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VERDI, Aida — Cologne

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Spectacle
16 janvier 2011
Encore une relecture décalée

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en quatre actes (1871)
livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après un scénario d’Auguste Mariette

Détails

Mise en scène, Johannes Erath
Décors, Kasper Glarner
Costumes, Christian Lacroix
Lumières, Johannes Erath et Nicol Hungsberg
Aïda, Adina Aaron
Amnéris, Dalia Schaechter
Radamès, Vsevolod Grivnov
Amonasro, Jorge Lagunes
Ramfis, Roman Polisadov
Le Roi, Wilfried Staber
Un messager, Jeongki Cho
Une prêtresse, non créditée
Une vieille femme, Angelika Rien
Chœur et chœurs additionnels de l’Opéra de Cologne,
Orchestre Gürzenich de Cologne,
Statisterie der Bühnen Cologne
Direction, Will Humburg
Cologne, Opéra de Cologne, dimanche 16 janvier 2011, 19 h 30

Aïda au Vatican… À quand « Aïda chez les ploucs » et « Les Bronzés jouent Aïda » ? L’Allemagne s’est faite une spécialité des relectures décalées d’Aïda, œuvre qui y est très souvent représentée. L’Opéra de Cologne n’a jamais été en reste, et la production précédente – par Giancarlo del Monaco en 1997 – avait adapté l’œuvre dans l’espace d’une guerre inter-galactique. La présente production nous transporte dans une période contemporaine indéterminée, qui fait en même temps référence à celle de Don Carlos. Quant au thème général de la relecture, il est recentré sur la religion et le clergé catholiques ; Verdi, à la fois athée et peu admiratif – c’est un euphémisme – de l’église catholique, s’y serait certainement beaucoup amusé. Mais encore eut-il fallu qu’il apprécie le détournement radical de son œuvre, ici recentrée sur la guerre sainte, l’inquisition, le laisser-faire de l’église face au nazisme, les affres de la chair (Ramfis et Amnéris, Amnéris et Radamès) et les excès en tout genre des positions et des actions de l’église romaine, représentant ici une certaine société.

 

Il convient tout d’abord de dire quelques mots de la transposition. Nous sommes au Vatican, où Aïda est novice : elle porte le voile et est cantonnée aux tâches les plus difficiles : pendant le prologue, on la voit pousser avec difficultés le lourd trône papal de cour vers jardin. Ramfis est ici le cardinal de service, et Amnéris la mère supérieure de quelque couvent romain. Quant au roi, c’est un vieux pape qui, tiare toute tremblotante, tient à peine debout et, plié en deux, marche en s’appuyant sur une canne tripode. Comme dans d’autres productions, le messager est contraint à lire un texte préparé par le cardinal (qui, on l’aura compris, veut devenir calife à la place du calife). De même, le pape se voit transmettre une note préparée par le même cardinal concernant la nomination de Radamès, choix qu’il découvre au moment de l’annoncer et qui visiblement ne lui plaît pas : tout cela est très cohérent. Un ange (la grande prêtresse) vient soutenir Aïda à la fin de son premier air et l’emmène. Dans la pénombre du « temple », prêtres et prélats font un peu figure de société secrète, et revêtent Radamès d’une  cuirasse. Dans les appartements d’Amnéris, ses « suivantes » sont des anges féminins avec ailes blanches qui, pendant la danse dite « des négrillons » s’assoient à l’avant scène et font des gestes d’ensemble en vague, dans le genre ola. À la fin du triomphe de Radamès, la foule se bat, s’entredéchire, et des prêtres interviennent, isolant très violemment un certain nombre de personnes qu’ils déshabillent et qui deviennent « les prisonniers ». Le pape passe pour bénir et réconforter les fidèles (ou infidèles) tabassés par les curés. Ramfis arrive par derrière avec une corde et l’étrangle. Reste sur scène un palmier déraciné, dont les palmes ont servi pendant le triomphe de Radamès. La fin se déroule à peu près conformément à la tradition, si ce n’est que c’est sur l’oreiller qu’Aïda/Mata Hari arrache à Radamès le secret de sa campagne militaire, et que ce sont des hommes avec masques à gaz qui sont chargés d’enfermer Radamès dans son tombeau.  

 

Tout cela peut paraître étrange et peu plausible. Mais tout est fait avec un art si consommé que l’on ne peut qu’admirer cette réalisation, jusque dans ses excès. Tous les éléments de transposition s’imbriquent en effet fort naturellement les uns dans les autres, et la mise en scène et la direction d’acteurs de Johannes Erath est tout bonnement remarquable. Ce jeune metteur en scène est un surdoué (on pense à Chéreau) qui crée à cadence accélérée des productions de plus en plus remarquées, dans des genres très différents : entre autres Cendrillon de Massenet à Bern en 2007, Angels in America de Peter Eötvös, dans un dépôt industriel à Francfort sur le Main, Lulu et Don Giovanni à Graz, Orphée et Eurydice à Cologne en 2009-2010 qui a reçu un accueil unanimement favorable. Bref, un nom à retenir et à suivre avec intérêt. Il a notamment l’art de mêler les scènes intimistes et le grand spectacle, ce qui est pour Aïda la gageure principale, en utilisant la totalité de la profondeur de scène, qui est ici considérable, un peu comme à Garnier avec le foyer de la danse. On retiendra l’arrêt sur image sur fond de projecteurs du ritorna vincitor, la scène de complicité entre Aïda et Amnéris à la fin de leur violent duo, les dix-huit cuivres de l’orchestre sur scène, la centaine de choristes qui envahissent la salle et encerclent le parterre, les vaincus qui, sous les coups de fouets, tirent à la Cecil B. DeMille un immense praticable, la mort du pape et la révolte qui s’ensuit, l’admirable avant-dernière scène, quand Amnéris se dépouille de sa robe de mariée alors que le mur du fond de scène s’ouvre sur un magnifique contrejour de fumées et cieux colorés, et la scène finale à trois, où les deux amants agonisant allongés en angle divergent palpent l’espace, et où la main que Radamès cherche à saisir ne sera plus que celle d’un cadavre. Du très grand théâtre.

 

Le décor de Kasper Glarner, fait de grands murs gris-noir, d’immenses plateaux mouvants de l’horizontale à la verticale, comme celui des « appartements d’Amnéris » couvert de plantes et soutenu par de nombreux filins entre lesquels les deux femmes slaloment, bref, du grand spectacle à la Broadway, agrémentés des somptueux éclairages de Johannes Erath et Nicol Hungsberg. Les costumes de Christian Lacroix paraissent à côté un peu sages et classiques. Cela fait longtemps que l’enfant d’Arles, très éclectique (il voulait à l’origine être conservateur de musée, et a d’ailleurs réalisé en 2008 une exposition au musée des Arts Décoratifs à Paris), crée des costumes de scène, tout particulièrement dans le domaine de l’opéra. Il a ainsi participé à quantité de productions lyriques à travers le monde, et continue avec cette Aïda, dont la plus grande qualité, en termes de costumes, est la discrétion, c’est-à-dire la parfaite adéquation avec les volontés du metteur en scène, et une parfaite intégration aux décors. Évidemment, certains costumes restent assez hermétiques (la robe rouge un peu façon flamenco (?) d’Amnéris), mais au total, ils sont bien coupés, dans de belles matières, et sont plutôt convaincants.

 

Le plateau est globalement à la hauteur de la production. C’est la troisième fois que nous voyons Adina Aaron dans le rôle d’Aïda, et c’est certainement à l’heure actuelle une des meilleurs titulaires du rôle, loin devant Hui He qui assurait hier, avec une distribution entièrement différente, la première de la production. Elle est maintenant au sommet de son art, finesse de jeu, qualités de puissance et de phrasé, musicalité, notes filées avec art, véhémence, elle a subjugué le public. Dalia Schaechter (Amnéris), est certainement très en dessous, du fait de problèmes vocaux qui ne sont peut-être pas permanents : chantant souvent des notes filées très allégées, elle met toujours du temps à retrouver sa véhémence et la voix qui va avec, avec même quelques moments où l’on ne l’entend quasiment plus. Vsevolod Grivnov est un solide Radamès, très musical, capable de jolies nuances et scéniquement fort crédible. L’Amonasro de Jorge Lagunes est également tout à fait excellent, bien dans la tradition. On regrette chez Roman Polisadov (Ramfis) quelques écarts de justesse, mais la voix est belle et la carrure et la prestance de l’acteur impressionnantes. Le pape de Wilfried Staber est tout à fait excellent, de même que le messager de Jeongki Cho, particulièrement musical.

 

La direction de Will Humburg (actuel chef d’orchestre et directeur artistique du théâtre Massimo Vincenzo Bellini de Catane) est vive, parfois à l’excès, mais s’accorde parfaitement à la violence paroxysmique de la mise en scène : belle sonorité orchestrale, trompettes remarquables d’une justesse absolue, aucun décalage à déplorer, même dans des conditions extrêmes de la mise en scène, lui ont valu un accueil triomphal du public. Il faut dire que, de plus, les chœurs sont véritablement excellents. Bref, une production particulièrement intéressante, où toutes les forces vives de création artistique sont parfaitement mises en cohérence.

 

 

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Mise en scène, Johannes Erath
Décors, Kasper Glarner
Costumes, Christian Lacroix
Lumières, Johannes Erath et Nicol Hungsberg
Aïda, Adina Aaron
Amnéris, Dalia Schaechter
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