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CALDARA, Santa Francesca Romana – Tourcoing

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Spectacle
10 octobre 2025
Raison et sentiments

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3

Infos sur l’œuvre

Il trionfo della castità, ou Santa Francesca Romana, oratorio d’Antonio Caldara (1670-1736), créé au Palazzo Bonelli de Rome, le 16 mars 1710

Détails

Santa Francesca
Marie Perbost
Angelo
Paul-Antoine Bénos Djian
Inganno
Antonin Rondepierre
Lucifero
Stephan MacLeod

Les Ambassadeurs – La Grande Écurie
Direction musicale
Chloé de Guillebon

Église Saint-Christophe de Tourcoing, samedi 4 octobre 2025, 19h

Chaque année, pour inaugurer sa nouvelle saison, l’Atelier lyrique de Tourcoing organise un week-end de concerts gratuits dans différents lieux de la ville. Avant un concert des Siècles dirigé par Stefano Manacorda, avec rien moins qu’Isabelle Faust au violon, l’Atelier lyrique accueillait son autre ensemble en résidence, Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, dans l’église Saint-Christophe. Avec une belle distribution de chanteurs rompus au répertoire baroque, on proposait au public de redécouvrir un oratorio très rare de Caldara : Santa Francesca Romana.

Antonio Caldara n’est pas un compositeur inconnu, mais il demeure encore trop rarement joué, surtout en France. Santa Francesca Romana n’a d’ailleurs encore jamais connu les honneurs du disque. Les plus chanceux auront déjà pu entendre « Sì piangete pupille dolenti » dans l’enregistrement Opera proibita de Cecilia Bartoli, consacré aux œuvres écrites à Rome durant la première décennie du XVIIIe siècle, alors que l’opéra y avait été interdit par deux papes successifs. Privés de théâtre, les musiciens durent compter sur quelques mécènes éclairés qui leur ouvrirent les portes de leurs palais privés, pour y donner des oratorios à sujets sacrés ou allégoriques. La sensualité romaine, impossible à contenir, y subsistait cependant, comme en témoigne justement cet oratorio de Caldara. Commandé par le prince Ruspoli pour le Carême de 1710, l’œuvre dresse l’hagiographie de santa Francesca, modèle de fidélité conjugale, que Lucifer tente de perdre par tous les moyens. Certes, la chasteté triomphe in fine et Lucifer et son émissaire Inganno sont précipités dans l’abîme, mais l’œuvre tout entière demeure traversée par ce combat fiévreux entre les sens et la vertu. La flamboyance de la partition de Lucifer, l’élégance presque voluptueuse des plaintes de Francesca, l’accompagnement orchestral d’une grande sensualité – dans ses variations de timbres, ses chromatismes, sa diversité rythmique et harmonique – portent les marques d’un plaisir que la morale prétend pourtant condamner.

La jeune chef Chloé de Guillebon, à la tête des musiciens des Ambassadeurs – La Grande Écurie, met adroitement en avant ces ambivalences, en conservant quelque chose d’assez peu démonstratif dans son inteprétation, bien que les effets musicaux soient nombreux. Dans l’un des airs de Francesca, les violons sollicités dans leur registre grave déploient une couleur sombre et caressante, d’une beauté saisissante. Ailleurs, le dialogue de la voix avec le violon solo (Stefano Rossi) touche par sa simplicité expressive. Même impression dans un autre air, cette fois avec le hautbois, dont l’instrumentiste (Guillaume Cuiller) rejoint la chanteuse au pupitre : la proximité des timbres, leur respiration commune, confèrent au moment une belle intensité. L’air « Sì, piangete, pupille dolenti » est porté par les frissons des cordes, qui contribue à la puissance de la plainte de Francesca, d’un dépouillement bouleversant, où affleure quelque chose de très opératique dans la dramatisation générale de l’accompagnement. On aurait sans doute souhaité çà et là des contrastes plus marqués, une tension dramatique plus affirmée, le tout restant peut-être trop sage, mais l’ensemble est adroitement mené, avec une grande cohérence d’esprit.

Le rôle de Francesca domine largement par sa présence les autres personnages – cinq airs lui reviennent, ainsi qu’un duo, quand l’œuvre ne comporte qu’une quinzaine de numéros. Marie Perbost lui prête sa voix de soprano fruitée, à la fois charnue et rayonnante. Elle incarne avec une émotion sincère une Francesca jeune, ardente, d’une humanité bouleversante. Sa ligne de chant, souple et frémissante, épouse à merveille les tourments intérieurs du personnage. À travers cette figure de femme que les personnages masculins cherchent à séduire, à détourner ou à perdre, elle affirme une présence féminine forte, libre, d’une dignité lumineuse. À ses côtés, Paul-Antoine Bénos Djian est Angelo, bras droit de Dieu venu soutenir Francesca dans sa lutte contre l’émissaire de Lucifer. On retrouve chez lui un timbre dense, charnu et mordant qui confère au rôle une paradoxale sensualité. Les quelques airs rapides qui lui reviennent, notamment celui qui conclut la première partie, sont emportés par une virtuosité ébouriffante, grâce à une vocalisation incisive et une longueur de souffle à peine humaine.

Lucifer, figure éclatante et théâtrale par excellence, qui ouvre les hostilités avec un « vincerò » saisissant, est incarné par Stephan MacLeod, qui se trouve hélas vocalement amoindri ce soir-là. Visiblement souffrant, toussotant entre ses airs, le chanteur peine à trouver son assise dans le grave et une vocalisation suffisamment souple, avec un timbre qui demeure rocailleux. C’est dommage, car ces airs de fureur, d’une expressivité fulgurante, auraient sans doute gagné en relief et en noirceur avec des moyens vocaux pleinement déployés, mais il n’en reste pas moins que l’interprète s’est acquitté de sa partie avec une probité exemplaire, refusant toute outrance pour préserver l’essentiel : la crédibilité du rôle et l’intensité du drame. Son émissaire Inganno, chargé de corrompre Francesca, est interprété par Antonin Rondepierre. L’artiste déploie une voix de ténor souple et bien conduite, au timbre homogène. La projection demeure parfois un peu discrète et le personnage manque d’un certain relief dramatique, mais l’interprète fait preuve d’un vrai sens du style et d’une musicalité constante, qui assurent à son rôle une présence toujours juste.

Ce très beau concert ouvrait donc idéalement une saison de l’Atelier lyrique de Tourcoing marquée par la diversité des propositions et par leur grande originalité : on peut citer entre autres Cendrillon de Viardot, Les Boréades de Rameau ou même Solaris, le vidéo-opéra d’Othman Louati et Jacques Perconte. On espère en outre qu’un jour l’œuvre de Caldara puisse être enregistrée – d’ailleurs, le public tourquennois, conquis par l’oratorio et par ses interprètes, appellent d’un bis : le très beau duo entre Francesca et Angelo, que Marie Perbost et Paul-Antoine Bénos Djian reprennent avec une joie manifeste.

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