en rugby peut-être, mais jamais autant qu’en boxe. J’en suis juste à mon sixième cours ! Je suis impressionnée par la précision qu’il faut avoir pour pouvoir pratiquer ce sport, entre la concentration, l’analyse, le placement et le souffle. Exactement comme quand tu chantes à vrai dire, la similitude est incroyable. Je vais être honnête, j’aimais regarder la boxe pour son côté guerrier viril (et sexy ha ha) . Maintenant que je pratique ce sport, je découvre l’envers du décor et toute l’énergie, le mental et la technique qu’il faut se doter. Je pense aussi que pour vouloir faire de la boxe, il faut avoir une fêlure en soi….
CB : Quand tu décides de pratiquer du sport de haut niveau, tu fais de l’extrémisme. Mais comme pour les chanteurs, cela camoufle probablement un besoin de reconnaissance face à un manque de confiance en soi lié à l’enfance. C’est un challenge permanent.
MV : Et toi, quelle image as-tu de l’opéra ?
CB : Je suis moins proche du chant que tu ne l’es de la boxe. Je ne m’y suis jamais essayé mais j’ai eu la chance d’être initié par Jean-Philippe. Ma mère a pourtant fait vingt ans de piano avant de finalement devenir médecin au lieu d’entrer au conservatoire. Vous ne prenez pas de coup mais vous avez un rythme effréné. La preuve, tu enchaines une production d’opéra avec un récital consacré à Haendel ! Je n’ai pas des matchs chaque jour heureusement. Je vais aussi être honnête : l’image que j’avais de l’opéra était celle de Tintin et de la Castafiore. Une femme plutôt bourgeoise avec une forte poitrine et voluptueuse….
MV : C’est dingue ! Dans l’inconscient collective, l’image de la chanteuse d’opéra n’a pas changé. Je suis désolé de ne pas porter de collier de perles (rires) !
CB : Justement ! Dans la production, une chanteuse très mince a une voix tout aussi incroyable et je me demandais si la physionomie avait un impact sur la voix ?
MV : Bien entendu. Il faut savoir respecter son hygiène de vie. Il y en a qui ont besoin d’un énorme plat de pâtes avant de chanter. A l’inverse, j’ai besoin d’être à jeun et de faire des push-up et des pompes dans ma loge pour me sentir tonique avant d’entrer sur scène. J’ai eu une période ultra fit où j’avais des abdos en bétons qui m’empêchait de bien chanter, figure-toi. Cela bloquait mon diaphragme qui a toujours besoin d’un petit relâchement. En revanche, penser qu’il faut avoir du ventre pour bien chanter est un contre-sens absolu. Cela sert juste d’excuse (rires). En revanche, ton corps est effectivement ta caisse de résonnance donc cela impacte sur ta projection, cela me parait logique.
CB : Je ne sais pas si c’est la même chose dans l’opéra mais le plus grand combat que tu puisses avoir sur un ring, c’est d’être face à toi-même. L’adversaire est un accessoire.
MV : C’est la même chose pour nous. Tu ne te fais pas casser la figure chaque soir mais tu es jugé sur chacune de tes notes. Le pire n’est pas la critique que tu vas lire après le spectacle mais ton propre jugement après chaque représentation. Cette petite voix intérieure en plein milieu de ton interprétation où tu te juges constamment. Heureusement, cette voix diminue avec le temps et l’expérience. Comment travailles-tu ton souffle de ton côté ?
CB : C’est drôle que tu me poses cette question car je ne pensais jamais à respirer dans mes premiers combats. C’était à chaque fois une contre-performance. Il faut savoir bien ventiler quand tu frappes par exemple. Le souffle n’est pas le même en entrainement qu’en combat, probablement comme vous avant une représentation, surtout si tu fais de l’hyperventilation.
MV : Sans le souffle, on ne peut pas chanter. Mon thorax s’est agrandi ces six dernières années. Mes côtes s’élargissent, on doit respirer profondément (en utilisant le périnée, un peu comme au yoga) tout en étendant les côtes flottantes, notre autre réserve d’oxygène. Il est très compliqué de chanter quand tu es quelqu’un de très stressé, tu n’as pas d’autre choix que de savoir très bien le gérer. Par chance, je n’ai jamais eu de gros stress qui te coupe le souffle. Sauf quand j’ai dû chanter en l’air dans cette nouvelle production ! Je me suis aperçu qu’il me fallait m’accrocher à la terre pour pouvoir bien chanter. Sans appui, je ne sens pas mon diaphragme.
CB : C’est donc aussi musculaire comme sensation, exactement comme nous dans notre positionnement et nos appuis.
MV : Un harnais permet de me soutenir et la sensation est radicalement différente. Il a fallu que je change mon mental pour chanter correctement en l’air.
CB : Comme quoi, on en revient au pouvoir du mental ! Comment le gères-tu ?
MV : En faisant justement de la boxe (rires) !
CB : Cela a été progressif me concernant. On a toutefois des psychologues du sport et des préparateurs mentaux qui nous accompagnent heureusement.
MV : A contrario, nous n’avons aucune équipe derrière nous et ce n’est pas normal. Chaque théâtre devrait avoir un dispositif de santé pour les chanteurs. Notre métier est de plus en plus physique et nous avons des tensions partout. Je me bats pour cela car tout est à notre charge. Il faut accepter d’être seul quand on est chanteur d’opéra.
CB : C’est un peu comme nous dans le sens où le boxeur construit son équipe autour de lui, il ne joue pas en équipe. J’ai la chance de choisir celle qui m’entoure.
MV : J’ai l’habitude de changer de lieu pour chanter et de parfois rester deux mois pour une nouvelle production. J’ai donc dû trouver des spécialistes dans chaque ville que j’appelle dès que j’arrive sur place. On se les partage d’ailleurs sur Instagram entre chanteurs car rares sont les théâtres qui nous accompagnent pour cela.
Une voix provenant du haut-parleur résonne dans la loge : « Marina Viotti est demandé sur scène pour son raccord orchestre ».
MV : On était bien partis, c’est dommage ! Partie remise d’accord ?
CB : Quand tu veux. Vivement le prochain round !