Le Louvre a eu la bonne idée d’accompagner la grande rétrospective consacrée au peintre Jacques-Louis David (1748-1825) par une série de manifestations et de concerts de contextualisation. La Lame et le pinceau, création de Benjamin Lazar, qui associe théâtre, musique, chant et vidéo, les inaugurait, le projet étant d’éclairer les motifs et les circonstances d’une œuvre dont la peinture n’aura été qu’une des expressions. Et finalement de s’interroger, de manière habile, sur les responsabilités de l’artiste dans une période révolutionnaire qu’il a lui-même anticipé et dont il a dessiné certaines des formes les plus essentielles. Car l’ambition de David, que Benjamin Lazar connait avec une très grande finesse, n’est pas tant d’agrémenter son temps que d’en révéler les formes nécessaires. Ainsi, par exemple, du « serment » que David « invente » dans son fameux Serment des Horaces (1784), et au sein duquel le Tiers-État inscrira bientôt sa résolution lors du fameux épisode du Serment du jeu de paume … dont David se verra confier d’en sceller l’événement par une fresque qu’il n’achèvera pas. Cercle parfait !
Dans « La Lame et le pinceau », la « lame » ne désigne donc pas tant le tranchant de la guillotine que le geste même de David se donnant la mission, à la fois comme peintre et comme organisateur des grandes parades qui ponctuent le programme de « régénération » nationale de la Convention, de proposer aux français un imaginaire qui tranche avec l’ancien, – ce qui mobilise bien sur la peinture, mais aussi la musique, la poésie, le théâtre, l’architecture comme les arts décoratifs et la mode (dont les esquisses de David deviendront langage officiel). Aussi Benjamin Lazar va-t-il mobiliser dans La Lame et le pinceau la peinture, grâce à une très belle utilisation de la vidéo, mais aussi la musique, par la reprise des chants qui émaillaient les manifestations officielles et mobilisaient les plus grands compositeurs de l’époque et le théâtre, par la machinerie à plans multiples qu’il utilise pour donner voix à David et ses interlocuteurs. La Lame et le pinceau ne condamne pas l’artiste, elle en explore la responsabilité. Presque un opéra.
Pour servir ce projet, une importante réunion d’artistes de tous les arts. On a parlé de la vidéo, il faut citer aussi l’ensemble Les Lunaisiens, jouant sur des instruments anciens comme cet improbable « serpent » dont (se) joue Patrick Wibart, et les chœurs placés sous la direction de Arnaud Marzorati qui rappellent l’importance des chants révolutionnaires comme cantates profanes. Mais aussi l’excellent Thibault Lacroix dans le rôle d’un David confronté à lui-même, ses souvenirs et sa conscience dans le crépuscule incertain de son arrestation, et la merveilleuse Judith Chemla, grande vestale dans sa longue robe blanche, incomparable pour incarner l’époque et dont le chant donne une profondeur bouleversante à ce moment dramatique.