« Danse » ; « Couleur » ; « Retenue » : voilà les trois mots choisis par Jean-Philippe Sarcos pour caractériser la musique française – fidèle à sa mission pédagogique, le fondateur et directeur artistique de l’ensemble Le Palais royal veille à offrir durant chaque concert des clés d’écoute en complément de l’interprétation musicale. « Danse » pour légèreté. « Couleur » pour l’usage de la demi-teinte, imposée par la faible intensité de l’accent tonique dans la langue française. « Retenue » enfin, dans le sens de concision – André Gide à qui l’on demandait trois mots pour définir l’esprit français aurait répondu « rien de trop ». Le ton est donné.
A l’égal du concert public Salle Gaveau quelques jours auparavant, cette soirée privée dans le Grand Salon du Cercle de l’union interalliée offre un panorama lyrique d’un siècle de musique française, de 1830 à 1940.
Élève de Georges Prêtre, Jean-Philippe Sarcos a hérité de son maître un amour pour ce répertoire et une conception exigeante de la transmission. Sa direction met en lumière la richesse et la diversité des œuvres, mais aussi ce fil invisible qui les relie – un même sens de la clarté, de la mesure et de la grâce. Sa force tient dans l’aisance avec laquelle il passe d’un style à l’autre : le charme de l’opéra-comique – gracieux chez Auber, mutin chez Chabrier –, la noblesse et l’éclat du grand opéra avec Cinq-Mars de Gounod, la verve satirique d’Offenbach, jusqu’à la tendre simplicité des Chemins de l’amour, chanson écrite par Poulenc à l’attention d’Yvonne Printemps pour Léocadia de Jean Anouilh. L’orchestre, attentif et de bonne volonté, répond aux intentions du chef, parfois au prix de quelques hésitations, mais sans jamais trahir l’esprit des œuvres. Ainsi s’affirme l’art du chef d’orchestre passeur, à la fois serviteur de la musique et médiateur entre les musiciens et le public.
© Farida Bréchemier
De cette profession de foi amoureuse, Juliette Mey est la messagère. Les fées se sont penchées sur le berceau de la jeune mezzo-soprano – 25 ans ! –, sacrée en 2024 Révélation Artiste lyrique aux Victoires de la musique classique, prochainement Rosine dans Il barbiere di Siviglia à Toulon et Cherubino dans Le nozze di Figaro à l’Opéra du Rhin. Le timbre, s’il était un fruit, serait une pêche : rond et duveteux, subtilement sucré, aux teintes pastel, d’une sensualité discrète, où la clarté et la tendresse priment sur la puissance. Mais, on le sait, la voix ne fait pas tout. Il y a aussi chez Juliette Mey la technique, solide, qui permet de passer d’un registre à l’autre sans heurt sur une longueur appréciable. Il y a la souplesse et même le trille ! Il y a l’effort de diction, la précision, la musicalité – mot souvent galvaudé par lequel on désigne le sens du phrasé, du souffle, du style, l’attention à la nuance, la compréhension du texte et de la mélodie. Il y a dans le regard une détermination, un courage même, qui pousse la chanteuse à surmonter l’inconfort de la salle. Chanter toutes lumières allumées, à quelques pas du public, n’est pas exercice anodin. Il y a enfin le talent de l’interprète – intelligence et instinct –, la faculté de donner à comprendre chacun des personnages dans leur complexité – et Dieu sait s’ils sont divers, de Siebel à Cenerentola !
Tous ne sont pas égaux. Marie dans Cinq-Mars voudrait plus d’ampleur, Lazuli dans L’Etoile plus d’éclat, Nicklausse plus d’expérience – la muse n’est pas page –, et Rossini plus de science – la vocalise, encore rapide, doit gagner en intentions pour que triomphe la bonté avant l’agilité. La maturité aidera la voix à gagner en assurance dans le registre grave. Mais que de promesses dans les rôles mieux à sa portée : Siebel étrenné déjà sur la scène de l’Opéra Comique la saison dernière, Angèle du Domino noir, frémissante et virtuose, même la belle Hélène si désarmante lorsque ses ardeurs inassouvies s’expriment avec la flamme de la jeunesse, et en bis, « Comme elle danse… C’est exquis », les couplets du Mozart de Hahn, délicatement poudrés, comme une invitation à emprunter ces chemins de l’amour qui prêtent leur nom à la soirée.