Il est fréquent que le succès d’une oeuvre dépende de la qualité du plateau, des exploits de l’orchestre ou encore de la subtilité de la mise en scène, il est plus rare de réunir ces trois atouts lors d’une même représentation et cependant c’est le cas pour cette Maison des Morts au Staatsoper de Berlin qui tient le public en haleine de bout en bout.
La réussite de cette production du trio Patrice Chéreau (mise en scène), Richard Peduzzi (décor) et Bertrand Couderc (lumières) tient à l’équilibre entre sa fidélité au texte et ses trouvailles scéniques pour concrétiser la narration telles que cet effondrement du plafond dans un fracas qui concurrence celui de l’orchestre ou cet éclairage blafard - tantôt au néon, tantôt par l’arrière – qui, allié au décor constitué de simple murailles de béton, renforce l’impression carcérale et désespérée de la scène.
Equilibre également entre la brutalité permanente exercée par les gardiens, les prisonniers et les rares moments d’humanité qui surgissent comme des éclairs d’espoir de jours meilleurs : le très vieux forçat recueille un aigle blessé jusqu’à sa guérison ; Alyeya conserve les lunettes de Gorjancikov pendant qu’il subit son châtiment ; Les lumières chaudes des mégots partagés sur lesquels les hommes tirent dans l’obscurité de la nuit sont comme des falots auxquels ils se raccrochent à l’instar des prisonniers chantés par Jean Genêt.
Equilibre enfin entre les fantasmes de sensualité des forçats et leur échappatoire au moyen d’une pantomime grossièrement travestie, sans pour autant jamais en forcer le trait ni tomber dans une illustration débauchée et vulgaire.
L’orchestre de la Staatskapelle de Berlin sous la baguette du chef invité Sir Simon Rattle est plus vif et tonitruant que jamais. Il gronde superbement pour se calmer brièvement le temps d’évoquer un rythme slave chargé de tristesse et de mélancolie avant de redonner des coups de boutoirs musicaux que seuls des chanteurs très engagés vocalement peuvent surmonter. Au premier rang desquels figure Tom Fox en Gorjancikov, dont la profondeur et la noirceur du timbre le préservent de forcer son émission. Eric Stoklossa campe un Alyeya très crédible en jeune protégé tandis que Stefan Margita fait montre d’une vaillance vocale qui confine à l’agressivité dans le peu sympathique rôle de Morosov (alias Kuznic).
Ladislav Elgr est un Skuratov captivant en dépit d'une indisposition annoncée avant le lever du rideau.
Notons également l’écrasante présence vocale de Peter Hoare (Chapkine) et Pavlo Hunka (Chichkov) qui se partagent les deux longues narrations du troisième acte.
Enfin soulignons la remarquable longévité vocale d’Heinz Zednik (75 ans), dont le timbre est toujours frais et claironnant, dans le rôle du très vieux forçat. Quel bel hommage rend-il ici à Patrice Chéreau par sa présence, lui qui était déjà à ses côtés en Loge et en Mime dans le Ring de Bayreuth de 1976 à 1980 !
Opéra en trois actes (1930) de Leos JANACEK
Livret du compositeur d’après le roman de F. Dostoïevski
Alexander Petrovic Gorjancikov
Tom Fox
Alyeya
Eric Stoklossa
Filka Morosov (Luka Kuzmic)
Stefan Margita
Le grand forçat
Peter Straka
Le petit forçat
Vladimir Chmelo
Le commandant
Jiri Sulzenco
Le très vieux forçat
Heinz Zednik
Skuratov
Ladislav Elgr
Chekunov
Jan Galla
Le forçat ivrogne
Stephen Chambers
Le cuisinier/le forgeron
Maximilian Krummen
Le pope
Arttu Kataja
Le jeune forçat
Olivier Dumait
Une prostituée
Eva Vogel
Forçat qui endosse les rôles de Don Juan et du Brahmane
Ales Jenis
Kedril
Marian Pavlovic
Chapkine
Peter Hoare
Chichkov
Pavlo Hunka
Tcherevine
Stephan Rügamer
Mise en scène
Patrice Chéreau
Décors
Richard Peduzzi
Costumes
Caroline de Vivaise
Lumières
Bertrand Couderc
Chœur d’hommes du Staatsoper Berlin
Orchestre de la Staatskapelle Berlin
Direction musicale
Sir Simon Rattle
Staatsoper Im Schiller Theater, Berlin, mercredi 17 décembre 2014, 19h30
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