Vous avez la double nationalité, française et roumaine ; comment êtes-vous arrivée en France ?
Il faut savoir qu’en Roumanie où je suis née, j’ai été très jeune une « star », j’étais tous les week-ends à la télé nationale, je faisais du théâtre, on faisait de vraies pièces de théâtre avec les enfants et donc toute mon enfance jusqu’à mon adolescence, j’ai chanté du folk, je m’accompagnais à la guitare, j’ai gagné tous les prix possibles, j’ai chanté de la musique traditionnelle, de la variété, toutes sortes de musiques, mais je n’ai jamais pris de cours de chant… Par contre j’ai fait 12 ans de violon et de la formation musicale (en Roumanie, c’est obligatoire) et quand j’étais en terminale ma professeur de français m’a envoyé à un concours de musique de variétés qui s’appelait « Chant, son sur scène » et il se trouve que j’ai gagné le Grand prix, et ce Grand prix c’était de chanter aux Francopholies de la Rochelle. Et donc j’y suis allée, j’ai chanté un 14 juillet (c’est la date de mon anniversaire !) « Je t’aime » de Lara Fabian et quelqu’un de l’organisation m’a conseillé de prendre des cours de chant. Je suis allée à l’école de musique de la Rochelle mais cette école ne prenait pas d’élèves étrangers.
Vous vouliez déjà faire du chant votre métier ?
Pas du tout, mon projet n’était pas de rester en France, ni de faire du chant lyrique. Moi je voulais être ambassadrice ! Je suis rentrée en Roumanie et là ma professeur m’a envoyé trois dossiers d’inscription pour faire le conservatoire en France : Strasbourg, Metz et Toulouse, et j’ai choisi Strasbourg, parce que c’était le plus pratique pour moi, mais je ne parlais pas français. J’ai pris trois cours de chant avec une chanteuse qui m’a appris un lied de Schubert en roumain. Donc je suis allée à Strasbourg, j’ai passé l’épreuve de déchiffrage qui s’est très bien déroulée et puis l’entretien. Il y avait 65 candidats et je suis arrivée première. Le problème c’est que je n’avais pas d’argent. Mais ma grand-mère a envoyé une lettre à une émission de télé bien connue en France qui s’appelait « Surprise, sur prise » ; j’y ai été invitée et à la fin la présentatrice m’a dit, « on vous donne 4000 € et vous partez demain matin à Strasbourg au Conservatoire ; on vous a trouvé un logement » . Je suis donc arrivée à Strasbourg à 18 ans un peu déboussolée. La première année a été très difficile, personne ne me parlait, et puis je n’avais qu’une demi-heure de chant par semaine. J’ai failli abandonner mais c’est le frère de ma grand-mère qui m’a vraiment encouragée à persévérer. Et donc la deuxième année j’ai décidé d’étudier la musicologie à l’université de Strasbourg. Et à partir de là, les choses se sont enchaînées.
J’ai fait des rencontres qui ont été importantes pour moi. Tout d’abord la directrice du conservatoire de Strasbourg (Marie-Claude Ségard) qui m’a adorée dès la première seconde, et qui a toujours cru en moi : ma professeur de chant là-bas Marie-Madeleine Koebele, qui m’a poussée à aller à Paris au CNSM. Pendant ces quatre ans de conservatoire à Strasbourg, je n’ai jamais chanté au-dessus de sol ; pour moi c’était comme le sommet. Je pense donc que mes professeurs, en tout cas mes professeurs de Strasbourg ont eu l’intelligence de pas me pousser et de ne pas essayer de transformer ma voix. Et puis il y a eu aussi Christian Schirm, le directeur artistique de l’Académie de l’Opéra national de Paris qui a été important pour moi ; j’étais la seule soprano prise en 2011 à l’Académie. Christian Schirm a toujours été un peu un mentor pour moi.
Votre famille a beaucoup compté dans les décisions que vous avez prises.
Oui j’ai été élevée par mes grands-parents depuis ma naissance, et quand on a déménagé en France, à la fin de ma première année à Strasbourg, tous deux sont venus avec moi parce que je ne pouvais pas seule subvenir à mes besoins. Avec leur toute petite retraite à tous les deux, on arrivait tout juste à vivre. Puis nous sommes partis à Paris pour le CNSM où on a habité 10 ans.
Vous avez toujours un professeur ?
Plus maintenant mais j’ai autour de moi des gens en qui j’ai confiance et puis je dois me dire que j’ai très confiance en moi-même ! Et contrairement à d’autres chanteurs j’aime beaucoup m’enregistrer, m’écouter et me voir.
A Toulouse vous avez pris le rôle de Donna Anna, alors que tout le monde vous connaît en Elvira ; ça ne doit pas être évident de passer d’un rôle à l’autre – et puis ce n’est pas non plus la même voix.
J’ai chanté Donna Elvira 158 fois et je l’ai même chantée avec un pied cassé ! Et il m’a fallu beaucoup de temps pour que je me dise que je peux chanter Donna Anna. Je trouvai le rôle très aigu. De plus je trouvais le personnage un peu faible, elle pleure tout le temps, ce n’est pas très drôle pour la chanteuse. Je n’ai pas du tout réalisé la difficulté du rôle avant de me plonger dedans. Passer d’Elvira à Anna m’a pris beaucoup de temps, ne serait-ce que d’accepter de ne plus être Elvira. C’est vrai que j’ai encore plein de réflexes d’Elvira, même en répétition quand mes collègues chantent et qu’elles oublient un mot, tout de suite j’ai envie de leur souffler ! Mais je pense vraiment sincèrement que si Christophe Ghristi [le directeur musical du Capitole de Toulouse] n’avait pas pensé que je pouvais être une Anna, je n’aurais jamais fait le switch car Donna Elvira était un rôle très confortable pour moi. Mais aujourd’hui Anna est mon rôle préféré .
Il est plus dramatique aussi.
J’ai très longtemps refusé de chanter très aigu mais je sens que je vais vers le soprano dramatique. Même si Mozart reste un fil conducteur dans ma carrière (je vais continuer à chanter la Comtesse encore une ou deux années car c’est un rôle qui m’est très cher), cela m’intéresse d’aller maintenant vers des rôles un peu plus lourds. J’aimerais beaucoup chanter Strauss ; je pense à Salome, j’ai déjà travaillé quelques scènes ; et dans quelques années Arabella. Je vais aussi chanter un peu de Wagner, mais pas tout de suite : Gutrune, Freia, une Walkyre, cela sera dans la saison 2028-29. J’aimerais aussi beaucoup chanter le répertoire français. Hérodiade, Thaïs, pourquoi pas Manon, Juliette, j’aimerais tellement chanter Juliette ! Et puis l’opéra baroque. J’ai chanté Iphigénie en Tauride et puis plus jamais depuis. Athys, Rameau, j’adorerais. Mais vous voyez le problème c’est que je suis roumaine naturalisée française. Je suis en France depuis 2004 mais je suis toujours considérée comme une soprano roumaine, donc si par exemple des directeurs de théâtre veulent faire un cast français, je n’y suis pas parce que pas française. Et je trouve ça dommage.
Il y a une tension particulière quand on prend un nouveau rôle ?
Ce qui m’a étonné le plus c’est que d’habitude, je n’ai pas le trac, je sais que le trac vient avec le talent, on dit ça, mais en général je n’ai pas le trac parce que j’ai commencé à chanter en Roumanie à cinq ans sur les scènes donc ça fait 35 ans que je fais de la scène et d’habitude je ressens plutôt de l’excitation, j’ai envie que ça commence et que je sois sur scène. Et c’est la première fois de ma vie où j’étais paniquée avec cette prise de rôle de Donna Anna. Pour moi le plus terrible, c’est le premier air avec déjà le récitatif très dramatique, je le trouve plus difficile que le second où il y a davantage de legato.
Avez-vous eu ou avez-vous encore des modèles ?
J’ai toujours eu du mal à dire que j’ai des modèles ; c’est sûr qu’il y a des chanteuses que j’adore profondément à un moment de leur carrière. Ou bien j’admire comment elles ont géré leurs carrières. Il est clair que j’adore Renée Fleming, Kiri Te Kanawa, Lucia Popp. Toutefois quand j’apprends un rôle, je n’aime pas du tout écouter d’autres chanteuses avant parce que si j’entends des fautes avant d’avoir moi-même déchiffré, j’ai l’impression que les fautes vont me rester !