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Marc Clémeur : « Je suis un homme comblé »

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Interview
30 avril 2012

Infos sur l’œuvre

Détails

Directeur général de l’Opéra national du Rhin (OnR), Opéra d’Europe depuis 2009, Marc Clémeur a su insuffler une nouvelle dynamique à cette maison prestigieuse et toucher un très large public, attirant en particulier de nouvelles tranches d’âge et de nombreux habitués frontaliers. Son projet, original, vise à une large illustration du répertoire, de la musique baroque à la musique d’aujourd’hui. Banco ! Le succès est au rendez-vous et la presse unanime, en particulier Forumopera.com qui est partenaire de l’OnR pour la célébration de ses quarante ans.

 
 

 
Qu’est-ce qui différencie l’OnR des théâtres que vous avez précédemment dirigés?

 

L’Opéra des Flandres, que j’ai dirigé pendant 18 ans avant d’être nommé à l’Opéra du Rhin, avait un orchestre, ce qui n’est pas le cas ici. Nous avons d’une part l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et d’autre part l’Orchestre Symphonique de Mulhouse qui nous consacrent chacun 50% de leur emploi du temps. Cela complique singulièrement l’établissement des plannings mais on s’y fait assez vite. Du reste, nous avons à l’administration une excellente équipe qui est rompue à ce genre d’exercice.

Inversement, nous disposons de nombreux avantages dont l’Opéra des Flandres est dépourvu : chacune des trois villes associées à l’Opéra du Rhin forme une sorte d’entité ; Strasbourg est spécialisé dans la production des opéras, Mulhouse accueille le Ballet et Colmar l’Opéra Studio. Cela permet d’intégrer parfois les jeunes chanteurs de l’Opéra Studio à nos productions et d’associer librement le Ballet et les chanteurs dans une forme mixte comme l’Opéra-Ballet Platée de Rameau (saison 2009-2010, Rousset/Clément) ou Farnace de Vivaldi (Petrou/Childs, première le 18 mai 2012). Enfin, j’apprécie tout particulièrement le remarquable travail de nos ateliers (décors, costumes, perruques, maquillages, bottier, accessoires, …) qui bénéficient d’une longue expérience et sont autant d’atouts pour nos nouvelles productions : elles nous reviennent à peine plus cher que les reprises car nous n’avons que le prix des matériaux à supporter. Cette saison, nous présentons 9 nouvelles productions, ce qui est un record. A l’Opéra des Flandres, chaque nouvelle production coûtait une fortune car il fallait faire appel à des ateliers extérieurs qui nous facturaient les heures de travail, les matériaux et un certain pourcentage au bénéfice, c’est pourquoi nous en avions si peu.

 

Quelles sont les grandes lignes de votre apport particulier à l’OnR?

 

J’ai donné à l’OnR une dimension plus européenne que par le passé en prenant certaines mesures :

  • l’introduction de surtitres bilingues français et allemand, qui permettent également au public germanique de suivre facilement l’action (ndlr : alors que Marc Clemeur avait toujours refusé de faire place aux surtitres français ou anglais à l’Opéra des Flandres) ;
  • certaines formules d’abonnement qui ont augmenté la fréquentation internationale de l’OnR ;
  • la multiplication des coproductions qui nous apportent un grand rayonnement à l’étranger et nous permettent de faire des économies de budget.

L’OnR joue maintenant le rôle d’un véritable ambassadeur de la France, tout particulièrement pour les pays frontaliers, Suisse et Allemagne. Alors que 10% seulement du public de l’Opéra national de Paris est constitué de visiteurs étrangers, nous en avons 22% à l’Opéra national du Rhin auquel j’ai adjoint le nom d’Opéra d’Europe.

 

Que préférez-vous dans l’exercice de vos fonctions?

 

Je me réalise pleinement sur le plan artistique. Inventer des thèmes, faire la programmation, les distributions, suivre l’évolution des répétitions d’un spectacle en train de se faire, c’est ce que je préfère.

Je participe à de nombreux jurys de chant à travers le monde, cela me permet de découvrir de nouveaux talents. J’ai également assisté à des auditions en Amérique et invité à l’OdR de très jeunes gens en tout début de carrière. A l’OdR, nous avons, comme chez nos voisins allemands, de longues périodes de répétition (5 semaines) qui permettent de faire un travail approfondi, ce qui est impossible dans des théâtres comme le Met, Covent Garden et bien d’autres où les stars viennent répéter au dernier moment.

Je considère également de mon devoir de suivre régulièrement les progrès des jeunes chanteurs que j’invite et de les conseiller dans le choix de leur répertoire. En voici deux exemples : je suis allé entendre une soprano suédoise quand elle était en troupe à Cologne en 1995. Elle chantait Mimi ! Je lui ai conseillé de changer de répertoire car sa voix était trop large pour ce rôle. Ensuite, c’était il y a quinze ans, je l’ai auditionnée à l’Opéra des Flandres et lui ai confié successivement Elisabeth et Senta. C’est maintenant l’une des plus grandes wagnériennes au monde. Il en est de même pour Christopher Ventris auquel j’ai attribué les rôles de Lenski et Parsifal à partir de 1993 au moment où il chantait encore dans les chœurs à Glyndebourne. Toutefois, je prends toujours garde de ne pas proposer un rôle trop lourd à un jeune chanteur, même si je pense qu’il en aura bientôt les capacités. Ce n’est pas lui rendre service. Mieux vaut une Pamina avec beaucoup de voix qu’une Comtesse avec peu de voix.

Je trouve également très important de soutenir les jeunes metteurs en scène prometteurs. Ce fut le cas de Robert Carsen, que je place très haut parmi ses collègues. Il arrivait de son Canada natal quand, en 1990, après avoir constaté l’ampleur de son talent, je lui ai confié le cycle Puccini à l’Opéra des Flandres. Et je me réjouis aujourd’hui qu’il ait accepté mon offre d’un cycle Janacek à l’OnR. Bien qu’il soit devenu une star mondiale (il est programmé en janvier 2013 à la Scala dans Les contes d’Hoffmann et Don Giovanni et mettra également Falstaff en scène à Covent Garden), il reste fidèle à l’OnR. J’attends avec impatience sa nouvelle Petite Renarde rusée, la saison prochaine.

 

Vous arrive-t-il d’intervenir lors de la préparation d’une production?

 

Oui, dès le début. Je parle avec le chef d’orchestre et le metteur en scène de la direction que devrait prendre le spectacle pour lequel je les engage. Je ne souhaite ni une reconstruction historique, ni l’autre extrême, le Regietheater qui inonde actuellement les scènes allemandes et que je trouve proprement (permettez le néologisme) « déconstructiviste ». Je préfère une dialectique entre l’historicité et la contemporanéité, c’est à dire la traduction pour le public, en langage d’aujourd’hui, des intentions du compositeur et du librettiste. C’est le meilleur gage de bonne entente entre le directeur musical et le metteur en scène.

Ainsi, pour Janacek, je souhaitais une lecture la plus transparente possible dans la fosse et sur scène et mes vœux ont été amplement réalisés. La salle de Strasbourg n’est pas sans poser des problèmes acoustiques. Elle est relativement exigüe et ne contient que 1100 places. Aussi faut-il gérer la palette de nuances de telle sorte que les voix ne soient pas couvertes. C’est particulièrement important dans Janacek où le parler-chanter exige de l’orchestre un certain retrait pour mettre en valeur le texte.

 

Quelles sont les productions qui vous ont apporté les plus grandes satisfactions depuis votre arrivée à l’OnR ?

 

Ce sont, sans controverse possible, les trois inoubliables Janacek du tandem Friedemann Layer/Robert Carsen : Jenufa que nous avions créé à l’Opéra des Flandres en 2004 et repris à Strasbourg en 2009-2010, et nos deux productions, L’Affaire Makropoulos et Katia Kabanova. Je crois que l’on peut difficilement faire mieux. Récemment, j’ai particulièrement apprécié le brillant travail de Christophe Rousset et Marianne Clément dans Platée ainsi que celui de Roland Boër et Waut Koeken dans Fledermaus. J’ai beau réfléchir, je trouve rien que j’aimerais encore faire ou que je n’aie pas encore eu la possibilité de réaliser. Durant mes 22 ans de carrière, je n’ai eu que des satisfactions. J’ai fait en Chine, lors du Festival d’art dramatique de Shangaï, un discours intitulé « La force incroyable des maisons d’opéra moyennes en Europe ». Par « maisons moyennes », j’entends des maisons comme l’Opéra du Rhin, à dimension humaine, où l’on peut travailler en équipe, où chacun est motivé, et d’où est banni le star system. Le Ring a été la réalisation d’un de mes grands rêves, tout comme le cycle Janacek en cours. Je suis un homme comblé.

 

Propos recueillis par Elisabeth Bouillon

Marc Clémeur © DR

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