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D’après SCHUBERT, L’autre voyage – Dijon, Auditorium

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Spectacle
8 mars 2024
C’est Schubert que l’on dépèce

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Tableaux lyriques sur des musiques de Franz Schubert, choisies par Raphaël Pichon, souvent (ré) orchestrées, avec des textes substitués

Création à Paris (salle Favart), le 1er février 2024

Textes de Heine, Goethe et autres

Détails

Mise en scène et décors
Silvia Costa
Collaboration aux décors
Michele Taborelli
Dramaturgie
Antonio Cuenca Ruiz
Adaptation des textes
Raphaëlle Blin
Costumes
Laura Dondoli
Lumières
Marco Giusti
Réalisation vidéo
Laura Dondoli, en collaboration avec Home Movies – Archivio Nazionale del Film di Famiglia

L’Homme
Stéphane Degout
L’Amour
Siobhan Stagg
L’Amitié
Laurence Kilsby
L’Enfant
Chadi Lazreq

Chœur et orchestre Pygmalion
Maîtrise populaire de l’Opéra comique
Direction et conception musicale
Raphaël Pichon

Dijon, Opéra, Auditorium, 6 mars 2024, 20h

On ne donne plus, du moins en France, Das Dreimäderlhaus (La Maison des trois jeunes filles), l’opérette de Heinrich Berté centrée sur la figure de Schubert. Habilement, la partition associait les lieder les plus populaires à des œuvres dont chacun a le thème en mémoire. C’était convenu, sucré, mais ça fonctionnait. Le spectacle proposé à Dijon, un mois après l’Opéra-Comique (1), en est l’exact opposé. Loin du cliché du jeune homme joufflu à petites lunettes, jovial, entouré de ses amis dont il animait les libations de touchantes mélodies, réduire Schubert au « deuil et (à) la perte » aboutit à une œuvre sombre où ne retrouvons, outrée, qu’une face du compositeur. Arguant de la supposée faiblesse dramatique de l’œuvre lyrique de Schubert, Silvia Costa (2) et Raphaël Pichon ont conçu ce spectacle, intitulé « L’autre voyage » en le construisant autour d’une trame narrative centrée sur la mort, suite ou complément de Winterreise. Projet ambitieux s’il en est.

Pour ce faire, des emprunts disparates à des œuvres rares, assemblés avec habileté, dont les textes diffusés ont été pour la plupart réécrits en fonction du projet. Ainsi écouterons-nous des extraits de ses ouvrages lyriques (Alfonso und Estrella, die Verschworenen, Fierrabras, Sakuntala, die Zwillingsbrüder), de son oratorio Lazarus, de sa Deutsche Messe, de Rosamunde, de pièces instrumentales, et quelques lieder orchestrés. Le procédé interroge, qui relève autant du pasticcio, cher aux baroqueux, que de la réécriture façon Castil-Blaze (3). Après un décevant Opéra imaginaire conçu par Hervé Niquet (en 2017, à Montpellier), enregistré sous le titre l’Opéra des opéras, après que Raphaël Pichon ait monté Miranda, centré sur Purcell (la même année, avec Katie Mitchell), voici que ce dernier persiste dans son approche. Les personnages sont anomymes, sortes d’archétypes de prologues de tragédie lyrique : L’Homme, l’Enfant, l’Amour, l’Amitié. Le voyage aurait pu être initiatique, goethéen, inspiré par la dévotion du compositeur pour le poète. Las, la mise en scène de Silvia Costa, hyperréaliste, dans le droit fil de Castelucci ou de Claus Guth, n’ajoute pour l’essentiel que des visions sinistres, cauchemardesques, outrées, à des musiques naturellement porteuses d’émotion. Les clichés abondent, parfois lourds. Le spectacle est fragmenté, onirique, désespérément sombre, à l’exception du tableau du mariage.

Le fil conducteur, rouge, nous est donné dès la première et belle image : Gretchen am Spinnrade le déroule, puis le coupe. Nous le retrouverons au terme du spectacle. Métamorphosée en Parque, ou Norne, elle introduit le premier tableau, où le glas a remplacé les bourdons du Leiermann (sur lequel s’achève Winterreise), en un lamento détourné de la version canonique de Brahms. Après qu’elle ait tranché le fil de la vie, un cadavre est découvert. Nous sommes entraînés dans une morgue où œuvre un médecin-légiste, accompagné de son assistant (4). Le premier découvre avec effroi que c’est son propre corps qu’il démembre. Funérailles, visions cauchemardesques, où il croise le regard de son jeune fils, puis flash-back sur le couple attendri à l’anniversaire de l’enfant qui chante, au piano. L’homme, avec sa femme, entament leur deuil, qui les renvoie au jours heureux du passé. L’assistant, ami compatissant, permet à l’homme de se réconcilier avec le monde, conscient de sa finitude.

© Stefan Brion

Alors que la gravité et la douleur, l’émotion comme la pureté et la joie de vivre, la nature sont au cœur de l’œuvre de Schubert, pourquoi cet univers clos, morbide, onirique, trash et oppressant ? La dissonance entre la musique et la mise en scène altère l’émotion plus qu’elle ne la provoque. La réalisation, millimétrée (admirable gestique des chœurs), cohérente, très professionnelle, nous paraît étrangère à l’univers schubertien, non point tant par sa transposition contemporaine que par son esprit. Schubert fait mauvais ménage avec l’hyperréalisme, l’hémoglobine, les années soixante et le super huit, fut-il touchant. Les hallucinations de ses poètes n’ont que peu de rapport avec celles proposées, de nature surréaliste (les organes prélevés exposés sur les murs, les cornettes manipulant les squelettes, les parapluies ouverts autour du cercueil, les fantasmagories…). L’assemblage relève de l’artifice, vain.

Peu de lieder, tous orchestrés : sans doute pour faire le lien avec Winterreise, une réminiscence du Leiermann,  Licht und Liebe (pour ténor et baryton, l’original étant pour soprano et ténor), Der Doppelgänger (orchestré par Liszt), Nacht und Träume (orchestré par Reger). L’essentiel du matériau vient des ouvrages scéniques, Fierrabras tout particulièrement. La qualité des œuvres est incontestable, leurs enchaînements réalisés avec soin. Même altérés, hors contexte, fréquemment porteurs de textes substitués sans relation avec leur version originale, les passages assemblés trouvent une certaine cohérence.

Lorsqu’on imagine toute l’énergie mobilisée par chacun des concepteurs et réalisateurs, toute l’imagination, tout le travail de recherche, de réécriture, de réorchestration, de collage qui ont présidé à cette réalisation, on est en droit de s’interroger. Plutôt que d’associer des extraits de l’œuvre immense du Viennois, n’eut-il pas été plus efficace et cohérent de centrer les efforts sur la redécouverte de tel ou tel ouvrage peu familier ? Des 17 œuvres lyriques, toutes enregistrées, y compris les inachevées, nombre sont produites avec succès hors Hexagone. « Aucune ne tient jusqu’à la fin » affirme Raphaël Pichon à propos des projets scéniques de Schubert. En est-il sûr ? Claudio Abbado nous a légué un splendide Fierrabras… Croit-il avoir fait mieux ?

Pour être positif, reconnaissons que certaines découvertes-exhumations sont gratifiantes, au nombre desquelles le chœur des Voix du ciel de Sakuntala (D.701/4) sur lequel s’achève le spectacle.  L’agencement, réalisé avec intelligence, est de belle facture et témoigne d’une connaissance réelle, sinon approfondie, de l’œuvre de Schubert. La réussite de la production repose essentiellement sur les qualités des interprètes, au premier rang desquels figurent Raphaël Pichon et ses chanteurs. Le premier s’est pleinement investi à la tête de son ensemble, irréprochable, de son chœur, exemplaire, tout comme la Maîtrise de l’Opéra comique. Stéphane Degout, incarne l’Homme avec probité et justesse. L’émission, toujours riche en couleurs, vaut pour sa vérité musicale et dramatique. On n’a certainement jamais chanté un Doppelgänger aussi retenu, halluciné, noir (même si le texte en est réécrit). Siobhan Stagg n’est pas en reste, avec des aigus arachnéens, une conduite de la ligne et une diction exemplaires. L’Amitié, confié au ténor Laurence Kilsby, lumineux, chaleureux, est une belle découverte. Quant à l’Enfant, Chadi Lazreq, c’est la révélation. « Der Vollmond strählt », qui suit la Hirtenmelodie de Rosamunde, est superbe de fraîcheur et de lumière, d’autant plus émouvant qu’il s’accompagne au piano. Tous les ensembles sont remarquablement réglés, équilibrés, dès le « Grab ans Mond »(D 893). Sans oublier le chœur a cappella « Sanft und still » de Lazarus, « Ersehntes [teures ?] Vaterland » de Fierrabras, confié au chœur d’hommes a cappella, « Mein Heiland, Herr und Meister » de la Messe allemande, toutes les interventions du chœur mériteraient d’être saluées. L’orchestre, dont Raphaël Pichon obtient les nuances le plus ténues, sonne fort bien, notamment les bois. Tout semblait réuni, mais le soufflé est retombé. La diffusion sur France-Musique, le 9 mars à 20 h, permettra aux absents d’apprécier : ils ne souffriront pas de la perte de la version scénique.

(1) https://www.forumopera.com/spectacle/dapres-schubert-lautre-voyage-paris-opera-comique/)
(2) dont on relira l’interview avec profit (https://www.forumopera.com/silvia-costa-le-monde-de-lopera-cest-un-monde-de-reves/). Elle n’a manifestement pu méconnaître la réalisation zurichoise de Fierrabras par Claus Guth (2005, en DVD), enfermant tous les personnages dans un appartement à la Strindberg…
(3) convaincu de la légitimité de son arrangement, celui-ci fit ainsi découvrir sa réécriture du Freischütz aux Parisiens, sous l’intitulé Robin des bois, ce qui lui valut l’ire de Berlioz.
(4) La dissection du corps est-elle l’image du travail de Raphaël Pichon sur le dépouillement et les prélèvements du corpus schubertien ? En regard, bien que relevant d’un autre registre, difficile d’oublier la réussite de Frankenstein Junior, la comédie musicale que Mel Brooks tira de son film…  Ce soir, seul le respect dû à Schubert et aux interprètes nous dispense de rire, ou de hurler.

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Détails

Mise en scène et décors
Silvia Costa
Collaboration aux décors
Michele Taborelli
Dramaturgie
Antonio Cuenca Ruiz
Adaptation des textes
Raphaëlle Blin
Costumes
Laura Dondoli
Lumières
Marco Giusti
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L’Homme
Stéphane Degout
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Dijon, Opéra, Auditorium, 6 mars 2024, 20h

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