Forum Opéra

BACH, Messe en si mineur – Ambronay

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Spectacle
16 septembre 2025
Ferveur et humilité

Note ForumOpera.com

4

Détails

Johann Sebastian Bach

Messe en si mineur, BWV 232

 

Erika Tandiono et Sophia Faltas, sopranos

Victoria Cassano et William Shelton, altos

Raphael Höhn, ténor

Sebastian Myrus et Felix Schwandtke, basses

 

Vox luminis

Freiburger Barockorchester

Direction musicale

Lionel Meunier

 

Ambronay, Festival, Abbatiale, 13 septembre 2025, 20h30

Pour essentielle qu’elle soit, la Messe en si mineur (1), bien qu’enregistrée abondamment, est beaucoup moins donnée au concert que les Passions (2). Aussi, son interprétation par Vox luminis et le Freiburger Barockorchester, avec une distribution remarquable constitue un des moments les plus forts du festival d’Ambronay.

Jamais la Messe en si ne laisse indifférent, particulièrement après plus de cinquante ans de fréquentation assidue. Aussi serait-il regrettable que les quelques interrogations qui émaillent ce propos altèrent chez le lecteur le souvenir de l’émotion partagée, qui fut d’une rare intensité. Que ce dernier n’y perçoive que l’expression d’un amour de l’ouvrage et de l’admiration pour celles et ceux qui nous le transmettent avec ferveur et humilité. Les chefs-d’œuvre autorisent, appellent, une variété de lectures renouvelées dont le bonheur de l’écoute ne doit pas occulter les questionnements.

La disposition correspond en tous points aux attentes : les bois, essentiels, sont placés devant (les deux merveilleuses flûtes), ou sur le côté droit (hautbois, bassons), le chœur, sur un rang, en arc de cercle, entoure l’orchestre, et Lionel Meunier, tout en tenant sa partie dans son pupitre, dirige de sa place, au cœur du chœur, avec l’intensité d’engagement qu’on lui connaît. Sa communication avec Peter Barczi, Konzertmeister du Freiburger Barockorchester est constante. L’effectif choral refuse l’obésité – trois chanteurs par partie, y compris les solistes conformément aux indications du manuscrit de 1733. Il en va de même de l’orchestre. Les cordes ont la clarté soyeuse attendue, les soli instrumentaux sont à la hauteur de la réputation de la phalange : le violon, les deux flûtes, le hautbois d’amour, tout particulièrement.

La distribution, sans faiblesse, réunit de bonnes, voire d’excellentes voix, sans jamais se prêter au spectaculaire : on participe à une liturgie. Le premier mérite revient bien sûr au travail conduit avec exigence par Lionel Meunier avec son chœur Vox luminis, dont l’éloge n’est plus à faire. La formation est ductile, malléable, homogène et sûre, y compris dans les parties les plus redoutables (les alla breve sont pris à un train d’enfer, sans jamais mettre les voix en péril, mais sans que le bénéfice expressif soit toujours évident). L’engagement et l’aisance ne faibliront jamais.

Tout est contrepoint. Les pleins et les déliés, la souplesse des phrasés, la précision des attaques sont bien là, même si on attendait davantage de vie rythmique. Peut-être la polyphonie orchestrale comme chorale appelait-elle un approfondissement, certains soulignements (3). L’usage d’une suspension dans la résolution des cadences interroge tant il est systématique.  Le dessin des lignes est toujours lisible, clair. Leur entrelac vocal comme instrumental est un bonheur constant. Les longues vocalises des chanteurs, solistes ou choristes, sont irriguées par l’énergie du verbe, précises et régulières comme les vagues. Même si l’acoustique lisse et mêle les traits de chaque partie, c’est toujours un bonheur. La ferveur chaleureuse, puissante, n’est jamais pesante. Le refus de l’emphase est manifeste, toujours ça avance. Si la pulsation est évidente, permanente, la respiration l’est moins.

Le début interroge : le premier Kyrie, que l’on attendait ardent, tendu, suppliant, apparaît legato, serein, dépourvu d’articulation, de rythme, un Kyrie d’espérance plus que de supplique, aux antipodes de la surarticulation dramatique de Schreier. Le Christe, lumineux, rayonnant, reste modeste, humble, dans sa dimension vocale. L’alla breve rapide de la fugue du second Kyrie lui confère une certaine véhémence. Eclatant et animé, le puissant Gloria, avec ses trois trompettes et timbales fait toujours forte impression, et le Et in terra pax, contrasté, retenu, s’enflera progressivement à la faveur de sa magistrale fugue.  Sans entrer dans les détails, disons simplement que le Laudamus te, où le violon solo dialogue avec les deux solistes, est chanté avec fraîcheur, sur une belle articulation de l’orchestre. Les deux flûtes du Domine Deus sont un constant régal et retiennent davantage l’attention que les voix, fort belles au demeurant.  La douceur du Qui tollis nous vaut un moment de grâce, d’une plénitude lumineuse. Il en ira de même du Qui sedes, où se marient les lignes du hautbois d’amour et de l’alto. Le Quoniam est partagé entre le chant noble de la basse (Felix Schwandtke, sauf erreur), le cor naturel, les deux bassons et le continuo. Pour conclure le Gloria, la fugue du Cum Sancto Spiritu, dont la jubilation se traduit par un tempo très rapide.

A l’affirmation puissante du Credo succède le Et in unum Dominum, moment de bonheur musical qui unit les solistes (une soprano et l’alto de William Shelton) aux deux hautbois d’amour. Le galbe des lignes force l’admiration.  Au centre du Credo, le Crucifixus, dont on attendait davantage de pesanteur accablée du motif de passacaille, est ardent, douloureux, impatient, avec les trompettes et les timbales. Il s’éteint dans un ralenti poignant. Y répond le Et resurrexit, d’une joie exaltée, avec des bois jubilatoires. La redoutable phrase des basses (Et iterum venturus) est exemplaire de conduite. Avec les deux hautbois d’amour, l’Et in Spiritum, chanté par la basse aux belles couleurs, à la longueur de souffle impressionnante, n’appelle que des louanges. Les entrées claires de toutes les parties du canon du Confiteor, allant, avec son adagio conclusif concourent au recueillement, à l’émotion juste. Contrastée à Voxsouhait, l’animation de l’et expecto resurrectionem, avec ses Amen vocalisés achève cette section.

Quasi dansant, animé d’une joie profonde, aux beaux modelés, avec la jubilation des vocalises de chaque voix, le Sanctus nous emporte. L’immense Osanna, suivant, n’est pas en reste, puissant et enlevé. L’intime, le fragile Agnus Dei nous fait oublier les « grands » prédécesseurs (Jacobs, Scholl etc.) : la pureté d’émission, la conduite du souffle de William Shelton, le merveilleux traverso confèrent une douceur (les pianissimi) qui nous captive et nous ravit. Repris du Gratias agimus, symétrique, le Dona nobis pacem, l’appel à la paix, après l’action de grâce, fervente, avec son amplification progressive de la fugue, délibérément lissée, et son ralenti final, nous conduisent à la félicité. Un grand moment de communion musicale, rare dans son intensité, que chacun gardera en mémoire (4).

  • 1.Pourquoi cette fallacieuse appellation s’est-elle incrustée, puisque le si mineur y est peu fréquent (5 numéros sur 27), le ré majeur dominant ? « Hohe Messe » semble plus approprié. 
    2. Si peu de narration, l’intemporalité, alors que les Passions sont associées à Pâques, pas d’Evangéliste charismatique peuvent expliquer, pour partie, cette diffusion plus restreinte. 
    3. Ainsi l’ostinato implacable - 13 reprises du motif - de la passacaille du Crucifixus; le trait expressif des basses, m.168 du Et resurrexit, m.168 ; le cantus firmus confié aux basses, puis aux ténors du chœur, m. 172 sqq. du Confiteor ... 
    4. Ce profond bonheur, cette sérénité radieuse, intemporelle, appelait le silence après que la résonance ultime se soit éteinte. Las, nombre d’auditeurs se montrent incapables de retenir leurs applaudissements, interdisant aux autres de savourer ce moment, essentiel.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Note ForumOpera.com

4

Légende

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

❤️❤️❤️❤️❤️ : Exceptionnel
❤️❤️❤️❤️🤍 : Supérieur aux attentes
❤️❤️❤️🤍🤍 : Conforme aux attentes
❤️❤️🤍🤍🤍 : Inférieur aux attentes
❤️🤍🤍🤍🤍 : À oublier

Note des lecteurs

()

Votre note

/5 ( avis)

Aucun vote actuellement

Détails

Johann Sebastian Bach

Messe en si mineur, BWV 232

 

Erika Tandiono et Sophia Faltas, sopranos

Victoria Cassano et William Shelton, altos

Raphael Höhn, ténor

Sebastian Myrus et Felix Schwandtke, basses

 

Vox luminis

Freiburger Barockorchester

Direction musicale

Lionel Meunier

 

Ambronay, Festival, Abbatiale, 13 septembre 2025, 20h30

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

L’émotion de la beauté accomplie
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Un succès féminin !
Alessandro CORBELLI, Enrico PAGANO
Spectacle