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HAENDEL, Semele – Munich

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Spectacle
27 juillet 2023
Les ailes du désir

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Opéra en trois actes HWV 58

Livret de William Congreve, d’après Les Métamorphoses d’Ovide

vraisemblablement modifié par Newburgh Hamilton

Créé en 1744 au Théâtre Royal de Covent Garden à Londres

Détails

Mise-en-scène
Claus Guth

Décors
Michael Levine

Costumes
Gesine Völlm

Lumières
Michael Bauer

Chorégraphies
Ramses Sigl

Vidéo
rocafilm (Roland Horvath)

Semele
Brenda Rae

Jupiter
Michael Spyres

Athamas
Jakub Józef Orliński

Ino
Nadezhda Karyazina

Juno
Emiluy d’Angelo

Cadmus / Somnus
Philippe Sly

Iris
Jessica Niles

Le Grand prêtre
Milan Siljanov

Apollo
Jonas Hacker

Bayerische Staatsorchester
Choeur Lauschwerk

Gianluca Capuano, direction musicale

Prinzregententheater, Munich, samedi 22 juillet 2023, 18h

 

 

Sémélé victime d’un éclair de lucidité : c’est l’idée toute simple à partir de laquelle Claus Guth déploie un spectacle grandiose, toujours lisible et intelligent qui fera date dans l’histoire des productions haendéliennes. Amenée progressivement, sans bousculer le livret, et permettant d’ailleurs de s’épargner la lecture des surtitres, cette mise en scène de la bipolarité de Sémélé est brillante. L’acte I est celui, blanc, de son mariage hautement instagramable : sculptures de fleurs formant le mot LOVE, costumes flamboyants des convives et selfies à gogo. Il est interrompu par de brèves projections de photos du sourire forcé de l’héroïne révélant tout son malaise, puis par un orage qui fait claquer les ampoules des lustres et plonge la scène dans l’obscurité, offrant à Sémélé le loisir de défoncer le mur du fond à la hache et libérer des esprits vêtus de noir qui la portent avant de l’habiller également de noir. Telle est aussi la couleur de l’aigle qui l’enlève, et dont une plume tombée du plafond avait attiré son attention dès l’ouverture. Ces plumes qui envahiront progressivement le plateau : envers du mur blanc par le trou duquel Sémélé observe Junon et Iris, hésitant encore à pénétrer complètement l’espace de sa folie ; ribambelles de plumes qui crèvent le plafond de la salle de mariage à l’acte II, puis l’envahissent complètement au dernier acte. C’est une plongée visuelle dans la folie de plus en plus invivable du désir changeant de Sémélé. « Endless pleasure » est une marche nuptiale avec son amant imaginaire dans lequel la fiancée commande aux mouvements de tous les personnages et qui s’achève en un immense rire sardonique à l’avant-scène. « O sleep » un semi-réveil douloureux dans un monde hybride où Athamas est toujours présent, tantôt éploré, tantôt complètement contrôlé par la fantaisie de sa fiancée. Son caractère d’éternelle insatisfaite éclate également en présence de Jupiter multipliant les divertissements aussi risibles qu’inutiles entre deux coupes de champagne. L’arrivée de sa sœur la trouve d’abord absente, avant de déborder d’excitation puis de fondre en larme rendant déchirant leur dernier duo. Elle touche le fond à l’acte III dans un « Myself I shall adore » séance photo, où Junon lui tend, non un miroir, mais son double à figure d’aigle dans laquelle elle se contemple avant d’être prise à la gorge par lui, sa fantaisie incontrôlée devient panique et les variations du da capo sont des petits cris d’effrois, avant que le suraigu de la cadence ne vienne au secours de sa confiance en elle. « No no I’ll take no less » sera entièrement sous le soleil noir de la mélancolie hystérisée. Et Jupiter de révéler sa véritable nature, une illusion, donc de disparaitre tandis que les rideaux de plumes se lèvent et que Sémélé est comme foudroyée par un éclair de lucidité, dans le décor blanc aveuglant du début. La sortie de la caverne est trop soudaine, elle sombre dans la catatonie tandis que le nouveau couple et sa troupe pénètrent bruyamment pour célébrer leur mariage. La joie d’Ino est assombrie par le piteux état de sa sœur, avant d’être elle-même intriguée par des plumes tombant du plafond de plus en plus nombreuses, jusqu’à la fin : les ailes du désir nous menacent tous, l’épanadiplose est vertigineuse et Sémélé s’avance vers le public, son bébé imaginaire dans les bras, avec un sourire excessif et glaçant. Dionysos, dieu de l’ivresse, fils de la folie. Le personnage principal est rendu dans toute sa richesse, de la femme mariée contre son gré à la malade psychiatrique, de la narcissique à la rêveuse compulsive et séduisante, le spectateur est pris de sympathie et profondément ému.

Ajoutons que le moindre recoin du livret est investi, jusqu’à l’appât utilisé par Junon pour convaincre Somnus / Cadmus (la nymphe Pasithea) qui devient ici l’organisatrice du mariage désirée par le père de la mariée dans un superbe numéro de tissu aérien. Sans oublier la direction d’acteur dont la minutie confine au délire pendant ces 3h30 de spectacles : les mouvements des chanteurs, des chœurs et des moindres figurants sont chorégraphies à chaque instant, et ce qui pourrait n’être qu’un flot ininterrompu de gesticulations est en fait un répertoire de signes qui semble inépuisable pour lire et interpréter l’action. C’est enfin une réussite esthétique mariant de nobles influences : les grands murs blancs des Herrman, les danses de McVicar, les ambiances sombres de Kosky et même la nuisette de Carsen. Bref un spectacle total qui mérite d’être repris sur les plus grandes scènes avec un distribution plus à la hauteur. Il le sera en tout cas à New York car le MET en est coproducteur.

©Wilfried Hösl

Quel dommage de n’avoir pas disposé d’une héroïne et de sa divine rivale à la hauteur des exigences de la partition. La Junon d’Emily d’Angelo jouit d’un timbre sombre et doux très troublant, mais quel manque de vocabulaire belcantiste, quelle platitude dans les vocalises, quelle absence de jeu avec le texte ! Certes elle incarne avec une grande classe cette sculpturale Louise Brooks sortie des années 20, son porte cigare, son économie de gestes et son dos nu. Mais à force de retenue aristocratique, son interprétation monolithique ennuie, et son dernier air où elle célèbre sa vengeance est d’ailleurs l’une des rares coupures de la soirée.

Brenda Rae est une actrice autrement plus convaincante et solide, son investissement dramatique, intense et juste, est même ce qui transfigure son interprétation à l’acte II et pendant « Myself I shall adore ». Car l’acte I surligne son medium terne et ses vocalises rêches. Il faut dire qu’elle a été annoncée malade, mais on retrouve les limites de sa virtuosité que l’on a déjà pu entendre à Paris en Ophélie. « No no I’ll take no less » la voit par contre complètement dépassée, au point de ne chanter très difficilement qu’une strophe de la partie A et d’enchainer sans partie B sur la reprise da capo avec des vocalises qui sont en fait une simplification, donc l’inverse des coloratures attendues pour cet acmé du rôle. 

Pour son malheureux promis, Jakub Józef Orliński fait encore mouche: très à l’aise dans ces rôles à la tessiture centrale sollicitant modérément sa virtuosite et flattant la ductilité et la puissance peu commune de sa voix, il compose un personnage vivant et notable alors même que le livret le gate peu. Excellente idée en conséquence d’avoir gardé son dernier air du troisième acte et de lui avoir confié le deuxième air de l’amour. Et bien sur, le certes habituel mais très réussi et bien amené numéro de break dance fait toujours son effet.

Autre grande réussite, le Jupiter de Michael Spyres. A la fois ébourrifant, drôle (ce numéro de claquette puis de french cancan dans « I must with speed amuse her » !), capable d’accents impérieux sur une immense tessiture et d’alléger sa voix pour un da capo de « Where’er you walk » d’une délicatesse et d’une tendresse infinies. 

Ino, souvent releguée en second plan, fait ce soir partie intégrante du drame grace à la direction d’acteurs et à la voix profonde et impeccable stylistiquement de Nadezhda Karyazina qui fait merveille dans les ensembles et récitatifs. Son opposé comique, Jessica Niles est impayable en Iris surexcitée à qui elle offre une présence bondissante et une vocalité qui n’est pas du tout celle d’un comprimario: agile sur un bel ambitus, avec la pointe d’acidité qui colore ses aigus et l’assise dans le medium qui donne toute sa mesure à sa description des dragons protégeant le palais. Qu’elle aborde bientôt le role-titre ne nous étonnerait guère. Excellent Philippe Sly également dans le double role de Cadmus et Somnus, réussissant à tendre presqu’à l’excès son air amolli du dieu du sommeil sans jamais rompre la ligne de chant, ni perdre en focalisation de l’émission. Le grand prêtre de Milan Siljanov est rayonnant à souhait, tout comme l’Apollon de Jonas Hacker dont la voix cascade sur les gradins depuis le fonds du parterre du Prinzregententheater. 

L’orchestre (sur instruments modernes ?) de l’opéra sonne de façon précise et efficace sous la baguette alerte et experte de Gianluca Capuano, mais manque tout de même du brillant et des textures qui en feraient un protagoniste et non un simple accompagnateur. On s’étonne également de l’usage trop prononcé des timbales. Enfin s’il n’est pas mentionné ni dans la salle, ni sur le site de l’opéra (!), un dernier mot pour le fabuleux choeur Lauschwerk, dont l’excellence technique n’a d’égale que l’alacrité scénique, au point de ne pouvoir distinguer les chanteurs des virevoltants danseurs ou figurants. 

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vraisemblablement modifié par Newburgh Hamilton

Créé en 1744 au Théâtre Royal de Covent Garden à Londres

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Mise-en-scène
Claus Guth

Décors
Michael Levine

Costumes
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Lumières
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Philippe Sly

Iris
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Prinzregententheater, Munich, samedi 22 juillet 2023, 18h

 

 

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