C’était l’ouverture de la saison, ce vendredi soir à Namur devant une salle comble, mais on célébrait aussi le vingtième anniversaire de l’ensemble Cappella Mediterranea, fondé par Leonardo García Alarcón en 2010. Et c’est en son honneur qu’était donné, dans un climat de fête et de joie, la délicieuse pastorale Acis et Galatea de Haendel, une de ses œuvres les plus réussies, la plus jouée de son vivant, qui rassemble, sur un sujet sicilien tiré d’Ovide et pour un public anglais, des musiques d’influence française et italienne, sous la plume d’un compositeur germanique ; quelle meilleure préfiguration de l’Europe ?
L’ensemble s’est fait connaitre pour ses redécouvertes d’œuvres baroques oubliées, et chacun se souviendra notamment des opéras donnés à Ambronnay, Aix en Provence ou à Paris, Il Diluvio universale (Falvetti – 2010), Eliogabalo et Erismena (Cavalli 2016 et 2017), ou de répertoires plus courus comme les Indes Galantes de Rameau à Bastille en 2019, plébiscité par notre site, pour ne citer quelques-uns de leurs nombreux succès.
Les qualités de partage, de générosité, d’amour profond du chant mais aussi de précision, de documentation et de travail sont celles qui sont le plus souvent citées pour qualifier le chef argentin. Elles trouvaient dans le spectacle présenté hier une nouvelle illustration.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la joie des musiciens, orchestre et chœurs confondus, leur plaisir d’être là et de partager la musique avec le public. Cette joie est particulièrement communicative, met tout le monde de bonne humeur et prédispose la salle à une écoute plus attentive, à une meilleure communion. L’œuvre, qui débute par une pastorale pleine de charme, s’y prête particulièrement bien.
Sans mise en scène, mais avec tout de même une mise en espace qui fait bouger les chœurs, qui emmène Acis à chanter son deuxième air depuis le fond de la salle (sur le plan acoustique, ce n’est pas idéal ) et qui ménage encore d’autres surprises, la représentation n’en souligne pas moins le côté théâtral de la partition, en particulier dans sa deuxième partie. Les effets de lumière qui soulignent la dimension dramatique, notamment lors de l’arrivée de Polyphème, sont largement suffisants pour camper une atmosphère et établir le climat émotionnel requis.
L’orchestre, très familier de ce type de répertoire, semble au meilleur de sa forme. Les tempi rapides imposés par le chef, les enchaînements dynamiques, et parfois la complexité de l’écriture requièrent une grande attention, mais la phalange méditerranéenne n’est jamais prise en défaut. On aura droit à quelques moments de beauté absolue, notamment la mort d’Acis (Acis is no more), à la fois tendre et grave, que le chef dirige face au public, le chœur étant à ce moment-là placé sur les bas-côtés de la salle.
La distribution vocale est homogène, les quatre solistes sont familiers de l’œuvre et rompus au style de la musique baroque : la soprano Charlotte Bowden, figure montante du chant baroque britannique, possède une voix techniquement bien placée et pleine de charme, une excellente diction anglaise qui aide à faire passer le texte. La voix n’est pas très puissante, mais le rôle ne le requiert pas non plus. Fort bien assorti, son partenaire Guy Cutting, excellent ténor qui chante Acis, fait preuve d’une personnalité plus affirmée, d’une plus grande assurance, et les duos qui les réunissent sont empreints de charme et d’émotion. Vaillant quand il s’agit d’engager le combat (His hideous love provokes my rage), déchirant lorsqu’il le perd (Help, Galatea !), le chanteur excelle à trouver le ton juste pour chaque situation, tout en restant parfaitement dans le style. Valerio Contaldo montre une belle virtuosité dans le rôle de Damon (il chante aussi celui de Coridon). La voix est charnue, sonore et le musicien empoigne les deux rôle, parfois un peu fades, avec une belle énergie. Polyphème est chanté par Staffan Liljas, basse venu de Suède qui surjoue un peu le méchant à des fins de caricature, mais convainc tant par son physique que par sa voix aux magnifiques résonances graves. Parfaitement préparé, très investi et bien dégagé de la partition, le Chœur de chambre de Namur livre lui aussi une performance sans faille, autant acteur que chanteur, donnant à chacune de ses intervention le ton juste, ménageant des émotions très sincères chaque fois que la partition le permet.
La représentation suscitera un très grand enthousiasme – parfaitement justifié – de la part du public. En guise de bis pour une œuvre qui n’en demande guère, les musiciens entonneront alors la Passacaille extraite du King Arthur de Purcell, toujours aussi convaincants.