Mine de rien, la nouvelle production – réussie disons-le d’emblée – de cet Enlèvement au sérail tient de son petit miracle et relève d’un sauvetage réussi. Il y a moins d’un mois de cela, à peu près deux semaines avant la première du 17 octobre sur la Dammtorstraβe de Hambourg, le Dr Ralf Klöter, le patron du Staatsoper Hamburg a reçu la visite de l’intendant Georges Delnon lui annonçant tout de go qu’il avait décidé de cesser la collaboration en cours avec le metteur en scène Paul-Georg Dittrich, pourtant l’enfant du pays. Tout ceci bien sûr « in gegenseitigem Respekt » (« avec tout le respect dû » – qu’en termes fleuris ces choses-là sont dites ! ). Nous n’en saurons guère plus si ce n’est les incontournables « incompatibilités artistiques » invoquées qui peuvent tout et rien dire à la fois. Toujours est-il que c’est en moins de deux semaines que David Bösch, contacté en urgence, a dû se mettre à l’ouvrage pour proposer cette huitième nouvelle production hambourgeoise de l’ Enlèvement au sérail (la dernière datait de 1993 et avait connu 64 représentations). David Bösch est un régisseur respecté Outre-Rhin ; s’il a fait l’essentiel de sa carrière dans le théâtre en Allemagne et surtout au Burgtheater de Vienne, on lui doit également des mises en scènes d’opéra remarquées (un Orlando furioso à Francfort ou un Elisir d’amore à Munich). Il faut lui être reconnaissant d’avoir sauvé cette production. Certes, au vu des délais raccourcis, le propos du metteur en scène est simplifié à l’extrême et le décor inexistant : des matelas ici et là simulent sans doute le harem. Le reste du décor est constirué de vidéos projetées (des mangas d’une utilité discutable, censément destinées à commenter l’action, plutôt là pour meubler qu’autre chose ) et la direction d’acteur assez rudimentaire. N’en faisons pas grief. Chez Mozart, on le sait, on pourrait se passer de tout, de décor, de costumes, de jeu d’acteur, pourvu qu’il reste la musique. D’aucuns ajouteront qu’on lui en voudra d’autant moins que cette production a minima nous aura peut-être épargné quelque mise en scène improbable comme Hambourg et bien d’autres maisons allemandes savent en proposer.
© DR Staatsoper Hamburg
La musique donc ; elle est joliment servie par un Adam Fischer d’une remarquable juvénilité ! Le chef maîtrise ses troupes, les mène parfois à la hussarde avec des tempi martiaux, mais qui se tiennent. Pour le « Martern aller Arten », il fait appel à un quatuor obligé (flûte, hautbois, violon et violoncelle) ; tout cela du plus bel effet et qu’importe si cela ne figure pas tel quel dans la partition originelle. La distribution vocale mérite qu’on s’y attarde. Pour le dire simplement il n’y a pas de maillon faible, même s’il y a ici et là quelques imperfections dans le rendu d’une partition dont on ne dira jamais assez la difficulté. Commençons par Constanze. Tuuli Takala remarquée dans ces colonnes à Metz pour sa Violetta, se sort brillamment du parcours redoutable que représente le rôle. Pourtant son « Ach, ich liebte » au début du I nous est apparu tout en tension et les aigus peu affirmés. La suite est plus rassurante et elle passe l’épreuve du redoutable deuxième acte avec réussite ; son « Martern aller Arten » suscite légitimement de l’enthousiasme. Beaucoup de choses y sont : la technique, l’agilité, la beauté du timbre aussi. Manque encore l’aisance, mais peut-on être à l’aise quand il faut gravir un tel sommet ? On retiendra aussi la prestation de Narea Son en Blonde ; cette jeune Sud-coréenne, pas encore entièrement à l’aise dans les récitatifs en langue allemande, se joue des quelques suraigus de son rôle avec une aisance prometteuse. Voilà une jeune cantatrice qu’il nous plaira de réentendre quand elle aura gagné en puissance et consolidé la partie haute de la gamme.
Sur les quatre hommes de l’intrigue, l’un est un rôle entièrement parlé. Burghart Klaußner (le pacha Selim) est un acteur réputé en Allemagne et qui a connu son brin de célébrité grâce à sa contribution à la série The Crown. Il campe ici un pacha à la fois amoureux, joueur et bon perdant. Le Pedrillo de Michael Laurenz qui apparaît sous les traits d’un jardinier (il cultive sans doute l’amour de sa promise…) est impeccable. On aura remarqué la noblesse de Martin Mitterrutzner en Belmonte. Son « Hier soll ich dich denn sehen » du I a donné le la de toute sa prestation : beauté de la ligne, pureté du timbre, et surtout cette impression de grande élégance qui ressort de l’ensemble. L’Osmin de Ante Jerkunica recueille sans doute la plus belle ovation. Celle-ci est méritée. Le terrible début du I, pris à froid et interminable, est un véritable piège pour celui qui s’y est mal préparé. Ce n’est pas le cas ce soir-là et le défi est superbement relevé grâce à un jeu juste jusqu’au bout et une basse bien basse et bien chantante.
Décernons un coup de chapeau à tous les acteurs de cette production passablement chamboulée mais qui délivre un spectacle réjouissant.