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DONIZETTI, Il furioso all’isola di San Domingo – Bergame

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Spectacle
21 novembre 2025
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2

Infos sur l’œuvre

Mélodrame en deux actes (Rome, Teatro della Valle, janvier 1833)
Musique de Gaetano Donizetti
Livret de Jacopo Ferretti

Edition critique établie par Eleonora Di Cintio © Editions Ricordi, Milan

Avec la collaboration et la contribution de la Fondazione Teatro Donizetti di Bergamo

Détails

Nouvelle production de la Fondation Teatro Donizetti

Mise en scène
Manuel Renga

Décors et costumes
Aurelio Colombo

Lumières
Emanuele Agliati

 

Cardenio
Paolo Bordogna

Eleonora
Nino Machaidze

Fernando
Santiago Ballerini

Bartolomeo
Valerio Morelli

Marcella
Giulia Mazzola

Kaidamà
Bruno Taddia

 

Chœur de l’Académie Teatro alla Scala

Chef de chœur
Salvo Sgrò

Orchestre Donizetti Opera

Pianoforte
Hana Lee

Direction musicale
Alessandro Palumbo

Bergame, Teatro Donizetti, dimanche 16 Novembre 2023 à 15h30

 

 

 

 

Troisième temps lyrique au programme du Festival Donizetti 2025, Il furioso all’isola di San Domingo, un opéra créé à Rome en janvier 1833, sur un livret de Jacopo Ferretti, l’auteur de la Cenerentola. Il s’était inspiré d’une « action théâtrale »  d’un auteur inconnu mais très populaire alors en Italie, dérivée d’une anecdote puisée dans le  Don Quichotte de Cervantès. Elle montre que si l’amour peut faire souffrir jusqu’à rendre fou, dans le cas d’un adultère, il peut aussi guérir la folie qu’il a générée.

Le héros, Cardenio, fils d’un commerçant espagnol, s’est réfugié à Saint-Domingue loin de Eleonora, la femme infidèle qui s’est moquée de lui. La douleur l’a rendu misanthrope, au point qu’il est dangereux de le rencontrer car entre deux monologues où il évoque la trahison il peut s’en prendre violemment au premier venu. Une tempête se déchaîne, un navire fait naufrage, une femme est rejetée sur la plage. C’est la traîtresse repentie qui court les mers à la recherche de sa victime pour implorer son pardon. Puis c’est Fernando, le frère de Cardenio, qui débarque sain et sauf pour ramener son frère en Espagne, où leur mère est mourante. Quand Eleonora rencontre Cardenio, il enrage et s’enfuit. Quand elle le retrouve il délire encore ; elle réussit à le calmer un moment mais seule l’arrivée de Fernando la sauve d’une agression. Cardenio s’échappe à nouveau et se jette dans l’océan. Fernando plonge et le ramène sur le rivage. Il semble avoir retrouvé son calme, mais ses sentiments sont si confus qu’il envisage le suicide. S’emparant des pistolets confiés à un esclave il propose à Leonora de mourir ensemble, chacun tuant l’autre. Elle accepte mais au signal convenu elle pointe son arme sur elle-même et non sur lui. Ce geste lui prouve qu’elle l’aime sincèrement et dès lors, définitivement apaisé, il peut lui accorder son pardon, dans la liesse générale.

On peut, certes, douter que ce retour à la raison soit définitif. Mais si l’on se charge de représenter l’œuvre pour laquelle Donizetti a composé, est-il légitime de la transformer ? Manuel Renga, le metteur en scène, est certain que Cardenio rechutera. Sa conviction s’appuie, peut-on lire dans le programme, sur une déclaration de Bartolomeo au deuxième acte : « la folie est un arbre dont on peut couper les branches mais les racines subsistent toujours », déclaration  que  nous avons cherchée en vain dans le livret publié par la Fondation Donizetti.  Cela peut sembler anecdotique mais  Manuel Renga continue : « Les racines de la folie de Cardenio sont restées et trente ans après elles donnent une nouvelle pousse. L’action se déroule dans une maison de repos où est hospitalisé le vieux Cardenio ; à travers sa mémoire nous revivons les faits qui se sont déroulés 30 ans avant…Ainsi nous avons Cardenio jeune et son double, Cardenio âgé… » C’est bien ce qui est donné à voir, et ainsi s’explique que nous ayons l’impression accablante de retrouver le procédé infligé par Damiano Michieletto à La donna del lago.

© Gianfranco Rota

Dès lors l’intrigue devient l’exposé des souvenirs du vieil homme, auquel une femme âgée viendra rendre visite dans ce qui ressemble, par le jeu d’accessoires et l’intervention d’une aide-soignante, à un EHPAD. Il est le premier personnage que l’on voit, tantôt prostré, tantôt semblant attendre, souvent l’air égaré ou esquissant les gestes d’impuissance navrée de quelqu’un à la mémoire réfractaire, refusant de manger ou tournant les pages d’un vieil album de photos. Est-il nécessaire de dire que cela plombe l’ambiance ? En choisissant délibérément de ne pas s’en tenir au dénouement accepté par Donizetti,  le metteur en scène altère la nature de l’œuvre en accentuant son aspect dramatique. Du coup il affaiblit les composantes comiques indéniablement présentes. Sans doute le genre semiserio est-il un des plus difficiles à représenter, mais l’option choisie, au-delà d’une argumentation spécieuse, semble une dérobade. Et ce n’est pas l’exposition d’objets divers qui pendent des cintres – image d’une confusion mentale ? – qui nous convaincra que la folie au sens clinique est le sujet de l’œuvre.

Cet accent mis sur le drame est d’autant plus regrettable que l’élément comique, le buffo, est bien présent, dans quatorze scènes sur vingt-huit, avec le personnage de Kaidama, un homme à la peau noire, évident rappel d’une réalité contemporaine de l’œuvre, même si son abolition est en cours, la présence dans les Antilles d’Africains réduits en esclavage, réalité dont le texte fait mention en en évoquant leur « aguzzino », mot qu’on peut traduire par gardien sévère à l’excès, voire bourreau. Kaidama a peur du fou, qui l’a attaqué, mais redoute aussi la cravache, toujours prête pour lui. Disert quand il raconte ses malheurs ou expose sa théorie sur le cerveau, il profère aussi des  commentaires spontanés et lapidaires qui ont la drôlerie de l’à-propos ou de la sottise énoncée avec assurance, selon les cas. Dans l’œuvre, sa singularité tient à sa couleur, par laquelle Fernando le définit, s’attirant une réponse-miroir, mais surtout à son statut : il est soumis, il doit l’être, il ne peut ni décider de son action ni disposer de son temps, et s’il le tentait, la cravache le menace en permanence. Son maître, sa fille et les autres habitants, qui témoigneront de l’empathie pour le désarroi de Cardenio, n’en éprouvent pas pour lui et ils s’esclaffent au récit de la rossée que celui qu’il appelle « le fou » lui a donnée. On se moque de lui sans pitié. Aussi quand on nous le montre vêtu d’une robe – ou d’un jupon ? – pour son duo avec Cardenio, que voit-on ? Une fantaisie sienne, révélatrice d’une personnalité pour le moins singulière ? Ou la recherche – ratée – d’un effet comique ? Serait-ce l’aveu involontaire que la drôlerie intrinsèque du personnage a échappé au metteur en scène puisqu’il a eu recours à cet artifice sans justification ? Si Cardenio déraisonne, il n’est pas nécessaire que Kaidama soit travesti pour qu’il s’adresse à lui comme s’il s’agissait d’ Eleonora.

Cette faible exploitation du potentiel du personnage retentit sur l’interprétation de Bruno Taddia, qui garde une sorte de retenue. Peut-être souci de ne pas en faire une  caricature, dans le contexte actuel ? Il faudrait pourtant affirmer à chaque occasion que reprendre des stéréotypes culturels racistes parce qu’ils sont en situation ne signifie pas qu’on les cautionne mais qu’on les connait et qu’on les cite à bon escient, non pour les propager mais pour appréhender justement le contexte où on les rencontre. En tout cas Kaidama réclame, nous semble-t-il, une exubérance plus évidente.

© Gianfranco Rota

C’est chez l’interprète de Fernando qu’on peut la constater, et là elle nous semble un peu excessive : il est venu chercher son frère pour le ramener à leur mère mourante, et ce qu’il voit sur l’île n’a rien de réconfortant ou d’exaltant. Cela n’empêche pas l’interprète, le brillant ténor Santiago Ballerini, une fois résolues les quelques nasalités initiales, de faire virevolter sa cape à la manière de Zorro ou de Luis Mariano dans Violettes Impériales. On a aussi remarqué que dans la scène où il doit se jeter à l’eau pour en sortir son frère qui y a plongé il court vers la coulisse quand Cardenio a escaladé le décor. Peut-on parler de direction d’acteurs ?

Autre idée déconcertante, amener une baignoire sur scène pour qu’Eleonora s’y délasse. Cet élément de confort semble saugrenu dans une simple maison paysanne, celle où est censée vivre Marcella, l’insulaire charitable et exaltée qui nourrit en cachette Cardenio et se dit prête à verser son sang pour voir sourire la rescapée. Giulia Mazzola s’acquitte probement de ce rôle secondaire. Il en est de même pour Valerio Morelli, à qui est échu celui de Bartolomeo, le père bourru que le malheur de Cardenio attendrit mais qui refuse d’entendre les doléances légitimes du serviteur qu’il exploite. Pour lui aussi on aimerait que la couleur soit plus vive, mais…

© Gianfranco Rota

Censée apparaître trempée sur la plage, Eleonora arbore une robe de bal Second Empire, avant la robe que lui a proposée Marcella et qui semble sortie d’une boutique à la mode plus que de la garde-robe d’une paysanne. Il est vrai que Bartolomeo est apparu en pantalon de golf et que les choristes semblent sponsorisés par un magasin de prêt-à-porter qui a soldé ses canotiers et ses tricornes. Nino Machaidze n’a aucun mal à camper la séductrice repentie, l’étendue de sa voix et sa maîtrise technique couvrant la tessiture et modulant les inflexions sur les sentiments à exprimer. Le commentaire ambigu de Kaidama, mot à mot : «  Si vous soupirez toujours, bientôt le souffle vous sortira » passe complètement inaperçu.

Paolo Bordogna se faisait une joie d’aborder le personnage de Cardenio, ce grand rôle pour baryton. Victime d’une indisposition deux jours avant la première, il ne semble pas au sommet de sa forme vocale ; mais on ne peut se demander quel est le poids de la contrainte exercée par cette conception scénique où ce que nous voyons n’est que la restitution par la mémoire de ce qu’il a vécu, car même l’acteur nous a semblé moins désinvolte.

Aucune fausse note pour les chœurs de l’Académie de la Scala de Milan et pour l’orchestre du Teatro Donizetti, qu’ Alessandro Palumbo dirige avec netteté, fermeté, souplesse et précision. Le spectacle a manifestement beaucoup plu car le succès est très vif, un élément particulier chatouillant l’amour-propre des Bergamasques : le décor, quand il est intact – car de multiples ouvertures y seront pratiquées sans véritable nécessité dramatique sinon de représenter les brèches de la mémoire – est manifestement inspiré par la décoration intérieure d’inspiration exotique du palais Moroni, un des joyaux de la ville haute !

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