On croyait avoir tout vu au Palais Garnier. Et pourtant, pour célébrer comme il se doit ses 150 ans, l’Opéra national de Paris propose jusqu’à fin août une expérience aussi inédite qu’ambitieuse : La Magie Opéra, une immersion en réalité virtuelle dans les coulisses de l’imaginaire lyrique, au cœur même de l’Opéra Garnier.
Munis d’un casque VR, les visiteurs suivent Céleste, une jeune chanteuse en quête de sa voix, dans une odyssée sensorielle mêlant passé, présent et futur, mémoire des lieux et puissance évocatrice de la musique. Cette rêverie technologique, conçue par le studio BackLight en coproduction avec l’Opéra de Paris et VIVE Arts, ne se contente pas de faire découvrir les dorures de Garnier : elle les habite, les transforme et les fait vibrer au son de grands classiques du répertoire.
Tout au long du parcours, trois airs emblématiques sont revisités : le Chant à la lune de Rusalka (interprété par Renée Fleming), Vissi d’arte de Tosca (Martina Serafin, captée lors de la production maison de 2014), et bien sûr la Habanera de Carmen (Elīna Garanča, captée en 2017).
En 25 minutes d’immersion, les frontières entre scène et salle s’effacent. Ce n’est plus nous qui venons à l’opéra, c’est l’opéra qui vient à nous. Aussi fascinante que déroutante, cette expérience séduira les plus curieux, à condition de jouer le jeu et de se laisser guider dans la rotonde de la Bibliothèque-musée de l’Opéra de Paris. Ne vous fiez pas à l’apparence sobre des lieux à votre arrivée : car derrière ce cadre minimaliste se cache un voyage riche en surprises, en couleurs et en perspectives.
À la fois immersif et participatif, le dispositif propose au visiteur d’endosser le rôle d’un choriste de l’Opéra de Paris, témoin privilégié du parcours intérieur d’une jeune chanteuse lyrique en plein doute existentiel (mi-Gaëlle Arquez, mi-Adèle Charvet). Un scénario un peu attendu, avec un dénouement prévisible, mais qui séduit grâce à la place centrale accordée à ce personnage de fiction. N’osant monter sur scène pour interpréter Carmen, elle devra puiser en elle le courage de franchir le pas après une introspection intime dont nous sommes les témoins directs.
C’est une plongée au cœur de sa mémoire et de son psychisme que proposent les scénaristes Karen Hunt et Eric Barbedor et qui invite à de nombreuses réflexions une fois le casque de réalité virtuelle retiré. À quoi ressemble la vie d’une jeune chanteuse d’opéra aujourd’hui ? Quelle place lui accorde le monde professionnel ? Et le public ? Comment se construit-elle en incarnant sans cesse des héroïnes sacrifiées, trahies, bafouées ou contraintes de tuer pour survivre ? Comment pouvoir trouver la force intérieur et s’émanciper en montant sur scène ? Autant de questions qui n’ont jamais autant collées à l’actualité et qui arrivent à point nommées.
À travers le voyage de Céleste, c’est autant l’âme humaine que les entrailles du Palais Garnier qui sont mises à nu. Ce labyrinthe opératique, sans véritable issue, nous entraîne dans une exploration intérieure aussi dense que troublante. Certains aspects techniques laissent encore à désirer — les personnages virtuels restent parfois trop figés, proches de marionnettes (limites technologiques obligent). Mais cette expérience unique dans l’univers de l’opéra réussit l’essentiel : nous faire ressentir de véritables sensations — apesanteur, vertige, frisson — jusqu’à un final lumineux, sous les projecteurs, où l’on se surprend à applaudir… pour de vrai.
Accessible dès 12 ans, disponible en français et en anglais, La Magie Opéra est à découvrir à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, du 7 mai au 31 août 2025. Une manière audacieuse et poétique de célébrer 150 ans de passions lyriques, et peut-être de conquérir un nouveau public sans compromettre l’exigence artistique.