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Laurent Pelly : « Ce qui m’intéresse chez Massenet, c’est qu’on peut constamment y basculer du comique au dramatique »

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Interview
7 mai 2012

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 © pologarat-odessa

Alors que l’Opéra de Lille s’apprête à accueillir sa mise en scène de Cendrillon, Laurent Pelly revient pour nous sur le parcours qui l’a mené à monter pas moins de trois ouvrages de Massenet, ce qui est presque un record par les temps qui courent…

 

 

Pouvez-vous nous retracer ce parcours qui vous a mené de Cendrillon à Manon en passant par Don Quichotte ?

En 2003, je venais de reprendre La Belle Hélène à Santa Fe quand Richard Gaddes, le directeur de l’opéra, m’a dit qu’il cherchait un ouvrage français plutôt léger à monter. Marc Minkowski m’avait parlé de Cendrillon, j’avais écouté l’enregistrement avec Frederica von Stade, j’ai vraiment eu le coup de foudre pour cette œuvre, et c’est comme ça que tout a démarré. Je m’intéresse beaucoup à la littérature et à la musique française du XIXe siècle, et puis j’aime beaucoup les contes de fées, les histoires qu’on peut raconter aux adultes comme aux enfants : il y a tout cela dans Cendrillon, la musique a quelque chose de très narratif, cet opéra a quelque chose d’un peu fou, qui dépasse le conte de Perrault, avec tout cet aspect burlesque que je retrouve même dans Manon, un côté comique, léger, et en même temps une profondeur, une gravité. Dans Cendrillon, c’est flagrant, avec toute la famille de l’héroïne, le traitement de la belle-mère et des sœurs, qui est vraiment très drôle. C’est une partition musicalement très inventive. Cette Cendrillon a très bien marché, le spectacle n’avait pas été coproduit, mais cette production a été achetée par Londres et Bruxelles. Je ne serai pas à Lille pour la reprise, mais je suis sûr que tout se passera bien. Et on reverra encore ce spectacle à Barcelone dans un an ou deux. Cendrillon aurait dû venir au Chatelet, ensuite elle a été programmée à l’Opéra-Comique, mais comme le décor était trop lourd pour la Salle Favart, une nouvelle production a été montée, avec Marc Minkowski et une partie de la distribution initialement choisie, notamment Eglise Gutierrez, qui était déjà présente à Santa Fe.

Après la réussite de Cendrillon, Peter de Caluwé m’a proposé Don Quichotte, mais c’était un peu un hasard, lié aux adieux de José Van Dam, que j’aime beaucoup et avec qui j’avais travaillé au Japon sur L’Heure espagnole et Gianni Schicchi. L’œuvre m’intéressait, quoique le livret soit un peu bizarroïde par rapport au texte original de Cervantès, un peu trop édulcoré, mais musicalement très intéressant. Et presque en même temps, Covent Garden m’a proposé Manon avec Anna Netrebko.

En fait, ce qui s’est passé avec Massenet ressemble un peu à ce qui m’est arrivé pour Offenbach : tout a commencé avec Orphée aux enfers, et j’en suis arrivé à monter neuf de ses ouvrages ! Auparavant, je connaissais un peu Massenet, comme tout le monde, sans plus. Petit à petit, sans vraiment me spécialiser, j’ai beaucoup travaillé sur le théâtre du XIXe siècle, Hugo notamment, et à force de monter des Offenbach, je me suis intéressé à ce qui se passait autour de lui. Je suis très touché par ce mélange des genres qu’il y a chez Massenet, cette fantaisie, cette liberté, cette légèreté, ce lyrisme aussi. Dans Manon, il y a du sentiment, parfois un peu trop, mais j’adore ça, c’est une chose que j’aime mettre en scène. Don Quichotte et Cendrillon appartiennent au domaine du rêve, pas au réalisme, tandis que dans Manon, ce qui me troublait, c’était l’aspect social de l’œuvre, et la manière dont l’art du XIXe siècle a récupéré la vision de la femme qu’on trouve dans la littérature du XVIIIe siècle. Par rapport aux deux autres Massenet que j’ai montés, il me semblait moins nécessaire d’adapter ou de relire l’œuvre, qui marche toute seule, à mes yeux. Quand on monte Don Quichotte, c’est très difficile de ne pas toucher à la dramaturgie ; de toute façon, on est très loin de Cervantès, puisque le personnage de Dulcinée est d’emblée présent, par exemple.

Y a-t-il d’autres opéras de Massenet par lesquels vous seriez attiré ?

J’aimerais faire Werther un jour, parce c’est une grande œuvre, musicalement ; il y a un projet concernant Chérubin, mais je ne suis pas sûr qu’il aboutisse. De plus en plus, ma démarche me pousse à vouloir faire entendre des œuvres de compositeurs (ou d’auteurs) célèbres mais peu joués. Chez Massenet, il y a des choses qui me paraissent impossibles à monter, comme Sapho, Esclarmonde ou Le Jongleur de Notre-Dame, des œuvres que je juge trop kitsch, à l’écoute d’un enregistrement ou à la lecture du livret. Cela dit, le travail accompli à Saint-Etienne est passionnant. J’ai appris récemment que, parmi ses œuvres de jeunesse, Massenet a composé des opérettes : pourquoi pas ?

Vous avez surtout mis en scène des opéras français ou chantés en français : est-ce un hasard ?

De plus en plus, je préfère monter des ouvrages en français. En italien, j’arrive à suivre le texte – j’ai monté L’Elisir d’amore  et j’ai d’autres projets Donizetti – , mais je ne parle ni allemand, ni russe, ni tchèque, d’où un sentiment de frustration quand je m’attaque à des ouvrages dans ces langues. Quand j’ai mis en scène Ariane à Naxos, j’ai un peu souffert, car c’est un texte difficile. Pour moi, monter un opéra, ce n’est pas seulement créer des images, c’est aussi et surtout travailler avec les chanteurs sur le sens, sur l’interprétation, pour obtenir un jeu en finisse, très près du texte. Quand on n’a pas la maîtrise de la langue, c’est beaucoup plus difficile. J’ai fait La Petite Renarde rusée avec Seiji Ozawa, c’était magnifique, l’œuvre est merveilleuse, le texte est plus facile que Katia Kabanova ou L’Affaire Makropoulos, mais malgré tout, je ne comprenais pas un mot, j’étais toujours collé à la traduction. Je suis avant tout un metteur en scène de théâtre, près des mots et de la langue.

Quant à traduire les livrets, j’ai fait La Belle Hélène en anglais à l’English National Opera, et aux Etats-Unis, avec textes parlés en anglais et textes chantés en français, mais c’est un peu bizarre. Mozart en anglais me paraît étrange. Je préfère vraiment travailler en langue originale, surtout pour les ouvrages français. Mon prochain projet d’opéra sera un diptyque Ravel à Glyndebourne. Pour L’Heure espagnole, je m’inquiète un peu, je me demande comment les surtitres pourront rendre tous les doubles-sens, tous les sous-entendus grivois qu’il y a dans le texte. Comment le traduire sans le dénaturer ?

Vous devez mettre en scène Robert le Diable à Covent Garden la saison prochaine. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce spectacle ?

Pour tout vous dire, c’est un projet un peu dingue ! J’étais intéressé, car cette œuvre fait partie de l’histoire de l’opéra, ce fut un énorme succès à la création, mais le livret est complètement tiré par les cheveux, l’histoire est tellement improbable, et en même temps on ne peut pas en faire l’économie, il faut s’en servir. Ça n’a rien de comparable avec Les Huguenots, qui est un opéra historique, une tragédie. Mais le fameux ballet des nonnes ? Lorsqu’on  monte aujourd’hui un opéra comme celui-là, il faut le faire entendre avec un peu de distance, on ne peut pas prendre ça vraiment au sérieux. Bien sûr, il y a la musique, quoique par moment elle soit un peu énorme, trop énorme. J’ai envie de raconter ça avec humour tout en me servant de l’atmosphère fantastique qui est permanente dans l’œuvre, l’un n’empêchant pas l’autre. Je suis curieux de faire fonctionner l’œuvre, qui est très datée dans l’histoire de la musique. Je ne veux surtout pas me moquer, la dénaturer, mais trouver le moyen de la faire entendre sans qu’elle paraisse indigeste ou démodée. Après, tout dépendra des interprètes, du chef. Malheureusement, Diana Damrau vient d’annuler sa participation pour cause de maternité, et je le regrette beaucoup. Elle a participé à deux reprises de La Fille du régiment, à San Francisco et New York, c’est une artiste magnifique. Et j’aimerais qu’il y ait des chanteurs francophones, mais ça, c’est encore une autre histoire. Quand les chanteurs ne parlent pas du tout français, c’est très difficile ; certes, je suis là pour ça, mais quand même … Après Londres en décembre 2012, ce Robert le diable ira à Genève, qui coproduit le spectacle, et on peut supposer qu’il sera filmé.

La plupart de mes mises en scène existent en DVD. Pour Les Contes d’Hoffmann, la production sera sans doute captée à Barcelone, avec Natalie Dessay dans les quatre rôles féminins (le spectacle sera également repris à San Francisco et à Lyon). Le diptyque L’Enfant et les sortilèges / L’heure espagnole sera filmé à Glyndebourne. J’ai un immense regret concernant Le Roi malgré lui, cette production n’a pas été filmée, alors que je milite toujours pour Chabrier, j’en parle partout. J’adore Chabrier, j’ai adoré faire Le Roi malgré lui, et je ferai L’Etoile à Amsterdam dans deux ans. Pour Gwendoline, en revanche, le livret est plus problématique.  Mais je mène depuis longtemps un travail sur ce fil qui est entre le comique et le dramatique, voire le tragique ; même dans une grosse farce comme L’Etoile, ce qui me paraît intéressant, c’est de pouvoir basculer d’un côté ou de l’autre. Comme chez Massenet, finalement.

Propos recueillis le vendredi 4 mai 2012 par Laurent Bury

 

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