Sept ans après une très imparfaite production à Garnier, l’oratorio testamentaire de Handel revient à Paris. Rappelons que si l’œuvre aligne des passages époustouflants, l’inspiration du saxon perdant la vue fut néanmoins irrégulière, rendant difficile un maintien de l’attention constant en version de concert. L’équipe réunie ce soir ne parvient pas complètement à rehausser certains airs génériques, ni à rendre parfaitement justice aux plus beaux, mais offre tout de même une belle prestation grâce à plusieurs fortes personnalités.
On connaissait déjà Il Pomo d’Oro métamorphosé sous la baguette de Francesco Corti dans les seria de Handel et on retrouve ici ce qui fait la force de l’attelage : grande vivacité des rythmes, précision des pupitres (les cordes et leur variété d’attaques), justesse des vents et collégialité de troupe autour d’une basse continue très fournie. Hélas cette histoire biblique n’est pas une pastorale et ce grand oratorio tragique réclame une ampleur plus épique. Les effectifs sont peut-être trop réduits (25 musiciens et 18 choristes), le nouveau mur de scène du Théâtre des Champs-Elysées matifie sans doute vraiment le son et l’ensemble manque certainement encore de confiance. Ainsi du chœur à qui ne font défaut ni élocution ni souffle pour la glorieuse et agitée conclusion du premier acte mais bien la verve dramatique. Et l’on ne sait pas s’il y en avait un à la création, mais un orgue là-dedans ça ajoute tout de même un brillant bienvenu.
Sur le plateau s’avance d’abord un Zébul double de l’autoportrait de Dürer qui reviendrait du Hellfest: Cody Quattlebaum en impose, arrachant ses récitatifs (et son pupitre !) avec une assurance toute virile. Hélas ses airs trahissent le baryton au medium sonore mais au registre grave forcé, le forçant à saccader ses vocalises. Jasmin White est bien plus idoine en superbe Hamor : ses graves veloutés, sa virtuosité implacable et son vocabulaire belcantiste brillent particulièrement dans « On me let blind mistaken Zeal ». Mélissa Petit est par contre toujours scolaire et se fait surtout remarquer par l’éclat de sa robe. Tout est correctement chanté, les aigus sont délicats, le souffle impeccable (les variations de volume dans « Tune the soft melodious lute ») on n’est cependant ni emporté par sa joie plus niaise qu’innocente faute d’imagination, ni ému par son « Happy they » trop diaphane et déjà détaché pour prendre aux tripes. « Farewell, ye limpid springs » est plus incarné malgré une partie B très sage, comme si elle avait confondu son rôle avec celui de l’Ange (interprétation parnassienne très efficace d’Anna Piroli).
Sans en avoir les notes abyssales, Joyce DiDonato campe une Storgé très vivante. On peut être gêné par son jeu extérieur voire poseur, reconnaissons-lui toutefois une suprématie technique inentamée et, ce soir, une relative sobriété des effets : « Scenes of horror » est bien joué en air prémonitoire et non en folie déjanirienne tandis que « Let other creatures die » est animé par l’énergie du désespoir, quitte à étrangler les graves. Le soleil de cette nuit est sans conteste Michael Spyres : il fascine dans ses premiers airs d’une bête et mâle fatuité par une conduite aussi risquée que payante de ses vocalises et une autorité indéniable dans l’émission (époustouflant « His mighty arm »). L’émotion arrive lorsque l’orgueil du chef de guerre est puni : « Open thy marbe jaws » hébété et évidemment « Waft her, Angels » qui débarrasse le militaire de sa cuirasse pour révéler un père plein d’espérance, ou en plein déni selon le point de vue. La voix est alors d’une légèreté ataraxique et tendre. Ses récitatifs secs et belliqueux ou accompagnés et tourmentés « Deeper, and deeper still » sont tout autant captivants.