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Michel Fau : « Poétiser la désuétude et jouir de l’outrance »

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Interview
21 février 2013

Infos sur l’œuvre

Détails

Michel Fau ©DR
 

 

Michel Fau : « Poétiser la désuétude et jouir de l’outrance »

Michel Fau reçoit sa formation au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris avant de jouer au théâtre pour Olivier Py, Stéphane Braunschweig ou encore au cinéma sous la direction de François Ozon, Benoit Jacquot et Noémie Lvovsky. Metteur en scène passionné, il s’est consacré à Strinberg comme à Mozart, Verdi ou Puccini.

 
Vous avez une formation initiale de comédien, et jouez toujours, qu’est ce qui vous a attiré dans la mise en scène ?

Le plaisir du jeu et de la mise en scène m’a toujours accompagné ; enfant, je créais des spectacles de marionnettes et ma première mise en scène date de mes années de formation de comédien, au Conservatoire. Comme metteur en scène, je n’ai pas de plan de carrière, même si depuis cinq ans, cette activité se développe, je fais ce qui m’excite. L’idée est de retrouver l’innocence de l’enfance, cette vision naïve du théâtre qui goûte l’excès, le burlesque le grotesque, le raffiné, le ludique et que l’on trouve par exemple dans l’univers d’un Tim Burton. J’ai plaisir à donner chair à un univers fantasmé.
Cela dit, l’opposition entre les statuts de comédien et de metteur en scène est un peu artificielle, pensez à Jouvet, Vitez ou Chéreau qui portent les deux arts à des sommets. Il me semble important, pour diriger correctement acteurs et chanteurs, de connaître concrètement les impératifs de leur pratique, en ayant joué et chanté soi-même.
J’ai eu grand plaisir à intégrer la distribution de Ciboulette dans le rôle de la Comtesse de Castiglione, d’autant plus que la position du metteur en scène est par essence extrêmement frustrante : il est cantonné à la salle pendant la représentation alors qu’il lui faudrait être sur scène, avec les interprètes.

Ce croustillant personnage de la comtesse de Castiglione, justement, semble assez proche des figures que vous interprétiez dans le Récital emphatique. Y a-t-il forcement du ridicule, de l’outrance dans l’opéra ?

Oui, je crois que l’opéra est un art de l’excès ; dans la technique vocale d’abord, mais aussi dans les états émotionnels qu’il donne à voir ; ces excès provoquent l’effroi, la fascination. N’oublions pas que la représentation théâtrale avait une dimension sacrée dans l’Antiquité. L’autre face de l’excès c’est qu’il déclenche le rire. Avec les personnages de tragédiennes travesties que j’interprète, je représente la parodie de l’opéra et j’adore ça !
 

Temps de l’œuvre, de l’auteur, de la représentation, ou encore temps imaginaire, comment choisissez-vous de situez votre mise en scène ?

Il est important que coexistent plusieurs formes de théâtre, mais il me semble que les mises en scène « d’époque », conventionnelles, ont tendance à figer l’œuvre. Je ne suis pas non plus très friand des versions qui abusent de l’actualisation de l’action, car je les trouve souvent réductrices, elles contournent le livret au lieu de le prendre à bras le corps.
Mon souhait n’est pas de montrer le monde tel qu’il est, mais plutôt d’aider le spectateur à s’abstraire un moment de la réalité, qui est assez effrayante. Je préfère mettre des fantasmes en images pour permettre l’évasion, la plongée dans le temps du rêve.
C’est particulièrement vrai pour Ciboulette, qui est une opérette écrite dans les années 20 par un Reynaldo Hahn nostalgique de la période précédente. Plutôt que de placer l’action dans les Années Folles ou le Second Empire, j’ai préféré délirer sur un temps imaginaire qui mette en valeur toutes les couleurs du livret.
J’avais déjà travaillé à partir de cartes postales colorisées pour Nono de Sacha Guitry, j’ai repris ce principe de la carte postale en l’utilisant de manière différente avec des paysages d’abord en noir et blanc, puis en sépia et enfin en couleur. La plupart des personnages sont également grimés en noir et blanc, et c’est Ciboulette qui permet l’irruption de la couleur, de la vie, avec son entrée en scène. La couleur investit de plus en plus la scène jusqu’à l’immersion chatoyante dans l’univers théâtral, parce que le théâtre est plus grand que la vie.

Vous avez mis en scène Cosi fan tutte, Tosca, Madame Butterfly, des œuvres majeures du répertoire lyrique, qui sont également des drames – même si le drame peut être souriant chez Mozart. Vous abordez pour la première fois le répertoire de l’opérette avec Ciboulette. Quelles sont ses particularités ?

La singularité de l’opérette réside d’abord pour moi dans un mélange savoureux de férocité et de légèreté. Une alliance que l’on retrouve chez Shakespeare par exemple, ou encore dans Cosi fan tutte, alors que Tosca ou Butterfly plongent totalement dans la folie tragique. Plutôt que de traiter Ciboulette comme une opérette, une « œuvrette », j’ai considéré qu’elle donnait à voir les états excessifs d’une vie, avec une dimension de tragique et de sublime.
La seconde chose qui me touche dans l’opérette, c’est sa dimension nostalgique. De même que de vieux meubles ou de vieux tableaux nous émeuvent, le désuet fait partie du charme de ce répertoire. J’ai récemment monté Nono de Sacha Guitry et cette langue, cet univers en apparence suranné devient par son décalage même, assez savoureux.
Aussi, en mettant en scène Ciboulette, plutôt que de chercher à la dépoussiérer à tout prix, je me suis attaché à poétiser la désuétude de l’œuvre. Avec Laurence Equilbey, la directrice musicale, nous avons pris l’œuvre au pied de la lettre, scène après scène, sans en préméditer une lecture particulière en la prenant de front.
Nous avons également fait tout un travail pour alléger l’œuvre, lui éviter les redondances – car souvent le texte reprend le chant – ainsi que les allusions trop datées qui ne font plus sens pour le spectateur d’aujourd’hui.
Le plus difficile en réalité est de trouver la profondeur de la légèreté !

Quelles sont les œuvres et les artistes qui vous ont marqué et ont influencé votre travail ? Quelles sont vos envies de metteur en scène ?

Une grande complicité artistique me lie depuis longtemps avec Olivier Py avec qui j’ai collaboré à de nombreuses reprises, avec Jérôme Deschamps, lui aussi comédien et metteur en scène, qui fait partie de la distribution de Ciboulette et dont j’affectionne particulièrement le burlesque méchant.
Je me sens assez proche de l’univers d’un Tim Burton par exemple, et de son rapport à la théâtralité tout à la fois cruelle, jubilatoire et cauchemardesque. J’aime également la vision de Peter Greenaway ou encore de Francis Ford Coppola dans Dracula et ce brio à délirer sur une époque pour se l’approprier. C’est tout à fait ainsi que je conçois le travail du metteur en scène.
Il faudrait encore citer Lucas Ronconi, Alfredo Arias… la liste est longue.

Je me réjouis de collaborer avec Benjamin Lazar pour mon prochain projet lyrique et d’exhumer Demain il fera jour d’Henri de Montherlant en avril prochain au théâtre de l’Œuvre. Quant à mes fantasmes, ils sont multiples : monter Richard Strauss dont j’aime profondément l’œuvre, incarner Alceste ou Macbeth mais aussi interpréter Clytemnestre en travesti, encore et toujours comme un funambule entre grandiose et burlesque.

Ciboulette, à Opéra-Comique, Paris du 16 au 26 février 2013
 
Propos recueillis par Tania Bracq, le 18 février 2013

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