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Smetana 200 : le Tchèque au cœur

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Actualité
4 mars 2024
Il est le fondateur, celui par lequel l’opéra en langue tchèque s’est véritablement créé, celui par lequel il s’est construit, au sens propre comme au sens figuré, au point de devenir un monument en République tchèque et plus largement en Bohème.

Infos sur l’œuvre

Détails

« Avec l’aide de Dieu, un jour je serai Liszt pour la technique et Mozart pour la composition »

Bedřich Smetana est né à Litomysl dans une famille germanophone, le 2 mars 1824. Il a ou aura 10 frères et sœurs, mais il sera le seul de la fratrie à atteindre l’âge adulte.

Ses parents ne parlent guère le tchèque. Son père František est brasseur et assez bon violoniste et c’est lui qui lui enseigne les premiers rudiments. Sa mère est née Barbora Linková.

La chambre natale de Smetana

Le petit Bedřich est doué, très doué. Il apprend très vite au point de remplacer son père dans le quatuor amateur au sein duquel ce dernier joue dès l’âge de quatre ans. Il sait transcrire des opéras entiers pour piano à six ans ; mais ce n’est qu’à 19 ans que le jeune Smetana se rend à Prague et décide de faire de la musique son métier, au grand dam de son père, devenu agriculteur entretemps et qui l’aurait bien vu faire quelque chose de « mieux ». Il le destinait à une carrière d’économiste. Mais Smetana est résolu : « Avec l’aide de Dieu, un jour je serai Liszt pour la technique et Mozart pour la composition » écrit-il dans son journal en janvier 1843.

L’engagé 

Professeur particulier chez le comte Leopold von Thun, personnalité politique autrichienne mais futur chantre du fédéralisme tchèque, Smetana commence à composer des œuvres aujourd’hui perdues. Le Printemps des peuples, qui suit la Révolution française de 1848, lui fait prendre fait et cause pour le nationalisme tchèque et il s’engage dans cette voie par la musique, en composant quelques œuvres patriotiques, dont sa Jubel-Ouverture, en fondant la première école privée dans laquelle la langue tchèque est obligatoire, alors que lui-même la parle assez mal. Avec sa générosité coutumière, Franz Liszt contribue à cette fondation – ou du moins il l’y encourage car il n’est pas certain qu’il l’ait aidé financièrement ; de même que Clara Schumann. Celle-ci avait pu entendre sa sonate en sol mineur quelques années auparavant, alors qu’elle était de passage à Prague avec Robert. Le couple avait trouvé l’œuvre trop berliozienne, mais avait gardé de l’estime pour le jeune compositeur.

Smetana avait fait la connaissance de Liszt après lui avoir dédicacé et envoyé ses Six pièces caractérielles pour piano, que son aîné avait accueilli avec son ouverture et sa reconnaissance habituelle.

Katerina Kolářová , première épouse de Smetana

Cet engagement pédagogique et musical se double d’une implication plus politique, aux côtés d’un groupe armé, Concorde, et des radicaux pragois. Il y rencontre Karel Sabina, qui sera bien plus tard le librettiste de ses deux premiers opéras, Les Brandebourgeois en Bohème et La Fiancée vendue. Pourtant, Smetana n’est pas à proprement parler un révolutionnaire. Il écrit même une symphonie triomphale pour François-Joseph Ier, lorsque ce dernier devient roi de Bohème, scindant la couronne et reconnaissant un particularisme tchèque, comme il le fera en Hongrie, en Lombardie ou dans les Balkans. Envoyée à la Cour impériale, cette partition ne recevra aucune réponse de la Hofburg.

Drames et exil

Smetana se marie en 1849 avec Katherina Kolářová avec qui il aura quatre enfants. Mais les années 1850-1860 sont très difficiles. Sa femme, atteinte de tuberculose, est très malade ; ils vont perdre trois de leurs quatre enfants en bas âge (il dédiera d’ailleurs son déchirant trio avec piano à sa fille ainée Bedřichka) ; son école fait faillite ; sa carrière de musicien, en particulier de pianiste virtuose, ne décolle pas. Smetana voit son avenir s’obscurcir.

C’est Liszt qui lui suggère d’aller voir ailleurs. En 1856, son mentor lui conseille de partir Suède, et plus précisément à Göteborg, où il peut prendre la tête d’une institution musicale, l’Harmoniska Sällskapet et où il crée là aussi une école de musique. C’est là qu’il compose ses poèmes symphoniques Richard III, Le Camp de Wallenstein et Hakon Jarl, qui doivent beaucoup à Liszt.

Un retour déterminé et déterminant

Mais son pays lui manque et ses affaires ne sont pas meilleures. Il n’aime pas trop la Suède qu’il juge musicalement rétrograde. Après la mort de sa femme et son remariage avec Bettina Ferdinadiová, il rentre à Prague et réalise que tout ce qu’il avait voulu créer pour dynamiser une nouvelle école tchèque ne s’est pas concrétisé. Il va donc faire feu de tout bois : il crée à nouveau une école de musique avec son exact contemporain, compositeur, chef de chœur et pédagogue, Ferdinand Heller. Il prend la tête d’une chorale, l’association Hlahol, puis devient directeur musical du Théâtre bohémien de Prague en 1866.

Le théâtre national de Prague en 1881

C’est là que bascule son destin : pour cet établissement, fondation du futur Théâtre national de Prague dont il sera l’un des bâtisseurs, il va écrire son premier opéra, avec Karel Sabina, Les Brandebourgeois en Bohème, créé le 5 janvier 1866. Ce n’est pas le premier ouvrage en langue tchèque :  František Václav Mča en avait composé un premier sur la base d’une traduction d’un livret italien en 1730, mais c’est František Jan Škroup, par ailleurs auteur de l’hymne national tchèque, qui avait composé le tout premier opéra entièrement national, Dráteník, en 1826.

La gloire et les attaques

Smetana, dans ses Brandebourgeois en Bohème ne se contente pas de créer un nouvel opéra « national ». Il lui donne d’emblée une coloration ouvertement « nationaliste » en mettant en musique un livret très antigermanique, puisque les Brandebourgeois y sont dépeints en oppresseurs tyranniques face aux courageux Pragois. L’événement est considérable en raison de son retentissement politique bien davantage qu’artistique. C’est l’œuvre qui suit presqu’immédiatement cette création (30 mai 1866 dans sa première version) qui va propulser Smetana au rang d’icône nationale et sa partition à celui d’hymne de fait : La Fiancée vendue, dont l’accueil initial est moins chaleureux (il est même franchement frais) mais qui va vite trouver sa place bien au-delà des frontières de la Bohème et consacrer son auteur.

Partition (réduction pour piano) de la Fiancée vendue, 1872

Smetana va donc alterner les œuvres lyriques propres à exalter un « roman national » avec Dalibor (1868), autre tableau des luttes tchèques contre des envahisseurs que les plus exaltés accusent de trahison en raison de références musicales jugées wagnériennes ; puis avec Libuše (1872), qui vante une sorte de nation tchèque éternelle qu’on lui reprochera dans les mêmes termes. Plus proche de la Fiancée vendue, Les deux veuves (1874) rendent hommage aux rythmes et danses folkloriques sur fond d’amour et de légèreté.

Le compositeur couronne cette production nationale par son célébrissime cycle de poèmes symphoniques Ma Patrie composé entre 1874 et 1879, sorte de synthèse virtuose des influences diverses de sa musique, au style pourtant très personnel et immédiatement séduisant. Sa musique de chambre, plus complexe, achève d’en faire un compositeur majeur de la seconde partie du XIXe siècle.

Smetana renoue aussi avec le triomphe à l’opéra, grâce au Baiser (1876), chef-d’œuvre tendre et émouvant, puis avec Le Secret (1878). Son dernier opéra, Le Mur du diable, créé en 1882, est déjà très marqué par le grave affaiblissement du compositeur. Mais tous retrouvent Les échos des traditions et croyances populaires bohémiennes. Il avait entamé un dernier opus lyrique, Viola, inspiré de La Nuit des rois de Shakespeare, mais il ne verra jamais le jour.

Le déclin et la déchéance

En 1874, Smetana commence à avoir des problèmes d’audition, puis des vertiges de plus en plus violents. La probable syphilis fait son œuvre, comme avec tant d’autres, et le condamne à une lente dégradation. Il se retire chez sa seule fille restée vivante, Sophie, à une cinquantaine de kilomètres de Prague, où il ne revient qu’épisodiquement. Il devient totalement sourd très rapidement après les premiers symptômes et des acouphènes de plus en plus insupportables.

La maison de Jabkenice, chez sa fille Sophie

La maladie s’aggrave en une poignée d’années. Il perd l’usage de la parole et la mémoire, puis  devient imprévisible et violent.  Il doit être interné et meurt à 60 ans, le 12 mai 1884, date à laquelle s’ouvre chaque année le festival de Prague, dont Ma Patrie est traditionnellement au programme du concert d’ouverture. On se souvient d’ailleurs de l’énorme émotion suscitée par l’un de ces concerts, lorsque Rafael Kubelik, interprète majeur de cette musique, était revenu de son très long exil après la chute du Mur, pour diriger le cycle le 12 mai 1990.

Les funérailles de Smetana sont, forcément, nationales et attirent une foule énorme.

Inauguration du monument à Smetana dans sa ville natale, pour le centenaire de sa naissance

Aujourd’hui considéré comme le père de la musique moderne tchèque, il parlait pourtant assez mal cette langue au point d’en être vilipendé à l’école dans sa prime jeunesse, et, sa vie durant, il a appris, chaque jour, à la parler de mieux en mieux, convaincu sans doute qu’il avait une mission, illustrée par ses engagements au mi-temps de son siècle. Sa musique ne se réduit cependant nullement à une sorte de schéma folklorique, qui ne serait qu’une aimable curiosité.  Elle ouvre la voie à un renouveau musical dont l’héritier, davantage encore que Dvořák, sera Janáček. « Cultiver l’art du pays est la première et la plus belle mission de notre opéra » écrivait dans sa jeunesse ce compositeur profond et populaire, dont il faut surtout écouter les sublimes quatuors à cordes pour cerner son intimité et qu’il avait intitulé « De ma vie », qui décrit jusqu’aux symptômes suraigus de sa soudaine surdité.

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